Remise en cause de la neutralité du régime d’intégration fiscale : les modalités de réclamation sont précisées
Bercy fait le point sur les délais et voies de recours des contribuables qui déposent des réclamations afin d’être déchargés de l’impôt relatif à la quote-part de frais et charges qu’ils ont supportés, suite à la jurisprudence communautaire Steria. L’administration fiscale a mis en consultation publique ses premiers commentaires relatifs aux nouvelles dispositions votées à la suite de cette jurisprudence.
Une réponse ministérielle précise les modalités de réclamation contentieuse pour les sociétés concernées par la jurisprudence Steria1. Dans un arrêt très attendu, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a en effet précisé que les règles nationales qui réservent le bénéfice de la neutralisation de la quote-part de frais et charges aux seules sociétés mères françaises intégrantes contreviennent à la réglementation communautaire2. L’arrêt de la CJUE n’ayant été assorti d’aucune limite temporelle, un parlementaire a pris l’initiative de demander des précisions sur les délais et voies de recours des contribuables n’ayant pas encore réclamé la décharge des impositions relatives à la quote-part de frais et charges de 5 % sur les dividendes perçus de sociétés résidentes de l’Union européenne et détenues à 95 % par une société française. Pour Bercy, s’agissant des recours contentieux au titre d’exercices clos avant le 1er janvier 2016, il appartient aux sociétés qui souhaitent se prévaloir de la décision de la CJUE de déposer auprès de leur service des impôts une réclamation contentieuse dans le délai fixé à l’article R*. 196-1 du Livre des procédures fiscales à savoir au plus tard le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle du versement de l’impôt contesté. Les réclamations effectuées au titre de l’impôt sur les sociétés 2013, versé au Trésor en 2014 peuvent ainsi être déposées jusqu’au 31 décembre 2016.
Remise en cause de la neutralité du régime de l’intégration fiscale
Le régime de l’intégration fiscale, défini aux articles 223 A et suivants du Code général des impôts (CGI) permet d’imposer un groupe de sociétés sur la base de la somme algébrique de leurs résultats bénéficiaires ou déficitaires. Les opérations internes au groupe sont neutralisées lors du calcul du résultat d’ensemble par la société mère. Conformément à l’article 223 B, alinéa 2 du CGI, les produits de participation reçus par une société du groupe intégré en provenance d’une autre société du groupe intégré, ouvrent droit, lorsqu’ils sont éligibles au régime mère-fille, à une neutralisation de la quote-part de frais et charges de 5 % afférentes à ces produits, sauf s’il s’agit de distributions versées par une société intégrée au cours de son premier exercice d’intégration. Ce mécanisme de neutralisation a été étendu par le législateur3 aux dividendes versés par une société intermédiaire, sise dans un État membre de l’Union européenne (UE) ou dans un État partie à l’Espace économique européen (EEE), pour autant qu’ils proviennent d’une distribution faite par une sous-filiale intégrée à la société intermédiaire (article 223 B, alinéa 3 du CGI). Il a également été étendu aux groupes intégrés horizontaux avec des sociétés sœurs françaises, filiales d’une société mère établie dans un État de l’UE ou dans un État partie à l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales : l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein4.
Une règle contraire à la réglementation communautaire
Dans la mesure où le régime français de l’intégration fiscale est réservé aux seules sociétés établies en France, les dividendes directement versés à une société du groupe par une filiale étrangère ne sont pas éligibles au dispositif de neutralisation. La CJUE a jugé que cette réglementation qui crée une différence de traitement entre filiales françaises et filiales étrangères est incompatible avec les dispositions communautaires relatives à la liberté d’établissement codifiée aux articles 43 et 48 du Traité instituant la Communauté européenne. Cette question préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Groupe Steria SCA au ministère des Finances et des Comptes publics au sujet du refus de ce dernier de restituer à cette société une fraction de l’impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt acquittée au titre des exercices fiscaux clos des années 2005 à 2008 et correspondant à l’imposition de la quote-part de frais et charges réintégrée dans ses résultats à raison des dividendes perçus de ses filiales établies dans des États membres autres que la France.
