Zoom sur la Commission des infractions fiscales

Publié le 05/04/2017

La Commission des infractions fiscales a pour mission principale d’émettre un avis contraignant sur le projet de poursuites pénales pour fraude fiscale que l’administration fiscale a conçu. Quel bilan pour le verrou de Bercy ?

Par dérogation au droit commun de la procédure pénale, et en application de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (LPF), les infractions fiscales ne peuvent être poursuivies par l’autorité judiciaire que suite à un dépôt de plainte de l’administration fiscale. La Commission des infractions fiscales (CIF), qui connut deux réformes récentes, en 20091 et 20132, se prononce exclusivement sur l’opportunité des poursuites pénales. Elle n’a pas à préciser les délits reprochés et la date de leur commission. Elle rend son avis sur les faits qui lui sont soumis et non sur la situation des personnes désignées par l’administration fiscale comme ayant concouru à leur réalisation. La CIF a examiné, au cours de l’année 2015, 1 086 dossiers de propositions de poursuites correctionnelles pour fraude fiscale dont 1 027 ont donné lieu à un avis favorable au dépôt d’une plainte. Ce chiffre comprend une centaine de dossiers d’enquête fiscale. L’activité de la CIF depuis 2010, fait apparaître une part croissante des dossiers relevant de la procédure judiciaire d’enquête fiscale. En 2015, seuls 59 dossiers ont donné lieu à un avis défavorable, soit 5,4 % du total des dossiers transmis. Ce taux était de 8,6 % en 2010.

Composition de la CIF

L’article 13 de la loi du 6 décembre 2013 a modifié la composition de la CIF et son article 16 a renforcé la publicité de ses travaux en prévoyant notamment que la commission remet au Parlement un rapport annuel sur son activité et sur le nombre de dossiers examinés. Depuis le 1er janvier 2015, la CIF est composée de :

  • huit conseillers d’État, élus par l’assemblée générale du Conseil d’État ;

  • huit conseillers maîtres à la Cour des comptes, élus par la chambre du conseil en formation plénière de la Cour des comptes ;

  • huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation ;

  • deux personnalités qualifiées, désignées par le président de l’Assemblée nationale ;

  • deux personnalités qualifiées, désignées par le président du Sénat.

La commission comprend quatre sections comportant chacune sept membres. Une affaire examinée en section peut être réexaminée en formation plénière, sur décision du président de la commission qui est obligatoirement un conseiller d’État.

Pas de poursuite d’office

Comme les autres infractions pénales, le délit de fraude fiscale implique un élément intentionnel. Cela signifie que, pour que le délit soit constitué, la soustraction à l’établissement ou au paiement de l’impôt doit être intentionnelle et donc que l’auteur a été animé par une volonté de fraude. Il revient donc au ministère public et à l’Administration d’apporter la preuve du caractère intentionnel de la soustraction. À la différence des autres délits, le délit de fraude fiscale n’est pas poursuivi d’office par le procureur de la République. Ce dernier ne peut mettre en mouvement l’action publique que dans la mesure où l’Administration a préalablement déposé une plainte (v. encadré infra, p. 7). Cette prérogative est justifiée par la nature particulière du délit de fraude fiscale. L’administration fiscale reste ainsi juge de l’opportunité des poursuites, sous le contrôle de la Commission des infractions fiscales. « Ce mécanisme garantit une bonne articulation des réponses pénale et administrative, précise un récent rapport parlementaire d’information sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale3. Dans des dossiers complexes, la qualification des faits est souvent difficile et il est nécessaire de transmettre au ministère public des dossiers étayés et ayant déjà fait l’objet d’une première analyse des services fiscaux », précise le rapport parlementaire.

