Quelles piste d’imposition pour les grands acteurs de l’économie numérique ?
Les initiatives se multiplient pour permettre d’imposer les GAFA. Outre l’initiative développée par la France d’une taxe sur le chiffre d’affaires, l’OCDE et les instances communautaires travaillent à élaborer une réponse au développement de l’économie numérique.
La question de la taxation des acteurs de l’économie numérique et plus particulièrement des géants du Net (Google, Apple Facebook Amazon, les GAFA) est à la une. « De nombreuses entreprises du secteur digital – qui justement n’ont pas de présence physique – échappent peu ou prou à l’impôt – ou à tout le moins ne paient pas leur juste part », commente Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et Monétaires, à la Fiscalité et à l’Union douanière.
Google : échec et mat ?
En juillet dernier, l’administration fiscale a subi un camouflet cuisant face à Google. Dans une série d’arrêts très attendus , le tribunal administratif de Paris est en effet arrivé à la conclusion que la société irlandaise Google Ireland Limited (GIL) n’était pas imposable en France sur la période de 2005 à 2010. La société irlandaise Google Ireland Limited (GIL), filiale du groupe américain Google Inc., commercialise, en France notamment, un service payant d’insertion d’annonces publicitaires en ligne, « AdWords », corrélé au moteur de recherche Google. La société française Google France (GF), également contrôlée par Google Inc., fournit, aux termes d’un contrat conclu avec Google Ireland Limited, assistance commerciale et conseil à la clientèle française de Google Ireland Limited, constituée d’annonceurs ayant souscrit à son service « AdWords ». La société Google Ireland Limited contestait les redressements fiscaux dont elle avait fait l’objet en matière d’impôt sur les sociétés, retenue à la source, TVA, cotisation minimale de taxe professionnelle et cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, à raison des prestations de publicité qu’elle facture à ses clients français. Le tribunal administratif a donné raison à la société Google Ireland Limited en prononçant la décharge des impositions contestées.
La perspective d’une transaction
Les sommes en jeu sont conséquentes : un redressement fiscal de 1,115 milliard d‘euros.
Si l’administration fiscale a bien entendu fait appel de cette décision, elle a également fait savoir qu’elle était ouverte à la conclusion d’une transaction. Pour, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, qui s’est exprimé dans un entretien donné au journal Les Echos, mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès. Le gouvernement souhaite renforcer le lien de confiance entre les entreprises et l’État. Mais cette relation doit fonctionner dans les deux sens. C’est pourquoi, le ministre a affirmé ne pas être hostile au principe d’un accord transactionnel, qui est une possibilité offerte par le droit fiscal national. « Personne ne souhaite un long contentieux qui retarde le recouvrement de l’impôt : si Google est prêt à entrer dans une démarche sincère auprès du gouvernement français pour régulariser sa situation dans le cadre d’un accord transactionnel intelligent pour l’entreprise mais aussi pour les deniers publics, notre porte est ouverte », a-t-il précisé.
Une initiative commune de quatre ministres des Finances
Les ministres de l’Économie des 20 États membres de l’Union européenne se sont réuni à Tallin en Estonie. À cette occasion , Bruno Le Maire, Wolfgang Schäuble, Pier-Carlo Padoan et Luis de Guindos, les ministres des Finances français, allemand, italien et espagnol ont proposé de mettre en place au niveau européen un système de taxation contraignant les GAFA à payer leurs impôts dûs en Europe. Leur déclaration conjointe a été préalablement adressée à la présidence estonienne de l‘Union européenne et à la Commission. « Nous n‘accepterons plus que ces sociétés fassent des affaires en Europe tout en payant des impôts minimes à nos trésors publics », précisent les quatre ministres affirmant qu’il s’agit tout à la fois d’ « une question d‘efficacité économique, d’équité fiscale et de souveraineté. » La Bulgarie, l’Autriche, la Pologne ainsi qu’un certain nombre d’autre États européens devraient apporter leur soutien à cette initiative.
Instaurer une taxe sur le chiffre d’affaires
Cette initiative viendrait compléter le projet de directive européenne visant à instaurer une Assiette commune consolidée pour l‘impôt sur les sociétés (ACCIS). L’ACCIS constitue un ensemble de règles permettant de déterminer le résultat imposable d‘une société au sein de l‘Union européenne. La taxe d’égalisation imaginée par les quatre ministres des Finances verrait son assiette être constituée non pas des profits de ces GAFA mais par le chiffre d‘affaires qu’ils génèrent en Europe. Les montants correspondants refléteraient la réalité de leur activité dans l‘Union européenne et seraient comparables à l’impôt sur les sociétés qui devrait être normalement acquitté dans les pays où ils opèrent.
