Repenser la taxation de la transmission à titre gratuit

Publié le 27/02/2017

Dans une note d’analyse, France Stratégie, l’institut de réflexion rattaché à Matignon, s’est penché sur notre système fiscal de taxation des successions et des donations. Constatant que le patrimoine des seniors ne cesse d’augmenter, que les héritages confortent les inégalités existantes, il préconise de revoir la fiscalité des successions, en ne les faisant plus reposer sur le lien de parenté mais sur le niveau de patrimoine reçu tout au long de la vie.

Repenser la fiscalité des transmissions à titre gratuit sans tenir compte du lien de parenté ? Taxer en fonction de la masse reçue tout au long de la vie ? Dans une récente note d’analyse1, France Stratégie, think tank de Matignon, repense en profondeur la fiscalité en matière de successions et de donations, un enjeu majeur pour la société française.

Un patrimoine élevé mal réparti

Le think tank part du constat que le système d’imposition des donations et des successions actuelles en France accentue les inégalités de patrimoine. La valeur accumulée par les ménages représente aujourd’hui environ huit années de leur revenu disponible net, contre 4,5 années au début des années 1980. Conséquence : rapportée au revenu, la valeur du patrimoine français est l’une des plus élevée au monde, juste après le Japon et l’Italie. La valeur totale des actifs des ménages résidents équivaut à celle des ménages allemands, qui sont pourtant 25 % plus nombreux.

Si l’on peut se réjouir de ce niveau de richesse nationale, on peut regretter leur insuffisante répartition. En France, les patrimoines sont en effet répartis de manière beaucoup plus inégalitaire que les revenus : la quasi-totalité du patrimoine est entre les mains de la moitié de la population et les 10 % les plus fortunés possèdent la moitié du patrimoine total. La moitié de la population la plus aisée en termes de niveau de vie ne concentre que les deux tiers des revenus après impôts et prestations, et les 10 % les plus aisés, un quart.

De plus, cette situation progresse : sous l’effet de l’envolée des prix de l’immobilier, les inégalités de patrimoine se sont accrues entre 1997 et 2008. Sur une vingtaine d’années, le patrimoine brut moyen des 10 % des ménages les plus riches a progressé de 700 000 à 1,2 million d’euros actuels. À l’opposé, celui des 50 % les moins fortunés est passé de 18 000 à 45 000 euros.

La concentration est également un phénomène générationnel, bénéficiant aux âges les plus élevés, car sa progression s’est opérée dans un contexte de vieillissement de la population. Pour preuve : alors qu’en 1986, le patrimoine net médian des plus de 70 ans représentait le tiers de celui des 50-59 ans, il est aujourd’hui à un niveau comparable. À l’inverse, le patrimoine net médian des moins de 40 ans a fondu de moitié par rapport à celui des 50-59 ans. Ce phénomène s’explique : les plus de 60 ans ont bénéficié d’une situation favorable sur le marché du travail, ainsi que de plus-values financières et surtout immobilières importantes. De ce point de vue, la situation des jeunes générations s’est détériorée.

20 % des revenus sont transmis chaque année

Les transmissions de patrimoine ont fortement augmenté depuis les années 1980 : chaque année, le patrimoine transmis représente presque 20 % du revenu des ménages. Pour autant, les écarts de patrimoine entre générations ne s’en trouvent pas réduits car on hérite à un âge de plus en plus élevé. De plus, les transmissions patrimoniales sont source d’inégalités à l’intérieur des générations entre héritiers et non-héritiers. Ces phénomènes vont s’amplifier. Du fait de la hausse de l’espérance de vie, l’âge moyen auquel on hérite devrait continuer d’augmenter, passant de 50 ans aujourd’hui à 58 ans en 2050. Les transmissions aux plus jeunes générations s’en trouveront freinées. En outre, le nombre des successions va lui aussi progresser avec les décès parmi la génération du baby-boom : le nombre de décès annuels devrait passer de l’ordre de 550 000 avant 2015 à 650 000 en 2035, et 750 000 après 2050.

Compte tenu des projections, les transmissions annuelles reçues par les ménages pourraient représenter près d’un quart de leur revenu disponible en 2050, contre un peu moins d’un cinquième aujourd’hui et un dixième en 1990. Ce sera même un tiers si le patrimoine net moyen par âge continue à croitre au même rythme que sur les vingt-cinq dernières années.

Une société d’héritiers

Pour le think tank, « ces tendances économiques et démographiques (…) justifient un réexamen de notre système de fiscalité des transmissions, dont les principes ont été en grande partie fixés il y a plus de deux siècles. Depuis la loi du 15 juin 1791, c’est la part reçue par l’héritier qui est taxée à un taux qui varie selon le degré de parenté entre le défunt et l’héritier : la taxation est modérée pour les transmissions aux enfants et forte pour les autres ». Aujourd’hui, environ 50 % des recettes fiscales proviennent des transmissions en ligne indirecte, qui ne représentent pourtant que 10 % des flux de transmissions.

