La situation des résidents d’un État tiers au regard des prélèvements sociaux sur les revenus du capital

Publié le 09/05/2019

Pour le juge de l’impôt que les résidents d’un État tiers à l’Union européenne continuent d’être assujettis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus du capital ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers interdite par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’UE. Le juge administratif confirme la jurisprudence communautaire Jahin, une décision qui intervient dans un contexte de nombreux contentieux soulevés par des tiers à l’Union européenne comme par des résidents des États membres de l’Espace économique européen ou la Suisse.

Pour la cour administrative d’appel de Versailles, le fait qu’une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d’un État tiers à l’Union européenne, autre que les États membres de l’Espace économique européen ou la Suisse, soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française, ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers interdite par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (CAA Versailles, 29 janv. 2019, n° 17VE01426).

La jurisprudence communautaire

Dans plusieurs arrêts rendus en 2000 par la Cour de justice de l’Union européenne  (CJUE, 15 févr. 2000, n°s C-34/98 et C-169/98) et 2015 (CJUE, 26 févr. 2015, n° C-623/13, de Ruyter) la Cour de justice a examiné si deux contributions sociales françaises, à savoir la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), pouvaient être prélevées sur les salaires, les pensions, les allocations de chômage et les revenus du patrimoine de travailleurs qui, bien que résidant en France, étaient soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre, en général parce qu’ils exerçaient une activité professionnelle dans ce dernier État. La Cour a jugé que les deux contributions en cause présentaient un lien direct et suffisamment pertinent avec la sécurité sociale, du fait qu’elles avaient pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale française ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français. Elle en a conclu que, s’agissant des travailleurs concernés, le prélèvement de ces contributions était incompatible tant avec l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale (Règl. (CEE) n° 1408/71 du Conseil, 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2 006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006) qu’avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement. En effet, étant donné que les personnes concernées, en tant que travailleurs migrants, sont soumises à la sécurité sociale dans l’État membre d’emploi, leurs revenus, qu’ils proviennent d’une relation de travail ou de leur patrimoine, ne peuvent pas être soumis dans l’État membre de résidence (en l’occurrence la France) à des prélèvements qui présentent un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de la sécurité sociale. Dans son arrêt du 27 juillet 2015, le Conseil d’État a repris les termes de la décision de la CJUE. Les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale dans un des pays entrants dans le champ d’application territorial des règlements communautaires sur la sécurité sociale ne peuvent être assujetties en France à des prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine (CE, 27 juillet 2015).

La position nationale

L’administration fiscale française a procédé au remboursement des prélèvements indûment perçus sur les revenus du patrimoine. Toutefois, elle a limité ce droit au remboursement aux seules personnes physiques affiliées aux régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen ainsi que de la Suisse, excluant ainsi les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers (DGFiP, communiqué 19 oct. 2015). Le coût du contentieux sur 2016 et 2017 est évalué à 300 millions d’euros environ (120 millions pour l’État, 180 millions pour la Sécurité sociale). En 2015, à la suite de cette jurisprudence communautaire le Conseil d’État a conduit le législateur à opérer une mise en conformité de ces prélèvements au droit de l’Union européenne lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (n° 2015-1702 21 déc. 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016 visant à mettre les prélèvements sociaux en conformité avec le droit européen par le biais de changements d’affectations budgétaires, suite à la décision de 2015, art. 24). Leur produit, et notamment celui de la CSG, a ainsi été affecté à des structures non contributives, principalement au Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Ces structures se situeraient, selon l’interprétation de la France, hors champ d’application du principe européen d’unicité de la législation sociale. Le nouveau texte a ainsi attribué au FSV la quasi-totalité des prélèvements sociaux sur les revenus du capital. En contrepartie, le FSV a cédé ses autres ressources (CSG sur les revenus d’activité et de remplacement, taxe sur les salaires, forfait social, pour l’essentiel) au régime général.

Cette solution a rapidement conduit à de nouvelles contestations dans plusieurs décisions, rendues en 2017 et 2018 (TA Strasbourg, 11 juill. 2017, et TA Châlons-en-Champagne, 29 mars 2018). Pour les juridictions concernées les changements d’affectations budgétaires opérés laissaient subsister un lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale, contraire au principe d’unicité de la législation sociale énoncé au règlement européen de 2004, et justifiant la décharge des prélèvements sociaux opérés sur les revenus de capitaux mobiliers des intéressés, en l’espèce fiscalement domiciliés en France, mais affiliés à la sécurité sociale de Suisse. Le 31 mai 2018, la cour administrative d’appel de Nancy a confirmé dans l’ensemble le jugement du tribunal administratif de Strasbourg, et a posé une nouvelle question préjudicielle à la CJUE (CAA Nancy, 31 mai 2018, n° 17NC02124).

Enfin, dernier rebondissement, afin de se mettre en conformité avec la jurisprudence communautaire, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a supprimé les prélèvements sociaux (CSG et CRDS) qui pesaient jusqu’alors sur les revenus du capital des non-résidents. Mais cette évolution ne concerne les expatriés installés dans un pays de l’Espace économique européen (Union européenne, Islande, Liechtenstein, Norvège) ou en Suisse, et non soumis à un régime français de protection sociale, mais qui relèvent du régime obligatoire de sécurité sociale d’un autre de ces États.