OCDE : l’apport du projet BEPS
Dans le cadre du projet BEPS, un volet important a été accordé au défi posé par l’économie numérique. Le rapport dédié aux pratiques de BEPS des entreprises du numérique analyse en détail l’économie numérique, ses modèles d’activité et ses principales caractéristiques. Si l’économie numérique ne soulève pas d’enjeux uniques en matière d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices, certaines de ses caractéristiques accentuent les problèmes existants. Celles-ci ont été prises en compte au cours des travaux portant sur la définition d’un établissement stable, des règles relatives aux prix de transfert et des règles applicables aux SEC. Ces mesures devraient permettre, une fois mises en œuvre, de contrer efficacement les pratiques de BEPS dans l’économie numérique. Le rapport insiste sur la nécessité que la TVA soit payée dans le pays de consommation. Il souligne les difficultés posées par le recouvrement de la TVA dans le cas de transactions transnationales entre entreprises et consommateurs. En s’appuyant sur les Principes directeurs internationaux pour l’application de la TVA/TPS, il préconise que la TVA sur ces transactions soit collectée dans le pays où le client se situe et propose des mécanismes correspondants efficaces.
Le rapport reconnaît que les changements induits par l’économie numérique posent aussi des questions plus systémiques concernant la capacité du système fiscal international à imposer les bénéfices sur le lieu de réalisation des activités économiques et de création de valeur. Ces questions s’articulent principalement autour de la notion de lien et du rôle des données dans l’économie moderne, et recoupent à la fois la fiscalité directe et indirecte, tant sur le plan des difficultés à résoudre que des solutions potentielles.
Le rapport ne recommande pas l’adoption du concept d’établissement stable virtuel mais analyse les solutions possibles pour répondre aux enjeux fiscaux plus larges de l’économie numérique, y compris une nouvelle norme créant un lien fondé sur une présence économique significative. Une entreprise qui dégage d’importantes recettes avec des clients situés dans un pays et qui cible les clients dans ce pays par des moyens numériques ou qui entretient des relations importantes avec des utilisateurs situés dans ce pays pourrait être considérée comme redevable de l’impôt dans ce pays en raison de sa présence économique significative. Le rapport ne recommande pas l’adoption de cette option en tant que norme internationale, mais les pays sont libres de le faire s’ils le jugent nécessaire pour combattre les pratiques de BEPS.
Bruxelle veut se donner du temps
Cette initiative pour laquelle la France bataille depuis plusieurs mois a été accueillie avec une certaine prudence par Bruxelles. « À ce stade nous voulons donner une chance aux travaux internationaux – avec l’OCDE et le G20 – gages d’une démarche plus largement partagée avec nos partenaires, et qui devraient aboutir d’ici la fin de l’année », a précisé le commissaire européen aux Affaires économiques et Monétaires, à la Fiscalité et à l’Union douanière, Pierre Moscovici. Quelle issue si cette voie internationale ne donne pas de résultats satisfaisants ? « Il faudra avancer au niveau européen, ensemble, dès le printemps prochain, en examinant toutes les options possibles. Les questions sont nombreuses et complexes : faut-il taxer le chiffre d’affaires ou les bénéfices? Comment mesure-t-on la présence d’une entreprise du secteur numérique dans un pays? », s’interroge Pierre Moscovici. Si le débat est d’ores et déjà lancé le débat avec les États membres pour trouver une solution fiscalement efficace et stratégiquement intelligente, le commissaire européen a rappelé l’impérieuse nécessité « d’avancer à 27 – et donc éviter la marche en ordre dispersé. Pourquoi ? Parce qu’en matière de fiscalité, il faut toujours appliquer le principe du plus grand dénominateur commun. Moins la réponse est globale, plus les entreprises peuvent jouer des différences entre les codes des impôts nationaux pour éviter de payer leur juste part. Avec les bricolages nationaux, on aurait d’un côté des paradis numériques où iraient s’installer les entreprises pour leur fiscalité avantageuse, et de l’autre un enfer administratif pour les entreprises européennes qui veulent se développer sur le marché unique » , avertit Pierre Moscovici. Quelle forme prendrait cete taxation ? Le commissaire européen affirme sa préférence pour une définition du concept de « présence digitale » dans la proposition communautaire sur l’assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). « Cette solution européenne en cours de discussion résoudrait toutes les questions d’un coup, parce que c’est une réforme d’envergure. La question est globale et structurelle, elle mérite une réponse également globale et structurelle. Au lieu de mettre une rustine, on changerait la roue », conclut Pierre Moscovici.
Le critère de la collecte et l’utilisation des données à caractère personnel
Le rapport préparé par Alain Lamassoure et Paul Tang co-rapporteurs au Parlement européen du projet de création d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis) à l’échelle européenne et dévoilé cet été intègre les spécificités du numérique dans un cadre unique européen. Il propose d’instaurer un nouveau critère de mesure de la présence « numérique » d’une entreprise dans un pays. Pour ce faire, ils propose d’intégrer aux critères de l’ACCIS un quatrième facteur : la collecte et l’utilisation des données à caractère personnel des utilisateurs de services et de plates-formes en ligne dans chacun des pays où leurs services sont utilisés. Aux trois critères permettant aujourd’hui d’évaluer l’activité d’une entreprise dans un pays : son siège social et ses établissement, son personnel et son chiffre d’affaires, s’ajoute un quatrième critère les données personnelles collectées. Ce dernier critère n’est pas délocalisable, précisent les rapporteurs. Il est facile de savoir si elles appartiennent ou non à un ressortissant français et il est tout aussi aisé d’en quantifier le volume. Ce projet a le mérite de ne pas cibler exclusivement les GAFA mais toutes les entreprises exerçant une activité numérique.