Depuis 1901, le taux d’imposition dépend du lien parenté et du montant de la part transmise, avec l’instauration d’une taxation progressive. Les évolutions apportées par la suite ont concerné le niveau de taxation (exonérations, abattements, taux et tranches d’imposition). Pour le think tank, « le contexte actuel de re-patrimonialisation des économies développées » incite à réinterroger l’architecture même et les objectifs du système dans son ensemble. S’y ajoute un besoin de lisibilité.

L’égalité des chances comme objectif

La fiscalité des transmissions doit être repensée pour contribuer à une meilleure égalité des chances entre individus et prévenir le risque d’une société d’héritiers, dans laquelle les niveaux de revenus et de consommation des individus dépendent plus de ce qui leur a été transmis que des talents et des efforts qu’ils ont eux-mêmes déployés pour se former et travailler.

Pour ce faire, France Stratégie préconise de relever le niveau d’imposition des individus recevant plus de patrimoine. Il faudrait revenir sur la progressivité de la fiscalité des transmissions qui aboutit à faire payer beaucoup certains individus qui reçoivent peu comme les oncles et sœurs, et peu certains qui reçoivent beaucoup comme les enfants. Sans compter que la progressivité est réduite par l’exonération de certains actifs, que l’on retrouve surtout dans les gros patrimoines, comme les œuvres d’art, et sous conditions, les entreprises.

De plus, il convient d’inciter à ce que le capital soit davantage détenu par les actifs, en encourageant les transmissions vers les jeunes générations. Cela favoriserait l’investissement productif. Actuellement, la donation n’a en effet aucun intérêt fiscal pour la majorité des ménages, exonérée dans 85 % des cas par l’effet de l’abattement de 100 000 euros des enfants. Seuls les détenteurs de patrimoines importants sont incités fiscalement à faire des donations, pour réduire leur impôt sur la fortune (ISF) et les frais de succession. Pour le think tank, leur taxation pourrait représenter « une occasion d’alléger la fiscalité pesant sur le travail, particulièrement élevée dans notre pays ». La remise à plat de la fiscalité des transmissions pourrait prendre deux voies.

Conserver le cadre actuel en l’amendant

La première conserverait la logique du système actuel en le rendant plus incitatif. Il s’agirait d’abord de renforcer l’incitation fiscale à la donation, pour que les transmissions soient plus précoces. L’abattement de 100 000 euros en cas de transmissions par décès pourrait être abaissé, voire supprimé, mais celui applicable aux donations maintenu. Enfin, l’exonération des contrats d’assurance-vie pourrait être mieux encadrée. Facile à mettre en place, cette réforme paramétrique ne s’attaque toutefois pas à l’inégalité des chances, ni aux défauts de la progressivité.

Centrer la fiscalité sur l’héritier

La seconde voie est plus ambitieuse : elle consiste à remplacer nos droits de mutation par un système entièrement construit autour de l’héritier, taxé en fonction de son âge et du montant du patrimoine reçu tout au long de la vie, comme en Irlande depuis 1976.

Le taux de taxation sur les transmissions augmenterait en fonction du montant de patrimoine hérité par un individu durant sa vie. Le montant à payer à chaque héritage dépendrait des sommes déjà reçues, et non de la somme transmise par le seul défunt. Ce système permet de s’assurer qu’un individu recevant beaucoup paie un taux supérieur à celui qui reçoit peu, en limitant les possibilités d’optimisation fiscale. En théorie, il incite les détenteurs de patrimoine à transmettre à des individus ayant peu hérité au cours de leur vie.

Pour inciter les transmissions aux plus jeunes, dont les petits-enfants, des abattements pourraient être mis en place avant un certain âge, réduction qui diminuerait avec le patrimoine reçu, pour ne pas accorder un avantage fiscal trop important aux grosses transmissions. Si les mesures propres aux transmissions entre conjoint et en ligne indirecte pourraient subsister, les avantages liés à la transmission de l’assurance-vie, des entreprises et œuvres d’art seraient dans ce cadre révisés.

Doter les jeunes adultes en capital

La troisième option consiste à s’intéresser à la situation des individus qui ne bénéficient d’aucune transmission, soit 50 % de la population. Il s’agirait de mettre en place un impôt négatif, qui doterait l’ensemble des individus d’un patrimoine minimal. Une partie des recettes fiscales sur les transmissions serait versée à un fonds destiné à financer une dotation en capital allouée à chaque individu en début de vie adulte.

Notes de bas de pages

  • 1.
    « Comment réformer la fiscalité des successions ? », www.strategie.gouv.fr.
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