Les infractions relevant de la CIF

Les dossiers qui doivent obligatoirement être soumis à l’avis de la CIF concernent toutes les infractions qui permettent à un contribuable de se soustraire ou de soustraire des tiers à l’établissement ou au paiement des impôts, qu’il s’agisse des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée, des taxes sur le chiffre d’affaires, des droits d’enregistrement, de la taxe sur la publicité foncière ou des droits de timbres. La tentative est également réprimée. Il s’agit principalement des infractions de fraude fiscale définies par les articles 1741 et 1743 du Code général des impôts (CGI). L’organisation d’une fausse comptabilité par un professionnel, réprimée par l’article 1772 du CGI, est soumise au même dispositif. Trois infractions peuvent en revanche être poursuivies sans que l’Administration doive préalablement saisir la Commission des infractions fiscales : l’escroquerie, l’opposition à contrôle fiscal et le blanchiment de fraude fiscale.

Saisine de la CIF

La loi du 6 décembre 2013 a élargi les modalités de saisine de la CIF. « La saisine de la CIF intervenait traditionnellement à l’issue d’un contrôle fiscal. Une fois ses vérifications terminées, l’administration fiscale saisissait la CIF en vue d’une transmission du dossier à la justice. Ce dispositif a été maintenu mais une nouvelle procédure a été instituée en parallèle », résume le rapport parlementaire. La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre en charge du Budget ou, sur délégation, par le directeur général, l’adjoint au directeur général chargé de la fiscalité, le chef du service du contrôle fiscal et le chef du bureau des affaires fiscales et pénales de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Lorsque la commission est saisie, le contribuable en est informé par une lettre qui lui indique l’essentiel des griefs motivant cette saisine et l’invite à fournir, dans un délai de trente jours, les informations qu’il estime nécessaires. « Durant la phase d’instruction, le président de la CIF peut recueillir auprès de l’Administration tout renseignement jugé nécessaire. La procédure est strictement écrite, aucun débat contradictoire n’est organisé. Organisme administratif indépendant, la CIF n’est en effet pas tenue de respecter les droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Elle est également hors du champ de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme », précise le rapport parlementaire. Ce dispositif comporte un certain nombre de risques en matière de délai de traitement des affaires et de preuve. Un contribuable prévenu de l’existence d’un risque contentieux à son égard est en effet susceptible d’organiser son insolvabilité ou de détruire des éléments de preuve. Pour faire face à cette limite, l’article 23 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009 a instauré des modalités dérogatoires de consultation de la CIF en vue du déclenchement d’une procédure judiciaire d’enquête fiscale. La loi du 6 décembre 2013 est venue renforcer ce dispositif en généralisant son champ d’application à l’ensemble des cas d’utilisation de comptes ou de contrats détenus à l’étranger et d’interposition de personnes ou entités établies à l’étranger, qu’il s’agisse d’États coopératifs ou d’États non coopératifs. Désormais la CIF se prononce sans que le contribuable soit averti de sa saisine lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale résulte de l’utilisation de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger, de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger, de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents ou de toute autre falsification, d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ou encore de toute autre manœuvre destinée à égarer l’Administration. Afin d’engager cette procédure d’exception, l’administration fiscale doit également montrer qu’il existe, pour ces infractions, un risque de dépérissement des preuves.

« Les présomptions caractérisées de fraude dont se trouve alors saisie la CIF peuvent avoir été mises au jour à l’occasion d’une enquête, d’un contrôle, ou de toute autre activité de gestion comptable. Cette procédure est majoritairement utilisée pour les fraudes patrimoniales, les minorations de déclarations d’ensemble des revenus, d’impôt de solidarité sur la fortune ou de distributions de recettes occultes ».

