Une nouvelle avancée pour la transparence fiscale
31 pays ont signé un nouvel accord de coopération pour l’échange automatique de renseignements. Cet accord multilatéral prévoit les modalités de mise en œuvre du reporting pays par pays issu du plan BEPS.
Le 27 janvier dernier, au siège de l’OCDE, à Paris, Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics, et les représentants d’une trentaine d’autres pays (v. infra l’encadré : Les 31 premiers signataires) ont signé l’accord prévoyant les modalités de mise en œuvre du reporting pays par pays, mesure issue du plan BEPS (Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices). « L’accord multilatéral prévoit un échange de renseignements entre administrations fiscales qui leur offrira une vision complète et unifiée des indicateurs clés de l’activité des entreprises multinationales. C’est une avancée déterminante vers l’atteinte de notre objectif, qui est de faire en sorte que chaque entreprise verse une juste part d’imposition, et c’est au projet BEPS que nous devons cette avancée », a résumé Angel Gurria. Après près de trois ans de travaux, les conclusions de BEPS ont pu être adoptées par les chefs d’État et de gouvernement au sommet du G20 à Antalya en novembre 2015. Il reste à traduire rapidement en droit national, en droit international, et pour certains pays, en droit européen, l’ensemble des conclusions de BEPS. Le reporting pays par pays vise à donner aux administrations fiscales une vision complète de la façon dont les entreprises multinationales structurent leurs activités, afin de limiter les possibilités d’optimisation fiscale agressive.
BEPS : les enjeux
Les travaux internationaux BEPS sur la lutte contre l’érosion des bases fiscales et les transferts de profits ont été souhaités en particulier par la France dès 2012, lors du sommet du G20 de Los Cabos au Mexique. Le projet BEPS fournit aux gouvernements des solutions de portée internationale, destinées à combler les brèches et irrégularités pouvant exister dans les règles actuelles, faisant en sorte que des bénéfices disparaissent ou soient transférés vers des juridictions à fiscalité faible voire nulle et où aucune création de valeur réelle n’a lieu. Le plan d’action BEPS, adopté par le G20 en juillet 2013, a dénombré 15 domaines prioritaires, en particulier : le contrôle des prix de transfert, la mise en place de déclarations pays par pays ; la lutte contre les pratiques de concurrence fiscale dommageable ; l’échange automatique des rulings ; les procédures de règlement amiable des différends ; la révision des règles de fixation des prix de transfert ; la redéfinition de la notion d’établissement stable ; la lutte contre les dispositifs hybrides utilisés pour obtenir une non-imposition des bénéfices au moyen d’instruments financiers ou juridiques complexes.
Le projet BEPS OCDE/G20 a détaillé les 15 actions prioritaires pour réformer le cadre fiscal international et assurer que les bénéfices seront bien déclarés dans la juridiction où ont lieu les activités et la création de valeur correspondante. La version finale des mesures issues du projet BEPS inclut de nouvelles normes a minima concernant : les déclarations pays par pays, grâce auxquelles les autorités fiscales auront, pour la première fois, une vision globale de l’activité des entreprises multinationales ; les pratiques de chalandage fiscal, afin de mettre un terme à l’utilisation de sociétés relais pour transférer des investissements ; la lutte contre les pratiques fiscales dommageables, notamment dans le domaine des régimes de la propriété intellectuelle et par l’échange automatique des décisions prises par l’administration fiscale à l’égard de certains contribuables ; et des procédures efficaces de règlement amiable des différends, afin que les mesures de lutte contre la double exonération ne conduisent pas à des cas de double imposition. Les mesures portent aussi sur la révision des instructions décrivant l’application des règles de fixation des prix de transfert, afin d’éviter que des contribuables n’utilisent des structures ad hoc fortement capitalisées (« cash boxes ») pour transférer des bénéfices vers des juridictions à fiscalité faible ou nulle. Elles redéfinissent en outre la notion-clé d’établissement stable, pour déjouer les dispositifs destinés à éviter la création d’une présence imposable dans un pays en tirant parti d’une définition obsolète.