Société mère d’un groupe intégré, la société Steria, détenait des participations supérieures à 95 % dans des filiales établies tant en France que dans d’autres États membres. En application de l’article 216 du CGI, les dividendes perçus par Steria de ses filiales établies dans d’autres États membres ont été déduits de son bénéfice net total, à l’exception d’une quote-part de frais et charges, forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus et représentant les frais et charges supportés par la société mère se rapportant à sa participation dans la filiale ayant distribué ces dividendes. Après avoir spontanément acquitté, sur cette base, l’impôt sur les sociétés et les contributions additionnelles à cet impôt, la requérante au principal a demandé, au titre des années 2005 à 2008, la restitution de la fraction de ces impositions correspondant à la quote-part de frais et charges. L’administration fiscale n’ayant pas fait droit à la demande de la requérante au principal, cette dernière a introduit un recours devant le tribunal administratif de Montreuil. À la suite du rejet de ce recours par un jugement du 4 octobre 2012, la requérante au principal a interjeté appel de ce dernier devant la cour administrative d’appel de Versailles, laquelle a choisi de poser une question préjudicielle à la CJUE. La CJUE, après avoir considéré que le fait d’exclure du bénéfice d’un tel avantage une société mère qui détient une filiale établie dans un autre État membre est de nature à rendre moins attrayant l’exercice par cette société mère de sa liberté d’établissement, en la dissuadant de créer des filiales dans d’autres États membres, a invalidé le mécanisme français contesté et répondu à la question posée par le juge d’appel français de la manière suivante : « l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation d’un État membre relative à un régime d’intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d’une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l’intégration, alors qu’une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option ».
Les conséquences budgétaires
Au 31 août 2015, 129 affaires étaient en cours, dont 20 dossiers avaient été portés devant les juridictions administratives (dont sept déjà au stade de l’appel) et 109 au stade de la réclamation. Aucune suite favorable n’avait encore été donnée à ces réclamations. L’administration fiscale estimait à ce stade que l’enjeu global lié à ces seuls dossiers serait de 335 millions d’euros. Au début du mois d’octobre 2015, ce montant était fixé à 445 millions d’euros pour 165 dossiers déposés. Il semble difficile de déterminer avec précision le coût potentiel de ce contentieux qui concerne potentiellement toutes les sociétés mères intégrantes françaises au titre de l’impôt sur les sociétés payé à compter de 2013 à raison des dividendes reçus de leurs filiales établies dans l’Union européenne et qui n’ont pas pu être totalement exonérées à raison du dispositif condamné. Les informations disponibles ont conduit le Gouvernement à évaluer son coût total à 1 milliard d’euros. Cette estimation reste néanmoins fragile et est susceptible d’évoluer en fonction des informations nouvelles qui pourront apparaître ultérieurement. Il convient toutefois de noter que, depuis la publication de la décision de la cour administrative d’appel de Versailles du 29 juillet 2014, un volume important de réclamations avait été enregistré, ce qui peut constituer un élément modérateur au regard des réclamations à venir sur la période 2013-2015.
En outre la jurisprudence Steria ouvre la voie à un autre contentieux qui se dessine relatif à la contribution de 3 % appliquée sur les montants distribués en application de l’article 235 ter ZCA du CGI. Cette contribution serait en effet incompatible avec le droit de l’Union européenne lorsqu’elle est appliquée à des distributions qui en seraient exonérées si elles intervenaient au sein d’un groupe intégré. C’est notamment le cas lorsque la société mère est résidente d’un État de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen et remplirait les conditions pour être tête de groupe d’intégration fiscale si elle était Française. La contribution de 3 % a fait l’objet en date du 26 février 2015 d’une procédure en infraction ouverte par la Commission européenne afin d’examiner sa compatibilité avec le droit communautaire, sur le fondement de l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Un certain nombre de réclamations ont déjà été adressées à l’administration fiscale. Le tribunal administratif de Montreuil, par ordonnance en date du 6 avril 20165, vient d’ailleurs, dans le cadre d’un de ces contentieux, de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État, relative à la conformité aux principes d’égalité devant la loi fiscale et d’égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de la contribution additionnelle de 3 % portant sur les revenus distribués. Précisons, en outre que les contribuables concernés ont jusqu’au 31 décembre 2016 pour effectuer une réclamation contentieuse relative à la contribution de 3 % qu’ils ont acquittée en 2014.
