Prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine

Publié le 21/10/2016

Arrêt de Ruyter : le Conseil d’État entérine la non restitution du prélèvement de 2 %.

Le Conseil d’État vient de préciser que le prélèvement de solidarité de 2 % n’a pas à être restitué à la suite de la jurisprudence de Ruyter1. La contribution additionnelle au prélèvement social sur les produits de placement prévue par le III de l’article L. 262-24 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), dès lors qu’elle est spécifiquement affectée au financement du revenu de solidarité active, prestation qui ne relève pas de l’article 4 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 (aujourd’hui repris aux articles 3 et 70 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004), n’entre pas elle-même dans le champ d’application de ce règlement, a précisé le juge administratif.

Le prélèvement de 2 %

Aux termes de l’article 1600-0 C du Code général des impôts (CGI) « La contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine est établie, contrôlée et recouvrée conformément aux dispositions de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale », selon lequel les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du CGI sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l’établissement de l’impôt sur le revenu, notamment, des revenus de capitaux mobiliers. Cette contribution, qui a été instaurée par l’article 132 de la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, introduite dans le Code de la sécurité sociale par la loi n° 93-936 du 22 juillet 1993, est perçue au profit de la caisse nationale des allocations familiales, du fonds de solidarité vieillesse et des régimes obligatoires d’assurance maladie. Aux termes de l’article 1600-0 F bis du CGI, « I. Le prélèvement social sur les revenus du patrimoine est établi conformément aux dispositions de l’article L. 245-14 du Code de la sécurité sociale » qui prévoit que les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du Code général des impôts sont assujetties à un prélèvement social sur les revenus et les sommes visés à l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale. En application de l’article L. 14-10-4 du Code de l’action sociale et des familles, ces mêmes personnes sont également redevables d’une contribution additionnelle à ce prélèvement social. Ledit prélèvement a été instauré par la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 au profit de la caisse nationale d’allocations familiales et de la caisse nationale d’allocations vieillesse des travailleurs salariés.

Les conséquences de la jurisprudence de Ruyter

Dans un arrêt très attendu, la jurisprudence de Ruyter, la Cour de justice de l’Union européenne2 a jugé que la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ne peuvent être prélevées sur les revenus patrimoniaux perçus par des non-résidents. Dans cette affaire concernant des prélèvements sociaux perçus en France sur des rentes viagères versées par deux sociétés d’assurance installées aux Pays-Bas à un ressortissant néerlandais, M. de Ruyter, travaillant aux Pays-Bas et domicilié en France, le juge communautaire a considéré que M. de Ruyter, relevant du seul régime de sécurité sociale néerlandais, ne pouvait être soumis à des prélèvements sociaux destinés au financement du système de sécurité sociale français. Les prélèvements en cause présentaient en effet un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de la sécurité sociale. Le Conseil d’État, en juillet 2015, n’a pas manqué de suivre la position de la CJUE3. De nombreuses réclamations ont été déposées pour obtenir la restitution des prélèvements sociaux indûment perçus. Dès la fin du mois d’août 2015, 12 367 réclamations avaient été déposées pour un enjeu global de 180 millions d’euros. Bercy a précisé les modalités de restitution des prélèvements sociaux, tout en excluant le prélèvement de solidarité de 2 %, affecté spécifiquement au financement d’une prestation : le RSA, celui-ci ne finançant pas des régimes obligatoires français de sécurité sociale4. Cette position a fait l’objet d’interprétations divergentes des tribunaux administratifs saisis5.

La position de la cour administrative d’appel de Bordeaux

Dans cette affaire, Monsieur K. A., fonctionnaire des Pays-Bas à la retraite, et son épouse, affiliés au régime de sécurité sociale néerlandais en vertu de la législation de cet État, sont redevables à l’organisme néerlandais compétent, au titre de l’assurance « soins de santé », de contributions déterminées en fonction de leurs revenus. Ces ressortissants néerlandais, domiciliés dans le département de la Dordogne, ont déclaré au titre des revenus des années 2009 et 2010, les sommes de, respectivement, 18 784 euros et 17 366 euros dans la catégorie des revenus de valeurs et de capitaux mobiliers. Ils ont été assujettis à la contribution sociale généralisée, à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, au prélèvement social et à la contribution additionnelle sur ces sommes. Ils estiment que leur assujettissement à la contribution sociale généralisée et au prélèvement social, comme à la contribution additionnelle à ce prélèvement, méconnaît la règle de l’unicité de la législation de sécurité. Ils précisaient que la législation française de sécurité sociale ne pouvait leur être opposable au regard du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, en particulier de son article 13 tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes. Saisi d’une contestation de l’ensemble de ces impositions, le tribunal administratif de Bordeaux a, par jugement du 13 novembre 2012, déchargé les époux K. A. des droits qui leur ont été assignés au titre de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, mais rejeté leur demande dirigée contre les contributions sociales généralisées, les prélèvements sociaux et les contributions additionnelles auxquels ils ont été assujettis sur leurs revenus mobiliers des années 2009 et 20106. Les époux K. A. ont donc relevé appel du jugement en tant qu’il n’a pas fait droit à l’intégralité de leur demande de décharge. La cour administrative d’appel de Bordeaux a prononcé la décharge des autres impositions en litige et donc réformé partiellement le jugement du tribunal administratif7.

