Transmission d’entreprise : secousses sur les pactes Dutreil (1/2)
Bercy vient de mettre à jour ses commentaires relatifs au dispositif Dutreil. Soumis à la consultation publique, ces commentaires applicables depuis le 6 avril dernier, provoquent de vives réactions de la part des professionnels de la transmission d’entreprise. Focus sur les évolutions relatives au champ d’application du dispositif : activité éligible, société interposée et holding animatrice.
L’administration fiscale vient de mettre à jour ses commentaires sur le dispositif Dutreil, intégrant les aménagements apportés par la loi de finances pour 2019 (L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018) ainsi que les jurisprudences marquantes intervenues sur le sujet. Mis en consultation publique du 6 avril au 6 juin 2021, ces commentaires sont applicables tant qu’ils ne font pas l’objet de modifications ultérieures (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10).
« Compte tenu du caractère exceptionnel de cette opération – qui survient, en principe, une seule fois dans la vie du chef d’entreprise – et des enjeux fiscaux successoraux qui peuvent conditionner la pérennité financière d’un groupe familial, la sécurité juridique ne doit pas laisser de place au doute », analyse Stéphane de Lassus, avocat associé du cabinet Charles Russel Speechlys. « Or certains points relatifs à l’activité de l’entreprise et aux personnes liées par l’engagement suscitent des demandes de corrections des praticiens spécialisés ».
Une exonération de 75 %
Prévu sous l’article 787 B du Code général des impôts (CGI), le dispositif Dutreil a été créé par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique afin d’encourager la transmission d’entreprise à titre gratuit. Ce régime permet d’alléger considérablement le coût fiscal de la transmission puisqu’il prévoit une exonération de droits de mutation des parts et actions de sociétés cédées pour les 3/4 de leur valeur.
Le champ de l’exonération est réservé aux entreprises dont l’activité exercée à titre prépondérant est commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale. Sont exclues les activités purement civiles comme la gestion financière ou immobilière.
Cette exonération est notamment conditionnée par le maintien de l’actionnariat au capital de l’entreprise et par l’engagement de conserver les titres bénéficiant de l’exonération partielle. En effet, les titres doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation pris par le défunt ou le donateur pendant au moins deux ans, puis, au moment de la transmission, d’un engagement individuel de chacun des bénéficiaires de la transmission de conserver les titres pendant au moins 4 ans. Enfin, parallèlement, l’un des associés qui prend part à l’engagement collectif doit exercer une fonction de direction pendant la durée de l’engagement collectif et pendant les trois ans qui suivent la transmission.
Depuis sa création, le dispositif Dutreil a été réformé de nombreuses fois, au gré des aménagements apportés par les lois de finances, pour mieux prendre en compte la pratique de la transmission et l’adapter aux réalités concrètes de la vie des affaires.
Ainsi, pour encourager le développement des actions à droits de vote double, les seuils de détention prévus pour les droits financiers sont réduits de moitié. Désormais, pour les engagements souscrits à compter du 1er janvier 2019, l’engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote dans les sociétés cotées, et sur 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote dans les sociétés non cotées.
L’exclusion de l’activité de location
Parmi les activités éligibles, les commentaires indiquent que pour les besoins du dispositif Dutreil, les activités commerciales s’entendent de celles mentionnées à l’article 966 du Code général des impôts relatif à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) : « N’est pas considérée comme une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale l’exercice par une société ou un organisme d’une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier ». Sont donc considérées comme activités commerciales, les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI, à l’exclusion des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier.
L’administration ajoute que sont exclues :
– les activités de location de locaux nus, quelle que soit l’affectation des locaux ;
– les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation ;
– les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaires à leur exploitation ;
– les activités de promotion en restauration de son patrimoine immobilier, consistant à faire effectuer des travaux sur ses immeubles.
