Transmission d’entreprises : des nouveautés fiscales favorables

Publié le 18/03/2019

La loi de finances pour 2019 améliore le régime des pactes Dutreil sur de nombreux points : ouverture aux entreprises individuelles, assouplissement du « réputé acquis », apports de titres à une holding. Le législateur a également aménagé le régime de l’apport cession de titres au regard de l’impôt sur le revenu. Le point avec Arlette Darmon, notaire, présidente du Groupe Monassier.

La loi de finances pour 2019 a apporté son lot d’ajustement aux dispositifs Dutreil. Celui-ci était initialement prévu dans le projet de loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) mais, parce qu’il engage les recettes publiques, il a été intégré à la loi de finances pour 2019 (L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018, de finances pour 2019, JORF n° 0302 du 30 déc. 2018). Le point sur les modifications apportées qui vont – presque – toutes dans le sens d’un assouplissement.

Pour mémoire, le dispositif Dutreil, instauré en 2003 prévoit une exonération des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de leur valeur des titres d’une société opérationnelle (CGI, art. 787 B). Entre autres conditions, les titres doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation des titres de deux ans avant la transmission et d’un engagement individuel de quatre ans.

En outre, l’un des signataires du pacte doit exercer une fonction de direction un an avant la transmission et 3 ans après la transmission (seul ce second délai s’applique également au cas où la fonction est exercée, après la transmission par le bénéficiaire de celle-ci).

 

Actions à droits de vote double

Chaque année, les lois de finances s ‘efforcent de parfaire le dispositif pour l’adapter à la pratique et à la réalité de l’entrepreneuriat français. Cette année, la loi de finances pour 2019 a abaissé les seuils de détention. Jusqu’à présent la transmission devait porter au moins sur 34 % des droits financiers et des droits de vote pour une société non cotée, et 20 % pour une société cotée. Ces seuils ont été modifiés et distinguent désormais les droits financiers et les droits de vote.

Les pactes conclus à compter du 1er janvier 2019 doivent porter sur 17 % de droits financiers et 34 % des droits de vote d’une société non cotée et 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote d’une société cotée. Comme avant, des titres peuvent faire l’objet de plusieurs pactes, pour que soit atteint le seuil requis pour bénéficier de l’exonération.

« En rendant prioritaires les prérogatives politiques des titres, cette évolution permet de prendre en compte les particularités des actions de préférence, et notamment des droits de vote double, explique Arlette Darmon, notaire, présidente du Groupe Monassier. Par ailleurs, ces seuils s’appliquent également aux holdings non animatrices et de façon générale, à toutes les sociétés interposées ».

À noter que pour la détermination des seuils de détention et l’exercice des fonctions de direction, la situation du concubin peut être prise en compte «  à condition de correspondre à la notion de concubinage notoire et de produire le certificat correspondant », précise la notaire.

 

Ouverture aux entreprises individuelles

Fait marquant, les pactes Dutreil ouvrent leur champ aux sociétés unipersonnelles. En effet, pour les pactes conclus avant le 1er janvier 2019, l’engagement collectif de conservation des titres devait être souscrit avec au moins un autre associé.  L’exonération ne pouvait donc pas s’appliquer aux sociétés unipersonnelles, sauf pacte réputé acquis, lequel était alors fermé aux sociétés interposées. L’administration acceptait toutefois d’appliquer l’article 787 C du CGI réservé aux entreprises individuelles lequel prévoit également une exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit.

Pour sécuriser cette situation, le législateur a expressément ouvert les pactes Dutreil aux sociétés unipersonnelles sans pour autant bouleverser la structure du dispositif,  qui comporte toujours une phase d’engagement dit collectif. « Cela a pour effet d’autoriser une personne seule à souscrire un engagement collectif individuel, indique Arlette Darmon. Mais à part sa durée, l’engagement est facile à porter puisque l’associé signataire bénéficie d’une maîtrise totale de cet engagement en n’étant pas dépendant du comportement d’autres signataires en cours d’engagement collectif comme cela est le cas en présence de plusieurs associés. D’ailleurs, il peut être utile pour l’associé unique d’une EURL ou d’une SASU  de souscrire un engagement collectif individuel à titre conservatoire lorsque cela est possible, afin d’éviter les écueils du pacte réputé acquis.