Le règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 modifié par le règlement (CE) n° 1606/98 du Conseil du 29 juin 1998 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté doit être interprété en ce sens que les contributions et prélèvements fiscaux, auxquels les dispositions législatives précitées soumettent les revenus de capitaux mobiliers perçus par les personnes résidant en France et relevant sur le plan fiscal de cet État, présentent, lorsqu’ils participent au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 dudit règlement et relèvent par suite du champ d’application de ce règlement alors même que ces contributions et prélèvements sont assis sur les revenus du patrimoine des personnes assujetties, indépendamment de l’exercice par ces dernières de toute activité professionnelle. Pour la cour administrative d’appel de Bordeaux, il en résulte qu’alors même qu’ils sont fiscalement domiciliés en France, les ressortissants communautaires, qui doivent être soumis à une seule législation de sécurité sociale par application du règlement (CEE) n° 1408/71, ne peuvent être assujettis à la contribution sociale généralisée, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et à la contribution additionnelle s’ils dépendent, en vertu dudit règlement, de la législation de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union.

Pour le Conseil d’État la contribution additionnelle au prélèvement social sur les produits de placement, dans la mesure où elle est spécifiquement affectée au financement du revenu de solidarité active (RSA), une prestation qui ne relève pas du champ d’application du règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971, n’entre pas elle-même dans le champ d’application de ce règlement. Le juge administratif précise que la contribution additionnelle est destinée à financer le revenu de solidarité active qui, selon l’article L. 262-1 du Code l’action sociale et des familles « a pour objet d’assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d’existence de lutter contre la pauvreté et de favoriser l’insertion sociale et professionnelle ». Et de par sa nature, le RSA n’entre pas dans le champ du règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971. « Une prestation non contributive relevant de l’assistance sociale n’entre dans le champ d’application de ces règlements que lorsqu’elle possède également les caractéristiques de la législation en matière de sécurité sociale visée au paragraphe 1 de leurs articles 4 et 3 respectifs et à la condition, notamment, qu’elle soit mentionnée à l’annexe à laquelle ces articles renvoient », précise la haute juridiction. En l’espèce, le RSA constitue une prestation non contributive relevant de l’assistance sociale. Or il résulte de la jurisprudence de la CJUE8 qu’une prestation relève de l’assistance sociale pour l’application de ce règlement « notamment lorsqu’elle retient le besoin comme critère essentiel d’application et fait abstraction de toute exigence relative à des périodes d’activité professionnelle, d’affiliation ou de cotisation ». Or conformément à l’article L. 262 2 du Code de l’action sociale et des familles dans sa rédaction alors applicable « toute personne résident en France de façon stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un revenu garanti, a droit au revenu de solidarité active ». En outre, alors même que le RSA posséderait les caractéristiques d’une législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 4, paragraphe 1 du règlement du 14 juin 1971 repris à l’article 3, paragraphe 1, du règlement du 29 avril 2004, le RSA n’est en tout état de cause pas mentionné à l’annexe II au règlement du 14 juin 1971 ni à l’annexe X au règlement du 29 avril 2004. La contribution dès lors qu’elle est spécifiquement affectée au financement qui ne relève pas de l’article 4 du règlement du 14 juin 1971 n’entre pas elle-même dans le champ d’application de ce règlement. Dès lors, la cour administrative d’appel de Bordeaux a méconnu le champ d’application de ce règlement en accordant la décharge de cette contribution au motif qu’il méconnaissait l’article 13 de ce règlement. L’arrêt rendu par les juges du fond est donc annulé en ce qu’il a statué sur la contribution additionnelle au prélèvement social. Cette décision clarifie donc la situation en confirmant l’impossibilité de restituer le prélèvement de solidarité de 2 %.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 19 juill. 2016, n° 392784.
  • 2.
    CJUE, 26 févr. 2015, n° C-623/13, Min. c/ de Ruyter.
  • 3.
    CE, 27 juill. 2015, nos 334551 et 342944.
  • 4.
    DGFiP, communiqué du 19 octobre 2015.
  • 5.
    TA Paris, 1er févr. 2016, n° 1431412/2 ; TA Grenoble, 17 déc. 2015, n° 1306196.
  • 6.
    TA Bordeaux, 13 nov. 2012 nos 1004600 et 1202257.
  • 7.
    CAA Bordeaux, 25 juin 2015, n° 13BX00115.
  • 8.
    CJUE, 28 mai 1074, n° 187/73, Odette Callemeyn c/ État Belge.
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