La jurisprudence communautaire Jahin

La solution rendue dans la présente espèce par la cour administrative d’appel de Versailles est en parfaite conformité avec la jurisprudence Jahin de la Cour de justice (CJUE, 18 janv. 2018, n° C-45/17). Dans cette affaire, le Conseil d’État a posé à la CJUE une question préjudicielle relative à l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus du patrimoine perçus par les non-résidents affiliés au régime de sécurité sociale d’un pays tiers à l’Union européenne. Le fait de limiter le droit au remboursement aux seules personnes physiques affiliées aux régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE) ainsi que de la Suisse, excluant ainsi les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers était-il conforme au droit de l’Union ? En l’espèce, le contribuable qui souhaitait obtenir le remboursement des prélèvements perçus sur ses revenus du patrimoine, des revenus fonciers et  une plus-value réalisée à la suite de la vente d’un immeuble, était un ressortissant français, résidant et travaillant en Chine et affilié à un régime privé de sécurité sociale dans ce pays. La CJUE a jugé qu’une législation telle que la législation française relative à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, au prélèvement social sur les revenus du patrimoine et à la contribution additionnelle à ce prélèvement, qui réserve un traitement plus favorable aux ressortissants de l’Union qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre, d’un État membre de l’Espace économique européen ou de la Suisse, qu’à ceux qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État tiers, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers, qui est, en principe, interdite par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La CJUE a cependant jugé qu’une telle restriction à la libre circulation des capitaux entre un État membre et un État tiers était susceptible d’être justifiée, au regard des stipulations précitées du a) du paragraphe 1 de l’article 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, par la différence de situation objective qui existe entre une personne physique, ressortissant d’un État membre, mais résidant dans un État tiers à l’Union européenne autre qu’un État membre de l’Espace économique européen ou la Suisse et qui y est affiliée à un régime de sécurité sociale, et un ressortissant de l’Union résidant et affilié à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre. Il en résulte que la circonstance qu’une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d’un État tiers à l’Union européenne, autre que les États membres de l’Espace économique européen ou la Suisse, soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française, ne constitue pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers interdite par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de prendre position en conformité avec la jurisprudence Jahin, notamment en précisant que le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et la contribution additionnelle à ce prélèvement auxquels a été assujetti un couple de ressortissants français domicilié à Monaco ne constituent pas une restriction à la libre circulation des capitaux entre États membres et pays tiers, prohibée par les stipulations du traité instituant la Communauté européenne (CE, 5 mars 2018, n° 400329).

La position du Conseil constitutionnel

Une question prioritaire de constitutionnalité, posée dans le cadre de cette dernière affaire (Cons. const., 9 mars 2017, n° 2016-615 QPC) a permis de faire le point sur la légalité des dispositions du Code de la sécurité sociale applicables aux cotisations sociales instaurant une discrimination entre les contribuables français assujettis à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne et ceux assujettis à un régime de sécurité sociale d’un État tiers, dès lors que les premiers ne pourraient être soumis à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, alors que les seconds pourraient y être soumis, au regard des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. « Il résulte des dispositions contestées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante, une différence de traitement, au regard de l’assujettissement à la contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, entre les personnes relevant du régime de sécurité sociale d’un État membre de l’Union européenne et celles relevant du régime de sécurité sociale d’un État tiers », précise le Conseil constitutionnel. Toutefois, poursuit la haute juridiction, ces dispositions ont pour objet d’assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union. « Au regard de cet objet, il existe une différence de situation, qui découle notamment du lieu d’exercice de leur activité professionnelle, entre ces personnes et celles qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers. La différence de traitement établie par les dispositions contestées est ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi. Par conséquent, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Le premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit, doit être déclaré conforme à la constitution », conclut le Conseil constitutionnel.  

Des revenus fonciers perçus par un résident aux États-Unis

Dans l’affaire jugée par la cour administrative d’appel de Versailles, Monsieur A., qui réside aux États-Unis, perçoit des revenus fonciers de source française à raison desquels il a été soumis en 2012 à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Il souhaite obtenir la décharge des cotisations de contribution sociale généralisée, de contribution pour le remboursement de la dette sociale, de prélèvement social et de contribution additionnelle au titre de l’année 2012, mis en recouvrement le 31 août 2013, à hauteur d’un montant global de 2 885 euros. Sa réclamation auprès de l’administration fiscale n’ayant pas abouti, le contribuable, s’est pourvu devant le juge administratif afin d’obtenir la décharge des prélèvements sociaux auxquels il a été assujetti à raison de ses revenus fonciers de source française, au titre de l’année 2012. Le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande (TA Montreuil, 13 déc. 2016, n° 1404226). Le contribuable se pourvoit en appel afin que ce jugement de première instance soit annulé, au motif qu’il ne bénéficie d’aucune prestation sociale en France et que l’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux est contraire au principe de libre circulation des capitaux de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prévoit que « dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ». Pour la cour administrative d’appel, Monsieur A. reprend en appel, sans l’assortir d’arguments nouveaux ou de critique utile du jugement, le moyen tiré de ce qu’il ne bénéficie d’aucune prestation sociale en France. Il convient donc d’écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges. Sur le second moyen, le juge administratif s’appuie expressément sur les conclusions de la jurisprudence Jahin selon laquelle la législation française ne constituait pas une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers interdite par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En effet, conformément au 1 de l’article 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « l’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres : a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis (…) ». Le contribuable, ressortissant français résidant aux États-Unis, n’est, par suite pas fondé à soutenir que les contributions en litige ont été mises à sa charge en méconnaissance du principe de libre circulation des capitaux prévu par ce texte, conclut le juge d’appel. Sa requête est donc rejetée.

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