Philanthropie : vers un contrôle renforcé des dons

Publié le 10/04/2021
Philanthropie : vers un contrôle renforcé des dons
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Alors que la Cour des comptes dresse un bilan critique du contrôle des associations bénéficiaires de dons, le projet de loi confortant les principes de la République, en cours de discussion parlementaire, renforce ce contrôle et impose aux OSBL bénéficiaires de dons une nouvelle obligation déclarative.

La fiscalité relative au mécénat, particulièrement favorable, n’est pas suffisamment contrôlée. « Tous les risques d’une mauvaise application de la fiscalité ne sont pas pleinement couverts », indique la Cour des comptes. Telle est sa conclusion dans un référé de décembre dernier sur la fiscalité des associations (Réf. S2020-1998, La fiscalité des dons en faveur des associations). Ce document adressé par le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, au Premier ministre pour lui faire part des observations formulées par la Cour et de trois recommandations, a appelé une réponse tout aussi critique de la part de son destinataire transmise le 10 février dernier.

Des enjeux budgétaires importants

Avec plus de 1,5 million d’associations, la France consent un effort budgétaire de 10 Md€ au secteur : 7,2 Md€ de subventions et 3,7 Md€ d’avantages fiscaux en 2018. Compte tenu des réductions et exonérations fiscales, ce sont, en 2018, 5,5 millions de ménages (avec 1,5 Md€ au titre de l’impôt sur le revenu), et 77 000 entreprises (avec 8 Md€ au titre de l’impôt sur les bénéfices) qui ont bénéficié du régime fiscal du mécénat.

Les associations qui reçoivent des dons émettent des reçus fiscaux pour permettre aux donateurs de faire valoir leur réduction d’impôt auprès de l’administration fiscale. Pour pouvoir émettre ces reçus fiscaux, les associations doivent remplir des critères d’éligibilité, à savoir : être d’intérêt général et exercer une activité prépondérante « (…) ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, notamment à travers les souscriptions ouvertes pour financer l’achat d’objets ou d’œuvres d’art destinés à rejoindre les collections d’un musée de France accessible au public, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises » (CGI, art. 200-1-b et 238 bis-1-a).

Lorsqu’elles estiment répondre à ces critères, les associations émettent les reçus fiscaux sous leur propre responsabilité. En cas de doute sur leur éligibilité, elles peuvent solliciter auprès de l’administration fiscale un rescrit, dans lequel l’administration se prononce sur leur situation au regard des critères légaux.

Le « rescrit mécénat » : une procédure imparfaite

En plus du rescrit « régime fiscal » utilisé par les associations qui s’interrogent sur leur assujettissement aux impôts commerciaux (LPF, art. L. 80 A), les associations disposent du « rescrit mécénat » qui porte sur l’habilitation d’une association à recevoir des dons manuels et donc à délivrer des reçus fiscaux sur le fondement de l’article L. 80 C du Livre des procédures fiscales (LPF).

Cette procédure spécifique est largement utilisée, puisqu’elle représente chaque année le tiers de l’ensemble des rescrits délivrés par les services fiscaux (environ 5 405 « rescrits mécénat » traités en 2019). Pourtant, la procédure se révèle imparfaite à plusieurs égards.

Les sages de la rue Cambon relèvent tout d’abord qu’il s’agit d’une procédure lourde. Pour se prononcer, l’administration a besoin d’examiner de nombreux documents et est souvent amenée à s’appuyer sur des réglementations qui relèvent d’autres ministères, comme le Code de l’éducation pour apprécier le caractère éducatif d’une activité de formation. Elle peut aller jusqu’à saisir le ministère de l’Intérieur pour apprécier par exemple l’éligibilité d’une association religieuse au regard du champ du mécénat défini par la loi.

Autre grief : la sécurité juridique de la procédure du « rescrit mécénat » n’est que relative puisqu’ « elle n’est valable qu’à un moment donné, au vu de la situation de l’association et des pièces communiquées ». De plus, elle ne constitue pas une autorisation, un prérequis pour pouvoir émettre des reçus fiscaux, ce qui constitue d’ailleurs une singularité française. Dans ce contexte, une association peut être dissuadée de recourir à cette procédure.

Enfin, les contrôles réalisés par l’administration sont peu nombreux, et l’amende à laquelle s’exposent les associations qui ne respectent pas le rescrit qui leur a été délivré a un caractère faiblement dissuasif, estime la Cour des comptes qui évoque par erreur l’article 1740 A du Code général des impôts (CGI) dans sa version antérieure à sa réécriture fin 2018 : « Le fait de délivrer sciemment des documents (tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations), permettant à un contribuable d’obtenir indûment une déduction du revenu ou du bénéfice imposable, un crédit d’impôt ou une réduction d’impôt entraîne l’application d’une amende égale à 25 % des sommes indûment déclarées ou à la réduction d’impôts indûment obtenue ».

Dans sa réponse, le Premier ministre rappelle à la Cour des comptes que le taux de 25 % a été modifié par la loi de finances pour 2019 en conséquence d’une décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré ces dispositions contraires à la Constitution, dès lors qu’elles prévoyaient l’application de l’amende sans considération de la bonne foi de l’auteur du manquement sanctionné (Cons. const., 12 oct. 2018, n° 2018-739 QPC).

Désormais, l’amende est égale au taux de la réduction d’impôt appliqué aux sommes indûment mentionnées sur le reçu fiscal qui lui a été délivré ou, à défaut d’une telle mention, au montant de la réduction d’impôt indûment obtenue. Dans cette mesure « l’amende égale au montant de l’avantage fiscal est devenue plus dissuasive », indique Matignon.

