Philanthropie : nouveaux visages de la solidarité
À l’épreuve du coronavirus, la générosité des Français se renouvelle. Le point sur l’impact de la crise sanitaire sur les dons et les legs aux OBSL et sur les nouveaux comportements en matière de solidarité.
Depuis le début de la crise sanitaire, les appels aux dons se sont multipliés. Et les Français ont répondu largement présents. Au sein d’une alliance baptisée, « Tous unis contre le virus », la Fondation de France, l’APHP et l’Institut Pasteur ont lancé un vaste appel à la solidarité le 24 mars dernier pour soutenir les soignants, les chercheurs et aider les personnes les plus vulnérables. Les dons des particuliers ont afflué. Deux mois plus tard, l’alliance avait récolté 27 Md€. Plus de 19 Md€ ont déjà été engagés pour soutenir plus de 500 projets sur tout le territoire, dont 5, 9 Md€ engagés pour aider les hôpitaux et les soignants, 4, 4 Md€ en soutien à la recherche médicale, et 9, 1 Md€ engagés en soutien aux associations de proximité qui agissent auprès des personnes vulnérables.
Réduction d’impôt sur le revenu
Comme l’ensemble des autres dons effectués tout au long de l’année, ces dons sont éligibles au régime fiscal de réduction d’impôt sur le revenu dédié aux dons. Ces dons seront pris en compte au moment de la déclaration des revenus de 2020, laquelle sera effectuée au printemps 2021. La réduction d’impôt sera imputée au moment du solde de l’impôt à la fin de l’été 2021. Un acompte peut être versé au début de l’année 2021, mais il sera calculé au regard des montants habituels de dons effectués en 2019. En application de l‘article 200 du Code général des impôts (CGI), les dons consentis par les particuliers aux associations et organismes d’intérêt général ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu, dite IR-Don, égale à 66 % de leur montant pris en compte dans la limite de 20 % du revenu imposable. Si le montant des dons dépasse la limite de 20 % du revenu imposable, l’excédent est reporté sur les 5 années suivantes.
Réduction Coluche
Le taux de la réduction d’impôt est porté à 75 % pour les dons aux organismes d’aide aux personnes en difficulté, dans la limite de 546 € de versement (plafond pour l’imposition 2019). Au-delà de cette limite, la réduction d’impôt passe au taux de droit commun de 66 %. Dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative pour 2020, promulguée le 25 avril 2020 dernier, les parlementaires ont rehaussé ce plafond des dépenses éligibles à la réduction d’impôt sur le revenu accordé au titre des dons en faveur des associations et organismes d’aide aux personnes en difficulté. Pour l’imposition des revenus de 2020, les dons sont exceptionnellement pris en compte dans la limite de 1 000 €.
Imputer son don sur son IFI
Autre possibilité, imputer les dons effectués sur sa facture d’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Une solution qui concerne relativement peu de contribuables. En 2018, 139 149 contribuables ont été assujettis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), car détenant un patrimoine immobilier net taxable d’une valeur excédant 1,3 Md€. Ils bénéficient, comme c’était le cas dans le cadre de l’ISF, d’une réduction d’impôt spécifique, le dispositif IFI-Don, prévu à l’article 978 du CGI. Il s’agit d’une réduction d’impôt de 75 % des dons en numéraires ou titres d’entreprise cotées effectués aux profits d’associations d’intérêt général et de fondations reconnues d’utilité publique, dans la limite de 50 000 € par an. Le montant maximum des dons imputables est donc de 66 667 €. Dans le cas où le montant de la réduction d’impôt excède cette limite, la fraction non imputée de cette réduction ne peut donner lieu ni à remboursement au titre de la même année, ni à report sur l’impôt dû au titre des années suivantes. Il en va de même lorsque le montant de la réduction d’impôt excède celui de la cotisation d’IFI. Précisons que la réduction d’impôt est appliquée sur le montant d’IFI déterminé avant application, le cas échéant, des règles relatives au plafonnement de l’imposition prévues à l’article 979 du CGI.
Cumul des réductions d’impôt
Pour un même montant de don, il n’est pas possible de cumuler la réduction IFI-Don avec le dispositif IR-Don. Toutefois, il est possible de ventiler le montant d’un don en affectant une partie de ce don sur son IFI et en ventilant le solde sur son impôt sur le revenu. Dans tous les cas, les redevables bénéficiant de ces dispositifs ne sont pas tenus de joindre de justificatifs à leur déclarations d’impôts. Toutefois, ils doivent conserver les pièces justificatives attestant le total du montant et la date des versements ainsi que l’identité des bénéficiaires, à la disposition de l’administration en vue de répondre à une demande éventuelle de sa part dans le cadre de l’exercice de son droit de contrôle.