« L’administration va plus loin que les exclusions en matière d’IFI, elle crée quasiment une catégorie d’activité immobilière non commerciale propre au dispositif Dutreil », analyse Stéphane de Lassus. « Pourtant, certaines activités de location nue ou meublée revêtent indéniablement un caractère commercial. Tel peut être le cas de la location de la holding à une société opérationnelle du groupe pour des biens nécessaires à l’exploitation, ou encore, de la location accompagnée de prestations de service de type para-hôtelier ».
Activité opérationnelle prépondérante
L’administration intègre la jurisprudence récente du Conseil d’État sur l’éligibilité au dispositif Dutreil des transmissions d’entreprise exerçant une activité mixte (CE, 23 janv. 2020, n° 435562). Pour mémoire, cet arrêt a annulé les critères posés par la doctrine administrative pour apprécier le caractère prépondérant de l’activité éligible.
Celle-ci exigeait que le chiffre d’affaires de l’activité éligible représente plus de 50 % du chiffre d’affaires total de la société, et que l’actif brut immobilisé affecté à cette activité représente plus de 50 % de l’actif brut total.
Annulant les deux critères, la haute juridiction administrative a considéré que « Cette prépondérance [s’apprécie] en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».
L’administration indique tirer conséquence de cette jurisprudence et apporte de nouveaux critères : « À titre de règle pratique, il est admis qu’une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total ».
Holding animatrice mixte
Les commentaires intègrent également les apports de la jurisprudence relative à l’éligibilité des holdings animatrices exerçant une activité mixte. Pour mémoire, dans son arrêt du 13 juin 2018, le Conseil d’État avait jugé que la prépondérance de l’animation se justifie au regard de la valeur vénale de ses titres de participation ; en l’occurrence la valeur vénale de la filiale « animée » dans l’actif de la société holding représentait une quote-part de plus de 50 % (CE, 13 juin 2018, n° 395495).
Cette position conduisant à délaisser une qualification d’après la valeur bilantielle au profit de la valeur vénale de l’actif immobilier a été confirmée par la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 octobre 2020. Elle a retenu que le caractère principal de l’activité d’animation de groupe doit être retenu « notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition des titres de ces filiales détenus par la société holding, représente plus de la moitié de son actif total » (Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-17955). Le BOFiP s’aligne donc sur ces jurisprudences. Toutefois, selon l’avocat, « Il aurait été appréciable que l’administration donne une grille d’analyse du seuil de 50 % pour l’appliquer par exemple en présence d’une sous-holding ou de dettes de financement internes du groupe ».
Sociétés interposées
La loi de finances pour 2019 a confirmé qu’en présence de sociétés interposées, le niveau de participation doit rester inchangé à chaque niveau d’interposition tant pendant la durée de l’engagement collectif que pendant la phase d’engagement individuel de conservation. La loi a également ouvert le bénéfice de l’engagement réputé acquis aux cas de détention indirecte par l’intermédiaire d’une société interposée, alors que ce dispositif était auparavant réservé aux sociétés détenues directement par l’auteur de la transmission. Dans une telle hypothèse, l’exonération partielle porte sur la valeur des titres détenus dans la société interposée à concurrence de la valeur de son actif brut représentative de la participation dans la société exploitante faisant l’objet de l’engagement réputé acquis. Les participations détenues par le contribuable dans la société interposée et celles détenues par la société interposée dans la société exploitante doivent rester inchangées jusqu’au terme de l’engagement individuel.
« L’administration a ajouté une condition qui ne figure pas dans la loi », a indiqué Stéphane de Lassus. L’administration précise en effet que « Les personnes physiques porteuses de parts de sociétés interposées qui souhaitent les transmettre sous le bénéfice de ces dispositions doivent être signataires de l’engagement collectif de conservation dans la société cible ». « En pratique, cette condition nouvelle qui exige la détention d’une participation directe dans la société cible remet en cause de nombreux schémas dans lesquels le fondateur n’a de détention directe que dans sa holding familiale. Doit-il se céder à lui-même des titres pour les détenir en direct ? Cette condition est un non-sens économique et juridique. Elle vide de substance l’ouverture du régime, par la loi, aux sociétés interposées », considère l’avocat.
Référence : AJU000w3