Passe d’armes autour de la doctrine administrative

La première recommandation de la Cour des comptes s’adresse à la Direction de la législation fiscale (DLF). Il s’agit d’actualiser et assurer une large diffusion des fiches thématiques sectorielles du BOFiP sur les sujets fiscaux relatifs aux associations utilisées dans le cadre de l’examen du bénéfice du mécénat.

La Cour relève que l’administration fiscale peut être conduite à apprécier le message véhiculé par l’association concomitamment à son activité, notamment s’agissant des associations à contenu idéologique que sont les organismes véhiculant un message politique, les organismes militants ou revendicatifs et les organismes religieux ou sectaires. À cette fin, elle a rédigé une note interne que la Cour a jugée « très imparfaite », reposant sur « des bases juridiques fragiles, laissant une large part à l’appréciation, parfois subjective, de l’administration ».

Le Premier ministre a réagi vivement : ces « observations (…) me laissent perplexe ». D’une part, parce qu’elles n’expliquent pas en quoi consisteraient les failles de la fiche mentionnée dans ces développements. D’autre part, et en partie à cause de cette imprécision, elles peuvent laisser entendre au public que l’administration fiscale ferait un examen partial des demandes de ces associations et méconnaîtrait le cadre légal. « Laisser croire au public que l’administration fiscale ajoute au droit une doctrine qui méconnaît la loi ne correspond pas à la réalité. La fiche dont il est question dans le présent référé ne fait que rappeler l’état du droit », se défend le Premier ministre. Le seul fait que l’action associative soit inspirée par un courant de pensée politique, une philosophie ou une religion, n’est pas un motif de remise en cause de l’éligibilité de l’organisme au régime fiscal du mécénat. Seule l’analyse des activités de cette dernière, sur la base de ses statuts et de la description de son action, permet de vérifier si elle poursuit l’une des finalités prévues par la loi ». Il ne peut donc être fait abstraction des objectifs de cette action pour apprécier si elle relève du champ de l’aide fiscale.

D’autre part, la fiche sert à organiser un soutien aux directions locales pour le traitement de sujets complexes en s’appuyant sur la collégialité, puisqu’elles doivent les transmettre à l’administration centrale. La fiche n’indique que la démarche à adopter pour vérifier si l’organisme répond aux conditions posées par les textes.

La Cour des comptes regrette également que cette doctrine sur les associations à contenu idéologique ne fasse pas l’objet d’une application homogène sur le territoire, ni d’une publication au BOFiP. Pour le Premier ministre, « ce document d’organisation de l’instruction des dossiers au sein de la DGFiP n’a pas vocation à être publié. Il vise à aider les services afin qu’ils ne se retrouvent pas seuls à examiner des sujets potentiellement difficiles ». Et de conclure : « la Cour des comptes ne peut pas laisser entendre, sans dénaturer les faits, que la DGFiP ne respecterait pas la loi en matière de mécénat. Sa critique paraît ainsi infondée ».

Des contrôles insuffisants

Compte tenu des enjeux budgétaires et du risque de détournement du mécénat à des fins fiscales, les associations bénéficiaires sont soumises au contrôle de l’administration fiscale sur le fondement de l’article L. 14 A du LPF. Ce point attire les critiques de la Cour des comptes qui déplore que ces contrôles soient trop peu nombreux et peu approfondis. En effet, l’administration fiscale ne peut vérifier la concordance entre le montant des dons récoltés et celui des reçus fiscaux émis. Les conditions de l’éligibilité au régime du mécénat, ou l’activité prépondérante de l’association n’entrent pas dans le champ du contrôle. Du côté des donateurs, particuliers comme entreprises, les contrôles sont également peu nombreux.

C’est pourquoi, la deuxième recommandation s’adresse à la DGFiP : augmenter le nombre et la portée des contrôles réalisés par l’administration fiscale sur les associations. Sur ce point, le Premier ministre fait valoir que le projet de loi confortant le respect des principes de la République en cours de discussion parlementaire prévoit, en son article 10, une modification de l’article L. 14 A du LPF afin de permettre à l’administration fiscale de vérifier si, au regard de son objet et de ses conditions de fonctionnement, un organisme bénéficiaire de dons satisfait aux conditions requises par la loi pour que ses donateurs bénéficient de réductions d’impôts. En outre, pour que l’administration ait une meilleure connaissance des organismes bénéficiaires délivrant des reçus fiscaux, l’article 11 du projet de loi leur impose de déclarer chaque année le montant cumulé des dons reçus ainsi que le nombre de reçus délivrés.

Quant à la troisième recommandation adressée à la DLF et à la DGFiP, elle préconise de rétablir l’obligation qui incombait aux contribuables avant la déclaration de revenus dématérialisée et qui consistait à reporter les noms des organismes bénéficiaires en annexe à la déclaration de revenus et les montants accordés. Pour la Cour, cette obligation déclarative pourrait dissuader les comportements frauduleux. Refus du Premier ministre qui repousse cette proposition au motif qu’elle « conduirait à alourdir les obligations déclaratives de plus de 4 millions de foyers, à rebours de la volonté politique forte et constante d’allégement des obligations déclaratives des usagers, [et qu’] elle porterait par ailleurs sur une information parfois sensible pour les particuliers donateurs ». Sans compter qu’elle devrait être analysée au regard du respect du règlement général relatif à la protection des données personnelles. Le Premier ministre considère que le futur article 11 du projet de loi confortant le respect des principes de la République permettra de répondre aux objectifs de contrôle et de renforcement du civisme fiscal.

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