Autres mesures inédites que les États pourront mettre en œuvre en adaptant leur droit interne, en particulier pour renforcer les règles applicables aux sociétés étrangères contrôlées, définir une approche commune pour limiter l’érosion des bases d’imposition liée à la déduction de charges d’intérêts, lutter contre les dispositifs hybrides utilisés pour obtenir une non-imposition des bénéfices au moyen d’instruments financiers complexes. Enfin, près de 90 pays collaborent à la rédaction d’un instrument multilatéral grâce auquel le réseau existant de conventions fiscales bilatérales sera amendé pour inclure les nouvelles mesures de lutte contre les pratiques de BEPS. Cet instrument sera proposé à la signature de tous les pays intéressés en 2016. En novembre 2015, les dirigeants des pays du G20 ont approuvé l’ensemble de mesures issues du plan BEPS qui est destiné à améliorer l’efficacité du système fiscal international. Cet ensemble de mesures est le fruit de deux années de travail conjoint de la part de tous les pays de l’OCDE et du G20 et d’une douzaine de pays en développement. Dans le prolongement de l’adoption de cet ensemble de mesures, les pays s’attachent désormais à définir et à mettre en place un cadre inclusif pour le suivi des pratiques de BEPS et des mesures correctives correspondantes, en prévoyant un accompagnement pour l’adoption effective de ces mesures.
Reporting pays par pays
Précisons qu’afin de lutter contre l’optimisation fiscale des entreprises (v. infra l’encadré : Les résultats de Bercy en termes de lutte contre l’optimisation des entreprises), l’Assemblée nationale a adopté le 12 novembre 2015 un amendement imposant le reporting pays par pays, dans le cadre du vote de la loi de finances pour 2016 (PLF 2016). La France est le deuxième pays après l’Espagne à avoir adopté dette mesure. Le dispositif voté oblige les grandes entreprises à transmettre à l’administration fiscale des informations détaillées, pays par pays, sur leurs activités à l’étranger. L’amendement a été voté à l’occasion de l’examen de la seconde partie du PLF 2016. Ce texte inscrit dans la législation française l’une des 15 actions adoptées par l’OCDE pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. On estime en effet que l’optimisation pratiqué par les entreprises multinationales, conduisent à une perte de recettes d’impôt sur les sociétés de 4 à 10 % à l’échelle mondiale, soit 100 à 240 milliards de dollars ou 93 à 224 milliards d’euros d’impôts qui ne sont pas payés par les grands groupes multinationaux grâce à des stratégies d’évitement de l’impôt. La mesure est entrée en vigueur pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016.
L’action 13 du plan BEPS
L’accord de coopération pour l’échange automatique de renseignements ouvre la voie à l’application rapide et uniforme des nouvelles règles en matière de documentation des prix de transfert, définies au titre de l’action 13 du plan BEPS. « Aujourd’hui, la signature de cet accord portant sur l’échange des déclarations pays par pays permettra de donner sa pleine portée à ce dispositif. L’évasion fiscale étant un phénomène mondial, seule une coopération étroite entre nos administrations fiscales permettra de lutter efficacement contre l’érosion des bases fiscales. Ce n’est bien sûr qu’une première étape et la mise en œuvre de BEPS doit se poursuivre tout au long de l’année 2016 », a précisé le ministre Michel Sapin, le 27 janvier 2016, lors de la signature de l’accord multilatéral entre autorités compétentes, portant sur l’échange des déclarations pays par pays. « La déclaration pays par pays aura des retombées immédiates sur la coopération internationale en matière fiscale, en renforçant la transparence sur les opérations des entreprises multinationales », a déclaré Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE.
Les administrations fiscales seront désormais en mesure de comprendre comment les entreprises multinationales structurent l’ensemble de leurs transactions, tout en garantissant la confidentialité des informations échangées. Avec les déclarations pays par pays, les administrations fiscales où une entreprise opère obtiendront chaque année un ensemble d’informations, à partir des comptes pour l’année 2016. Ces informations concernent la répartition mondiale du chiffre d’affaires réalisé et des impôts payés, ainsi que d’autres indicateurs de la localisation des activités économiques à l’intérieur d’un groupe multinational, afin de permettre aux administrations de comprendre quelles sont les activités réalisées et le lieu où elles le sont. Les informations seront collectées par le pays de résidence du groupe multinational, et seront ensuite échangées via un mécanisme d’échange d’information soutenu par les accords signés aujourd’hui.
Les premiers échanges commenceront en 2017-2018, sur les informations concernant l’année 2016. Si toutefois les informations n’étaient pas échangées correctement, le rapport sur l’action 13 sur la documentation des prix de transfert prévoit un mécanisme de déclaration alternatif afin de s’assurer que tous les acteurs soient mis dans les mêmes conditions.