Un avis conforme

L’avis de la commission est notifié par son président au ministre chargé du Budget. Le contribuable est informé de l’avis par le secrétariat de la CIF s’il est défavorable à l’engagement des poursuites ou, le cas échéant, par l’administration fiscale à l’occasion du dépôt de plainte. L’avis de la commission est un avis conforme, qui place le ministre dans une situation de compétence liée. Lorsque l’avis est favorable, les plaintes sont déposées par le service chargé de l’assiette ou du recouvrement de l’impôt territorialement compétent, c’est-à-dire en pratique, le directeur départemental des finances publiques. Le contribuable est préalablement mis en demeure de régulariser sa situation. La loi du 6 décembre 2013 prévoit que la CIF transmet chaque année un rapport d’activité au Parlement. « Ces données montrent bien que si l’activité d’ensemble est stable, les dossiers d’enquêtes fiscales augmentent significativement, leur nombre ayant doublé en cinq ans. Dans le même temps, le nombre d’avis défavorables baisse fortement », précise le rapport parlementaire.

Les infractions autonomes sans saisine préalable de la CIF

De façon progressive, la jurisprudence, puis la loi, ont limité le principe de saisine préalable de la CIF à une liste exhaustive d’infractions. Dès 1987, la Cour de cassation a rappelé que la poursuite du délit d’escroquerie n’impose pas une saisine préalable de la CIF4. En 2005, ce mécanisme a également été écarté pour les délits d’opposition à un contrôle fiscal5. En 2008, la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en jugeant que « la poursuite du délit de blanchiment, infraction générale, distincte et autonome, n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales » et qu’elle peut donc faire l’objet de poursuites sans avis préalable de la CIF6. « La Cour de cassation considère en effet que, pour déclarer un prévenu coupable de blanchiment de fraude fiscale, il n’est pas nécessaire de caractériser le délit principal de fraude fiscale. Il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses », précise le rapport parlementaire. Pour la Cour de cassation, le caractère distinct et autonome de l’infraction de blanchiment commande une telle solution qui devrait s’imposer également en matière de recel de fraude fiscale7. L’ordonnance du 1er décembre 20168 a tiré les conséquences de cette jurisprudence et a supprimé, dans le Code monétaire et financier, la disposition qui prévoyait que lorsque TRACFIN transmet à l’administration fiscale des informations ou des faits susceptibles de révéler un délit de blanchiment de fraude fiscale, le « ministre chargé du Budget les transmet au procureur de la République sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales ».

Les associations de lutte contre la corruption constituées partie civile

La loi de 2013 a donné la possibilité à des associations agréées de se constituer partie civile dans des dossiers relatifs à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière. Pour être recevables à exercer les droits de la partie civile, les associations de lutte contre la corruption doivent répondre à un certain nombre d’exigences : il doit s’agir d’associations agréées, déclarées depuis au moins cinq ans à la date de la constitution de partie civile et dont les statuts visent explicitement à lutter contre la corruption. Un décret de 2014 a fixé les conditions de délivrance de cet agrément. Et à ce jour, trois associations ont obtenu cet agrément : Transparency International France, Anticor et Sherpa. « Il n’existe pas de statistiques consolidées sur le nombre d’affaires dans lesquelles ces associations se sont constituées parties civiles », précise le rapport parlementaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier, n° 4457, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2017.
  • 2.
    L. n° 2009-1674, 30 déc. 2009, de finances rectificative pour 2009.
  • 3.
    L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
  • 4.
    Cass. crim., 19 oct. 1987, n° 85-94605, Giraudo et a.
  • 5.
    CGI, art. 1746 introduit par l’article 14 de l’ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l’harmonisation et l’aménagement du régime des pénalités.
  • 6.
    Cass. crim., 20 févr. 2008, n° 07-82977.
  • 7.
    https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2008_2903/quatrieme_partie_jurisprudence_cour_2922/droit_penal_procedure_penale_2957/droit_penal_special_2960/droit_penal_economique_financier_12258.html.
  • 8.
    Ord. n° 2016-1635, 1er déc. 2016, renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme prise sur le fondement de l’article 118 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
  • 9.
    Cour des comptes, « Le pilotage national du contrôle fiscal », rapp. public annuel, févr. 2012.
  • 10.
    Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-555 QPC, Karim B.
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