Réflexions sur l’amende du blanchiment de fraude fiscale

Publié le 12/12/2019

Le 11 septembre 2019, la Cour de cassation est venue préciser, par une décision remarquée, comment devait être calculée l’amende du blanchiment de fraude fiscale. Sa solution, de bon sens, devrait avoir prochainement des incidences dans d’autres affaires, et notamment la médiatique affaire UBS.

Cass. crim., 11 sept. 2019, no 18-82430, PB

1. Le 11 septembre 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu six arrêts notables cherchant à répondre à plusieurs interrogations de principe concernant la répression des délits de fraude fiscale et de blanchiment dans un contexte d’évolution du droit, sous l’impulsion en particulier de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme1. Les deux décisions consacrées spécifiquement au délit de blanchiment d’argent2 retiendront ici notre attention. Deux solutions notables sont dégagées.

2. En premier lieu, et nous seront succincts sur ce point, les arrêts en question indiquent que le blanchiment « qui s’exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée »3. En cela, il se distingue très nettement du délit de recel, autre infraction « de conséquence », qui est qualifié, quant à lui, de longue date d’infraction continue4.

3. On devrait alors en conclure que le point de départ du délai de prescription de l’action publique de l’infraction se retrouvera nécessairement au moment de la commission de son élément matériel. Cette solution connaît cependant des tempéraments, comme en témoigne l’une des décisions5. La haute juridiction y indique en effet que, lorsqu’il consiste à faciliter la justification mensongère de l’origine de biens ou de revenus ou à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit, « le blanchiment, qui a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte, notamment aux yeux de la victime et de l’autorité judiciaire, constitue en raison de ses éléments constitutifs une infraction occulte par nature » (§ 15). On rappellera que doit être qualifiée de la sorte, selon l’article 9-1 du Code de procédure pénale, « l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire ».

4. Dès lors, dans les cas où le blanchiment prendra la forme d’une infraction occulte, en l’occurrence dans l’hypothèse visée par l’article 324-1, alinéa 1, et avec la dissimulation mentionnée à l’article 324-1, alinéa 2, le délai de prescription de l’action publique ne commencera à courir qu’à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique6. Quid des autres cas de blanchiment, c’est-à-dire si l’infraction a été commise à l’aide d’une opération de placement ou de conversion ? Le délai débutera-t-il nécessairement au jour de la commission des faits ? Par principe oui. Il n’en ira différemment que si un cas de dissimulation peut être relevé de la part de l’auteur des faits7. Dans ce cas à nouveau, le point de départ du délai devra être reporté à la date où l’infraction a pu être constatée.

5. En second lieu, et ce point retiendra toute notre attention, l’une des deux décisions du 11 septembre 20198 donne des indications utiles concernant le calcul du montant de l’amende applicable au délit de blanchiment de fraude fiscale.

6. On sait que pour l’article 324-1, alinéa 3, du Code pénal : « le blanchiment est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende ». L’article 324-2 vise, quant à lui, diverses circonstances aggravantes (faits commis de façon habituelle, utilisation des facilités procurées par l’exercice de l’activité professionnelle, faits commis en bande organisée) en présence desquelles les sanctions passent à 10 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende. Toutefois, ces peines d’amende peuvent être augmentées par le juge. En effet, selon l’article 324-3, « les peines d’amende mentionnées aux articles 324-1 et 324-2 peuvent être élevées jusqu’à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment ».

7. Cette dernière notion de « valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment » peut susciter des interrogations. Certes, le plus souvent, la détermination d’une telle valeur ne sera guère difficile. Par exemple, si le blanchiment a porté sur le produit d’un vol ou d’un abus de confiance, on peut penser que cette valeur sera égale, respectivement, à celle des biens soustraits ou détournés.

8. Mais la situation se complique si l’infraction d’origine est le délit de fraude fiscale. L’arrêt, sélectionné en témoigne, puisque l’auteur du pourvoi critiquait les juges du fond de l’avoir condamné, pour blanchiment de fraude fiscale, au paiement d’une amende de 1 million d’euros. Ce montant soulevait ainsi des controverses.

