Abus de droit fiscal : le rapport du comité 2018

Publié le 27/06/2019

Trust et ISF, apport avec soulte, donations en cascade, sous-capitalisation, BSA et PEA : passage en revue des affaires examinées par le comité de l’abus de droit fiscal en 2018.

Le rapport du Comité de l’abus de droit fiscal est toujours riche d’enseignement sur les opérations qui figurent dans le scope de l’administration fiscale. Les affaires examinées en 2018 ne dérogent pas à la règle.

En 2018, le Comité, saisi de 46 affaires, a examiné 33 dossiers au cours des 10 séances qu’il a tenues (13 dossiers reçus en 2017 et 20 dossiers reçus en 2018). La progression du nombre de saisines du Comité, enregistrée depuis 2016 après un net recul de l’activité en 2014 et 2015, est confirmée en 2018.

L’abus de droit classique

Pour mémoire, l’administration dispose de la procédure de l’abus de droit, prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) : « afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

Le Comité de l’abus de droit intervient, à la demande du contribuable en cas de désaccord sur les rectifications notifiées dans ce cadre. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du Comité.

L’avis rendu par le Comité produit un effet dans la procédure en cours : la charge de la preuve du bien-fondé des impositions incombe à l’administration quand le Comité n’a pas été saisi ou a émis un avis défavorable à la mise en œuvre de la procédure. Au contraire, elle incombe au contribuable en cas d’avis favorable du Comité pour la mise en œuvre de cette procédure.

En parallèle de cette procédure, la loi de finances pour 2019 a créé une autre procédure d’abus de droit, laquelle ne pourra être mise en œuvre par l’administration fiscale qu’à partir de 2021, à raison d’opérations réalisées à partir de 2020. Ce que le législateur a pu qualifier de « mini-abus de droit » s’avère en réalité un redoutable outil de sanction, puisqu’il vise les actes « qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

Lorsque l’administration met en œuvre cet abus de droit fondé sur cette notion de « motif principal », la rectification ne sera pas assortie automatiquement de la pénalité de 80 %, actuellement applicable sur le fondement de l’article L. 64 du LPF. Le Comité des abus de droit pourra être saisi pour donner un avis ne renversant pas la charge de la preuve et ne proposant aucune des sanctions de la procédure de l’abus de droit classique.

ISF, trust et interposition de sociétés étrangères

Dans une affaire d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), le Comité a examiné une opération de financement de prêts souscrits pour l’acquisition de biens immobiliers. Le Comité en a conclu que des prêts consentis étaient entachés de simulation par interposition de personne morale, dissimulant la véritable identité des prêteurs, Monsieur et Madame K, deux époux de nationalité américaine.

Chacun avait constitué un trust américain établi au Delaware. Chacun de ces trusts a créé le 7 mars 2008 une SARL de droit luxembourgeois (SARL N et SARL R), lesquelles ont, à leur tour, chacune créé en France, le 18 mars 2018 une SARL (SARL I et X). En avril 2008, les deux SARL françaises ont acquis un hôtel particulier à Paris au prix de 11,6 millions d’euros, pour moitié indivise chacune. Ces deux sociétés ont financé l’acquisition de l’immeuble et ses travaux en empruntant auprès de deux sociétés établies dans les Îles vierges britanniques, créées par les époux K, en janvier 2008. Chacune d’elles a prêté la somme de 8 400 000 euros aux SARL françaises. Deux contrats de prêt signés en mars 2008 prévoient une durée de 25 ans avec un remboursement in fine d’une somme totale de 16 800 000 euros et les intérêts payables annuellement à chaque date anniversaire de la signature du contrat. En contrepartie, les sociétés prêteuses sont garanties par un nantissement des parts des deux SARL françaises, renouvelable tous les 5 ans jusqu’au paiement du capital en 2033.

En janvier 2019, par acte sous seing privé enregistré en février 2009, Monsieur et Madame K ont acquis l’intégralité des parts des SARL françaises propriétaires de l’immeuble (la SARL I pour Monsieur K, la SARL X pour Madame K), pour la somme de 10,00 euros chacun.

Le couple n’était pas résident de France au moment des opérations décrites, mais seulement à partir d’août 2009. Dans leurs déclarations ISF de 2010 sur le patrimoine qu’ils détiennent en franc, ils font figurer les parts de chacune des SARL I et X, pour la valeur de 1 euro, correspondant à l’actif net comptable.