Un contexte de baisse de collecte
La crise sanitaire a éclaté dans un contexte de baisse de collecte des dons et legs. L’essor de la philanthropie en France est fortement corrélé avec la fiscalité attractive qui est réservée aux dons des particuliers comme à ceux des entreprises. Les dons déduits de l’impôt sur le revenu ont augmenté de + 70 % en 10 ans entre 2005 et 2015 (Observatoire de la philanthropie – Fondation de France, avril 2018). 15 % des foyers français sont concernés, ce qui constitue un phénomène de masse même si en réalité les foyers déclarant plus de 60 000 € de revenus annuels représentent 20 % des donateurs et 40 % du montant des dons déclarés. L’impact de la fiscalité a été particulièrement net au regard de la réduction ISF, qui était massivement utilisée. D’après le baromètre Dons ISF/2017 publié par Apprentis d’Auteuil, 50 % des donateurs avaient déduit une partie de leurs dons de leur ISF. Avec le passage de l’ISF à l’IFI et la mise en place du prélèvement à la source, l’élan philanthropique, traditionnellement soutenu par une fiscalité sur-mesure tend à s’essouffler. D’après la 6e édition du baromètre annuel du Don ISF-IFI, réalisé par Apprentis d’Auteuil, en 2018, la collecte auprès du grand public a enregistré une baisse de 19 %.
Une solidarité multiforme pendant la crise sanitaire
De quelle manière la solidarité s’est-elle exprimée au cours de la crise sanitaire ? Quels sont les gestes qui ont été plébiscités par les Français ? L’envie de solidarité est-elle temporaire ou « le monde d’après » sera-il véritablement plus solidaire ? Quel impact cette crise a-t-elle sur les dons et intentions de dons aux associations ? Quelle part les Français les plus aisés prennent-ils à cet élan de générosité ? Les Français sont-ils au fait des dispositifs fiscaux destinés à encourager leur générosité et notamment le relèvement du plafond du dispositif Coluche ? Pour faire le point sur ces différentes thématiques, la fondation Apprentis d’Auteuil a mené avec la collaboration d’Ipsos une enquête intitulée : « La solidarité à l’épreuve du coronavirus », auprès de l’ensemble des Français ainsi qu’auprès des catégories les plus aisées. L’enquête a été réalisée auprès de 1 500 personnes dont 1 000 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française et de 500 personnes dont le revenu annuel net du foyer est supérieur à 120 000 euros, correspondant à moins de 2 % des foyers fiscaux. Cette enquête met en lumière un vaste élan de solidarité qui a pris des formes multiples. Les dons aux associations ou à des cagnottes en ligne ont concerné un nombre restreint de Français (10 %), tout comme le bénévolat pour des associations (9 %), même si l’investissement de nouveaux bénévoles et notamment des jeunes a permis de pallier avec succès à l’absence des bénévoles traditionnellement âgés et restés confinés.
Les Français ont effectué le plus souvent des dons d’argent (32 % contre 10 % pour la moyenne des Français), maintenu les salaires des personnes travaillant habituellement pour eux : garde d’enfant, femme de ménage (31 % contre 6 % des Français certes moins souvent concernés) ou encore donné de la nourriture et du matériel médical pour les soignants (20 % contre 6 % en moyenne). La solidarité pour plus d’un Français sur deux a également consisté à prendre plus souvent des nouvelles de personnes isolées de leur entourage, à remercier les caissiers et caissières pour leur travail (46 %), à rendre des services à leurs voisins (33 %), à applaudir les soignants à 20h (31 %, en particulier les Parisiens : 41 %) et les jeunes (56 % des moins de 25 ans). Enfin, ils ont été 17 % à remercier les éboueurs de maintenir ce service essentiel et 16 % à coudre des masques ou donner du matériel pour en fabriquer, et 6 % à donner de la nourriture et du matériel médical pour les soignants.
Impact de la crise sur les dons aux organismes caritatifs en 2020
D’après les résultats de cette enquête, plus d’un Français sur deux a déjà donné ou compte donner en 2020, soit exactement la même proportion qu’en 2019. Cette stabilité s’explique par l’incertitude à l’égard de l’avenir économique, qui tempère l’élan de solidarité observé pendant la crise sanitaire. En revanche, la part de donateurs parmi les hauts revenus progresse nettement puisque 82 % d’entre eux comptent donner en 2020, soit une progression de +5 points par rapport à 2019, et parmi eux 61 % ont d’ailleurs déjà donné au 1er semestre. Une majorité de Français pense donner le même montant qu’en 2019 (52 %). Ils sont 18 % à penser donner moins, notamment compte tenu de l’incertitude économique. Face à l’augmentation des besoins, tous les espoirs des OSBL sont donc tournés vers les 25 % restants qui ont l’intention de donner plus. 3 % d’entre eux ont même l’intention de donner « beaucoup plus ». Pour rappel, le montant global donné en 2019 était en moyenne de 300 €, avec des dons totalisant 100 € ou moins pour près de la moitié des donateurs. La contribution des plus hauts revenus devrait également s’avérer décisive puisque 49 % pensent donner plus dont 15 % « beaucoup plus », pour un montant global de dons de 2 140 € en 2019. « Il est encourageant de constater, dans la crise sanitaire inédite que nous traversons, qu’un Français sur quatre et près de la moitié de ceux disposant de hauts revenus, comptent augmenter le montant de leurs dons cette année par rapport à 2019 », souligne Stéphane Dauge, directeur de la communication et de la collecte d’Apprentis d’Auteuil. Logiquement, compte tenu du contexte, les Français comptent avant tout donner en 2020 pour la santé et la recherche médicale (39 %), mais aussi pour l’aide aux personnes démunies (27 %) et l’environnement (27 %), sans oublier la traditionnelle défense des animaux (23 %). Le contexte ne fait pas oublier aux donateurs les causes de l’enfance et l’éducation elles aussi fortement impactées par la crise sanitaire et le confinement qui accélèrent les difficultés scolaires. Ces secteurs concentrent 20 % des intentions de don, et jusqu’à 34 % pour les hauts revenus.