9. La question se posant ici était alors la suivante : l’assiette permettant le calcul de l’amende proportionnelle qui sanctionne le blanchiment de fraude fiscale est-elle constituée par le montant des sommes imposables dissimulées ou par le montant de l’impôt éludé ?

10. La Cour de cassation estime qu’il résulte de l’article 324-3 précité que l’assiette de l’amende définie « ne peut être calculée qu’en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l’infraction d’origine » (§ 40), mais aussi qu’il se déduit de l’article 1741 du Code général des impôts « que le produit de la fraude fiscale est constitué de l’économie qu’elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés » (§ 41).

11. Or pour condamner le prévenu à une amende d’un million d’euros, l’arrêt attaqué avait énoncé que les dispositions de l’article 324-3 du Code pénal permettaient de retenir comme base de calcul le montant global des sommes créditant les comptes ouverts au nom de la société Y sur la période de référence et dont M. X était en réalité le propriétaire, soit au moins la moitié de la somme de 7 544 220 € détenue par le prévenu à la date du 30 septembre 2009 sur les comptes ouverts auprès de la banque A. en Suisse.

12. Dès lors, pour la haute juridiction, en statuant comme elle l’avait fait, la cour d’appel avait méconnu les articles 324-1, alinéa 2, 324-3 du Code pénal et 1741 du Code général des impôts (§ 43), puisque « devait être pris comme base de calcul de l’amende prononcée le montant des seuls droits éludés » (§ 44). La cassation est donc prononcée.

13. Cette solution est selon nous convaincante. Il semble erroné de prendre en considération, pour calculer le montant de l’amende, l’ensemble des fonds ayant été déposés sur le compte suisse alors que, légalement, seul « le produit direct ou indirect » de l’infraction d’origine, c’est-à-dire ici le produit de la fraude fiscale, doit servir de base au calcul. Les magistrats seront alors tenus de déterminer, au préalable, le montant exact des impositions ayant été en l’occurrence frauduleusement évitées par le prévenu.

14. La solution retenue devrait avoir, à coup sûr, des incidences dans bien d’autres décisions à venir, et notamment dans la célèbre affaire UBS.

15. Il convient en effet de rappeler que par un jugement remarqué du 20 février 2019, le tribunal correctionnel de Paris9 a reconnu la banque helvétique coupable de démarchage illicite et de blanchiment de fraude fiscale et l’a sanctionnée au paiement d’une amende de 3,7 milliards d’euros10.

16. Or le jugement indiquait déjà qu’en matière de blanchiment de fraude fiscale « le profit ne se traduit généralement pas par une recette mais plutôt par une économie : l’impôt légalement dû n’a pas été acquitté, et c’est ce montant conservé qui est le produit de la fraude fiscale susceptible de blanchiment »11. Dit autrement, seul le montant des impôts éludés doit être pris en considération ici. Nous retrouvons là la solution désormais clairement reconnue par la Cour de cassation dans sa décision du 11 septembre 2019.

17. Pour autant, si la solution posée par le tribunal correctionnel de Paris est convaincante dans sa formulation, elle l’est nettement moins dans sa mise en œuvre pratique12. Les juges ont en effet pris en considération, pour déterminer le montant de l’amende finalement infligée, la somme des avoirs provenant de repentis fiscaux français ayant eu, un temps, leur compte en banque au sein d’UBS AG. Cette somme s’élevait alors à un montant de 3 773 008 769 € pour 3 983 dossiers régularisés au 30 septembre 2015.

18. Finalement, la critique s’impose : les juges nous indiquent que seule l’économie d’impôt doit être prise en considération pour effectuer le calcul et ils se fondent, dans le même temps, sur le montant total des fonds ayant été déposés dans les livres d’UBS AG, c’est-à-dire la valeur des sommes omises. Voilà qui est contradictoire.