 

Régime du « réputé acquis » étendu aux sociétés interposées

La loi de finances pour 2019 a également amélioré le régime dit du « réputé acquis » sur deux points. Pour mémoire, ce dispositif permet de bénéficier de l’exonération partielle en l’absence d’engagement collectif en cours lors de la donation ou de la transmission par décès, sous réserve que, durant les deux années précédant la transmission, les seuils de détention requis et les conditions relatives à l’exercice d’une activité principale ou d’une fonction de direction aient été respectées. Autrement dit, il est possible de « valider » les deux années de l’engagement collectif a posteriori.

« Jusqu’à présent les conditions d’application du « réputé acquis » s’appréciaient en tenant compte des titres détenus et des fonctions exercées par le conjoint ou le partenaires de pacs, explique Arlette Darmon. Désormais, il est tenu compte des parts du concubin notoire, par référence à l’article 515-8 du Code civil qui le définit comme une « union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. Il est d’ailleurs toujours possible de se référer à la jurisprudence et aux commentaires administratifs relatifs au concubinage notoire en matière d’ISF/IFI ».

Surtout, le bénéfice du « réputé acquis » est désormais étendu aux sociétés interposées. « C’est une grande avancée puisque cela concerne les holdings non animatrices », se réjouit Arlette Darmon. En revanche, des incertitudes demeurent quant à la portée de l’extension : est-elle limitée à un ou deux niveaux d’interposition ? « D’après les travaux parlementaires, le régime du « réputé acquis » ne bénéficie qu’à un seul niveau d’interposition. Mais la rédaction retenue de l’article 787 B du CGI ne fait pas apparaître cette limite. En effet, le texte renvoi au 3 du B de l’article 787 B du CGI qui fixe le régime applicable aux sociétés interposées avec un ou deux niveaux d’interposition. En attendant une confirmation de Bercy, il nous semble prudent de s’en tenir à l’intention du législateur et donc à un seul niveau d’interposition, conseille-t-elle.

Les conditions d’application du régime réputé acquis aux sociétés interposées sont les suivantes. Les participations doivent rester inchangées à chaque niveau d’interposition, jusqu’au terme de l’engagement individuel. L’exonération partielle est assise sur la valeur des titres de la société interposée, à proportion de la valeur réelle de son actif brut, qui correspond à la participation ayant fait l’objet de l’engagement collectif de conservation. Enfin, l’activité principale ou la fonction de direction doit être exercée dans la société cible opérationnelle et non pas dans la société interposée.

 

Apport des titres à une holding

Le bénéficiaire de la transmission exonérée peut apporter les titres transmis à une société holding dans des conditions très restrictives sans que l’exonération soit remise en cause. Selon la notaire, « la réécriture complète de l’article 787 B, f du CGI va grandement faciliter les opérations de « family buy out ». La loi de finances pour 2019 a en effet assoupli le régime sur trois points.

Premièrement, l’apport est désormais possible en cours d’engagement collectif, par les bénéficiaires de l’exonération et/ou les autres signataires de l’engagement collectif. Il est également ouvert aux apports de titres d’une société interposée dans la limite d’un seul niveau d’interposition.

Deuxièmement, les conditions relatives à la holding de reprise sont allégées. En effet, la condition liée à l’objet exclusif de la holding est abandonnée. Elle est remplacée par une condition de valeur réelle de l’actif brut qui doit être composée à plus de 50 % de participations dans la société exploitante. Quant à la condition de détention du capital de la holding : 75 % du capital et des droits de vote doivent être détenus par les signataires de l’engagement collectif et/ou les bénéficiaires de l’exonération, ce qui rend possible la présence de  tiers investisseurs au capital de la holding.

Enfin, l’un des bénéficiaires de l’exonération ou l’un des signataires de l’engagement collectif doit assumer une fonction de direction.