Le rôle de l’information sur les dispositifs fiscaux
Seuls 27 % des Français savent que le plafond de déduction des dons aux associations permettant de bénéficier d’une réduction de 75 % sur son impôt sur le revenu a été relevé à 1 000 € pour l’année 2020. Mieux faire connaître cette mesure apparaît donc crucial pour les OSBL dans la mesure où 88 % des donateurs en 2019 ont donné dans la limite de ce plafond de déductibilité maximum de 537 € pour 2019. Le niveau d’information des catégories de Français les plus aisées en matière d’avantages fiscaux liés aux dons, donations et legs reste lui aussi perfectible. 81 % des plus hauts revenus s’estiment aujourd’hui bien informés mais seulement 37 % très bien informés sur ce sujet. Ils sont aujourd’hui plus d’un tiers à s’estimer mal informés des possibilités de donation de biens immobiliers à des organismes caritatifs (37 %), de la possibilité dans le cadre d’une succession d’extraire un bien de la succession, donc de l’assiette de calcul du montant des droits s’il fait l’objet d’une donation par l’héritier à un organisme caritatif (37 %), des modalités de réduction de l’IFI au titre des dons faits à des organismes caritatifs (36 %), des dispositifs de legs à des organismes caritatifs (35 %) ou encore du report possible de la réduction d’impôt sur le revenu sur les 5 années suivantes lorsque le montant des dons dépasse la limite de 20 % du revenu imposable (35 %). La presse joue un rôle crucial en la matière, car il s’agit de la principale source d’information des hauts revenus sur ce sujet (29 % s’informent par ce biais), avant même l’administration fiscale (26 %) ou leur conseiller bancaire (23 %). « On constate que l’information concernant la hausse du plafond de déduction des dons aux associations permettant de bénéficier d’une réduction de 75 % sur son impôt sur le revenu n’est pas complètement parvenue jusqu’aux Français or nous mettons beaucoup d’espoir dans cette mesure. Nous espérons qu’elle pourra les inciter à faire des dons plus importants », conclut Stéphane Dauge.
Vers de nouvelles solidarités
92 % des répondants sont convaincus que de nombreuses catégories de population vont être gravement impactées par les conséquences économiques et sociales de la pandémie, parmi lesquelles les commerçants, les auto-entrepreneurs, les familles modestes, les jeunes en difficulté scolaire et les jeunes adultes sans emploi ni formation, devant les personnes sans domicile fixe, les salariés (75 %) et les retraités. Près des deux tiers des sondés déclarent que la crise et ses conséquences anticipées leur ont donné envie d’être plus solidaire des autres, dont 12 % « beaucoup plus », un phénomène particulièrement marqué pour les plus jeunes (79 % des moins de 25 ans) et les plus hauts revenus (75 % dont 34 % « beaucoup plus »). Les Français considèrent d’ailleurs que les citoyens ont un rôle primordial à jouer pour construire le monde de demain (62 %), après l’État certes (80 %) et juste derrière les entreprises (64 %). 84 % des Français considèrent que les acteurs du monde associatif ont également un rôle crucial à jouer. Ce nouvel élan se traduit avant tout par la volonté d’être plus solidaire de certains membres de son entourage, pour 74 % des Français, d’effectuer des dons en nature (54 % des sondés), plus que des dons d’argent (44 % seulement) sauf chez les hauts revenus, où ils sont 76 % à projeter un don en numéraire. Ces derniers sont également plus nombreux que la moyenne des Français à envisager de s’engager bénévolement au sein d’un organisme (56 % des hauts revenus dont 26 % qui en sont certains), voire en se réorientant professionnellement (38 % dont 19 % qui pensent certainement le faire). Pour ces derniers, la crise paraît avoir agi comme un véritable révélateur. Un beau challenge à relever.