19. Nous ne serions donc pas surpris que, faisant suite à la solution clairement posée par la Cour de cassation dans sa décision du 11 septembre 2019, la méthode de calcul de l’amende du délit de blanchiment de fraude fiscale dans l’affaire UBS, et probablement dans d’autres affaires moins médiatiques, soit remise en cause.

20. Il appartiendra ainsi aux juges de déterminer avec précision, chaque fois, l’économie d’impôts réalisée par les clients ayant décidé de frauder le fisc français en déposant des capitaux sur des comptes bancaires non déclarés ouverts au sein de « paradis fiscaux ».

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-82430 (cumul idéal) – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-81067 (cumul idéal, fraude fiscale) – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-84144 (fraude fiscale) – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-81980 (fraude fiscale) – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-83484 (blanchiment) – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-81040 (fraude fiscale, blanchiment). Il est à noter que les décisions en question respectent les nouvelles normes de rédaction adoptées dans le cadre de la réforme de la Cour de cassation qui ont vocation à être généralisées : recours au style direct, numérotation des paragraphes, utilisation d’un plan, citation de précédents jurisprudentiels, etc.
  • 2.
    Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-81040 – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-83484 : AJ Pénal 2019, p. 498, note Lasserre Capdeville J. ; Gaz. Pal. 22 oct. 2019, n° 361r2, p. 72, obs. Morel-Maroger J. ; Gaz. Pal. 22 oct. 2019, n° 361h6, p. 14, note Dezeuze E. et Horion M. ; Dr. fisc. 2019, n° 40, comm. 390, note Le Mentec F.
  • 3.
    Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-81040, § 27 – Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-83484, § 14.
  • 4.
    Maistre du Chambon P., Rép. pén. Dalloz, v. Recel, 2009, nos 88 et s. – Sa consommation (et donc son élément matériel) se prolonge ainsi dans le temps.
  • 5.
    Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-83484.
  • 6.
    L’article 9-1 du Code de procédure pénale prévoit néanmoins, désormais, un délai « butoir » de 12 ans pour les délits et de 30 ans pour les crimes, sachant que ces délais débutent au jour où l’infraction a été commise.
  • 7.
    Selon l’article 9-1, al. 4, du Code de procédure pénale : « Est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ». L’acte de dissimulation en question devra donc être précisément relevé par le juge.
  • 8.
    Cass. crim., 11 sept. 2019, n° 18-81040. En l’espèce, M. X. avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment pour s’être, courant 2007 à 2010, frauduleusement soustrait à l’établissement et au paiement d’une partie des impôts dus au titre des années 2006 à 2009, en souscrivant des déclarations minorées en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune, tout en ayant, courant 2007 à 2010, apporté son concours à une opération de blanchiment, en l’occurrence en dissimulant le produit de sa propre fraude fiscale au travers une société, localisée en Suisse et dans les Îles-Vierges britanniques, et de profils clients sous différentes identités auprès de la banque HSBC en Suisse. L’intéressé avait finalement été condamné à 30 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’un million d’euros d’amende.
  • 9.
    T. corr. Paris, 20 févr. 2019, n° 11055092033 : Dalloz actualité, 1er mars 2019, obs. Gallois J. ; Banque et droit mars-avr. 2019, n° 184, p. 91, obs. Lasserre Capdeville J. ; AJ Pénal 2019, p. 270, obs. Saenko L. ; D. 2019, p. 541, obs. Poissonnier G. ; Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires, juin 2019, n° 3, comm. 97, note Segonds M. ; Gaz. Pal. 11 juin 2019, n° 353t3, p. 79, obs. Morel-Maroger J.
  • 10.
    L’établissement est aussi condamné au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 800 millions d’euros. La banque suisse a néanmoins interjeté appel.
  • 11.
    T. corr. Paris, 20 févr. 2019, n° 11055092033, p. 201-202.
  • 12.
    Sur ce point, notre formulation à l’AJ Pénal (AJ Pénal 2019, p. 498, note Lasserre Capdeville J.) est maladroite, car de nature à laisser penser que nous approuvons cette pratique. Tel n’est pas le cas.
X