L’intervention du législateur
À la suite de l’arrêt rendu par la CJUE le législateur a modifié les textes critiqués. L’article 40 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 a donc aménagé le régime des groupes de sociétés codifié aux articles 223 A et suivants du Code général des impôts (CGI) afin de mettre la législation française en conformité avec le droit européen. Il a supprimé, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, la neutralisation de la quote-part de frais et charges du régime des sociétés mères, prévu à l’article 145 du CGI et à l’article 216 du CGI, afférente aux dividendes versés entre sociétés d’un même groupe. Compte tenu du coût que représente cet aménagement pour les groupes fiscaux, corrélativement, le taux de la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes éligibles au régime mère-filles a été abaissé à 1 %, non seulement lorsqu’ils sont versés entre membres d’un même groupe, mais aussi lorsqu’ils sont distribués par des sociétés établies dans un autre État de l’Union ou de l’Espace économique européen qui, si elles avaient été établies en France, auraient rempli les conditions pour être membres du groupe fiscal. Ces aménagements s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016.
Les premiers commentaires de l’administration fiscale
Au printemps dernier, l’administration fiscale a publié ses premiers commentaires provisoires sur ces nouvelles règles et les a mis en consultation publique du 4 mai 2016 au 4 juin 2016 pour permettre aux personnes intéressées de lui adresser leurs remarques éventuelles6. Ces remarques doivent être formulées par courriel adressé à l’adresse suivante : [email protected]. Les entreprises peuvent d’ores et déjà se prévaloir de ces commentaires jusqu’à leur éventuelle révision à l’issue de la consultation.
L’administration fiscale donne deux exemples d’application des nouvelles dispositions. Premier exemple : la société M, établie en France, détient directement à 100 % la société F, également établie en France, et avec laquelle elle forme un groupe vertical (en application du premier alinéa du I de l’article 223 A du CGI). La société F détient à 100 % la société A, soumise en Italie à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés, et qui remplit les conditions pour être membre du groupe vertical formé par la société M, sauf celle d’être soumise à l’impôt sur les sociétés en France. Dans ces conditions, la quote-part de frais et charges du régime des sociétés mères s’applique au taux de 1 % aux distributions que perçoit la société F de la société A.
Deuxième exemple : comme précédemment, la société M détient directement à 100 % la société F, et ces deux sociétés sont soumises à l’impôt sur les sociétés en France dans les conditions de droit commun. En revanche, la société A, soumise en Italie à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés, est détenue à 5 % par la société F, et à 95 % par la société E, établie en Allemagne. La société E détient à 100 % la société M. Si la société M exerce l’option pour former avec la société F un groupe vertical, la quote-part de frais et charges s’applique au taux de 5 % aux distributions que perçoit la société F de la société A. En effet, la société A n’est pas détenue à 95 % au moins, directement ou indirectement, par la société mère M : elle ne remplit donc pas les conditions propres à la forme du groupe auquel appartient la société F bénéficiaire des distributions. En revanche, si la société M exerce l’option pour former avec la société F un groupe horizontal dont est entité mère non résidente la société E, la société A remplit les conditions pour être membre de ce groupe horizontal (puisqu’elle est détenue à 95 % au moins par l’entité mère non résidente E, directement ou indirectement dans les conditions prévues pour les groupes horizontaux), hormis celle d’être soumise à l’impôt sur les sociétés en France. Dans ces conditions, la quote-part de frais et charges du régime des sociétés mères s’applique au taux de 1 % aux distributions que perçoit la société F de la société A.
Notes de bas de pages
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1.
Rép. min. n° 91894 ; Goujon P. : JOAN, 17 mai 2016, p. 4234.
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2.
CJUE, 2 sept. 2015, n° C386/14, Groupe Steria SCA.
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3.
L. n° 2009-1674, 30 déc. 2009, Finances rectificative pour 2009 : JO, 31 déc. 2009, n° 303.
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4.
L. n° 2014-1655, 29 déc. 2014, Finances rectificative pour 2014 : JO, 31 déc. 2014, n° 0301.
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5.
TA Montreuil, 4 avr. 2016, n° 1600379, Sté Apsis.
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6.
http://bofip.impots.gouv.fr/bofip, actualité du 4 mai 2016.