 

Suppression de l’obligation déclarative annuelle

Sur le volet des formalités déclaratives, la loi de finances pour 2019 fait un grand pas en avant, par la suppression de l’attestation annuelle. En revanche, les formalités à la charge du bénéficiaire de l’exonération sont maintenues dans trois situations : lors de la transmission de l’entreprise, à l’échéance de l’engagement individuel (dans les 3 mois), et à tout moment sur demande de l’administration fiscale.

« Toutefois, la suppression de la déclaration annuelle ne doit pas aboutir à ce que le chef d’entreprise oublie qu’il est engagé dans un pacte Dutreil. Ses conseils doivent le lui rappeler, remarque Nicolas Jonquet, notaire à Troyes. En outre, compte tenu des délais de prescription, à l’occasion de la transmission de l’attestation à fournir à l’échéance de l’engagement individuel (a priori 4 ans après la transmission), l’administration fiscale peut revenir sur une transmission intervenue 12 ans auparavant. Il est donc fondamental de rappeler régulièrement au chef d’entreprise les conditions de validité de ses engagements pour que celles-ci soient respectées ».

 

Limitation des remises en cause

Par ailleurs, la loi de finances pour 2019 limite les cas de remise en cause. «  Désormais, l’offre publique d’échange préalable à une fusion ou à une scission est considérée comme une opération intercalaire, indique Arlette Darmon. L’exonération ne sera donc pas remise en cause si les titres reçus en contrepartie de l’opération sont conservés jusqu’au terme de l’engagement et si la fusion ou la scission sont réalisés dans l’année qui suit la clôture de l’OPE. Enfin, en cas de cession de titres par le bénéficiaire de la transmission en cours, d’engagement collectif, l’exonération ne se limitera qu’aux seuls titres cédés si l’acquéreur est un autre signataire du pacte ».

 

Des points négatifs

En matière de régime des sociétés interposées, la loi de finances pour 2019 légalise la doctrine administrative selon laquelle le niveau des participations doit rester inchangé à chaque niveau d’interposition, y compris en cours d’engagement individuel.  «  En outre, on peut regretter que le législateur n’en ait pas profité pour définir la notion de holding animatrice. Cela aurait apporté une sécurité juridique bienvenue », ajoute Arlette Darmon.

 

Apport-cession de titres

À compter des aménagements applicables aux cessions de titres apportés réalisées en 2019, la loi de finances pour 2019 aménage le dispositif de l’article 150-0 B ter du CGI sur deux points. Pour mémoire, le report d’imposition de la plus-value d’apport à une société contrôlée par l’apporteur prend fin lorsque la société bénéficiaire de l’apport cède les titres apportés dans un délai de 3 ans suivant l’apport, sauf si la société prend l’engagement de réinvestir une partie du produit de cession dans une activité économique éligible.

« Tout d’abord, il relève le seuil de réinvestissement de 50 à 60 %, indique la notaire. Ensuite, il élargit la notion de réinvestissements éligibles ». Sont désormais admises les souscriptions de parts ou d’actions dans des fonds commun de placement à risques (FCPR), fonds professionnels de capital investissement (FCPI), sociétés en libre partenariat (SLP) et sociétés de capital-risque (SCR) et dans des organismes similaires établis dans un État partie à l’EEE (Union européenne, Islande, Norvège et Liechtenstein) ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

D’autres mesures améliorant la transmission d’entreprises sont à signaler. « Le crédit d’impôt pour le rachat d’une entreprise par les salariés (CGI, art. 220 nonies), n’est plus conditionné par la participation d’un nombre minimum de salariés à l’opération, pour les rachats effectués jusqu’au 31 décembre 2022 », indique Arlette Darmon. En revanche, un dispositif anti-abus a été mis en place afin d’éviter la conclusion de contrat de complaisance pour bénéficier indûment du crédit d’impôt.

En matière de transmission à titre gratuit des exploitations agricoles, le législateur a relevé le seuil de la valeur des biens en dessous duquel sur certains baux ruraux à long terme ou parts de groupements fonciers agricoles (GFA) sont exonérés droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % (article 793 bis du CGI). À compter du 1er janvier 2019, l’exonération de 50 % s’applique à partir de 300 000 € (contre 101 897 auparavant).