En 2014, l’administration fiscale a mis en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal, considérant que le couple avait en réalité personnellement financé l’acquisition du bien immobilier. Selon l’administration, le couple a interposé les deux sociétés des Îles vierges britanniques dans les contrats de prêts dans le but de dissimuler leur rôle. Dès lors, elle a considéré que les emprunts figurant au passif des SARL I et X françaises devaient s’analyser en créances des époux à l’encontre de ces sociétés et a intégré leurs montants dans la base imposable à l’ISF du couple K, au titre des années 2010 à 2014.

Le Comité  de l’abus de droit fiscal a relevé plusieurs éléments confirmant la thèse de l’administration fiscale, tant au niveau de l’acquisition de l’immeuble que de son financement.

Tout d’abord, en janvier 2008, c’est le couple qui a signé la promesse d’achat du bien immobilier. La promesse comportait une clause de substitution, qui a été effectivement actionnée lors de l’acquisition en faveur des SARL françaises, mais ce sont les époux K, qui ont personnellement initié et suivi les démarches relatives aux travaux à effectuer dans l’immeuble acquis. Ils ont par la suite insisté auprès du cabinet d’architectes engagé pour réaliser les études préalables aux travaux, pour ne plus apparaître formellement comme les destinataires des courriers, tout en continuant à donner personnellement des directives au cabinet.

De plus, en faisant l’acquisition de la totalité des parts des SARL françaises propriétaires de l’hôtel particulier, ils ont fait sortir celui-ci de l’actif des trusts contrairement à l’objectif initialement affiché de l’opération de diversification du patrimoine des trusts familiaux de la famille K.

Sur le financement de l’acquisition, le Comité relève que les époux étaient les seuls associés des sociétés prêteuses et créées à cet effet. Sur la provenance des fonds, le Comité relève que la nature juridique du transfert de ces sommes depuis les trusts aux sociétés établies dans les Îles vierges britanniques demeure incertaine, aucune précision ou justification n’ayant été apportée quant à la matérialité et aux modalités des prêts allégués.

Le Comité a déduit de l’ensemble de ces éléments que ce sont bien les époux K qui, d’une part, sont à l’initiative de l’acquisition immobilière et des travaux réalisés et, d’autre part, ont décidé, organisé et coordonné son financement à partir de fonds sur lesquels ils exerçaient un contrôle au moins indirect, les sociétés françaises et des Îles vierges britanniques n’étant intervenues que pour dissimuler leur rôle décisionnaire tant dans l’acquisition que dans son financement. À noter que le Comité de l’abus de droit a considéré que l’affirmation du caractère irrévocable et discrétionnaire des trusts familiaux détenteurs initiaux des fonds utilisés ne saurait suffire, en l’absence de toutes justifications concrètes propres à contredire le sens et la portée des éléments de preuve réunit par l’administration, à modifier cette appréciation.

Donations en cascade au sein d’une famille recomposée

Dans la seule affaire examinée en 2018 en matière de droits de donation, le Comité de l’abus de droit a analysé une série de donations de parts de société civile immobilière (SCI) au sein d’une famille recomposée. Monsieur et Madame S, de nationalité américaine, mariés et résident aux États-Unis. Monsieur S a un fils d’un précédent mariage et Madame S a trois enfants d’un précédent mariage. Les époux sont, chacun associé à hauteur de 42 % des titres de la SCI A propriétaire d’un bien immobilier situé en France ; chacun des quatre enfants possède 4 % du capital de la SCI. En décembre 2012, Monsieur. S donne la moitié de ses parts à son épouse. Immédiatement après, Madame S fait une donation du même nombre de parts reçues à chacun de ses trois enfants. Le même jour, Monsieur S en fait autant à son propre fils. À l’issue de ces donations, les époux ne détiennent chacun plus qu’une part de la SCI, le reste étant détenu par les quatre enfants à  parts égales.

Le Comité a suivi l’administration, considérant que les deux donations en cascade de Monsieur S à son épouse puis de celle-ci à ses propres enfants révélaient une intention libérale de Monsieur. S à l’égard de ses beaux-enfants et que l’étape préalable de la donation à son épouse ne poursuivait d’autre but que d’échapper au tarif de 60 % des droits de donation entre personnes non parentes de l’article 777 du Code général des impôts (CGI), qui aurait été normalement applicable en cas de donation directe des titres. Parmi les éléments sur lesquels il s’est appuyé : la concomitance des deux actes de donation, la volonté affirmée des époux S de transmettre l’ensemble des parts sociales de la SCI A à leurs enfants respectifs afin que ceux-ci en deviennent propriétaires du capital à parts égales, et encore, l’absence d’intérêt qu’avait Madame S à être propriétaire pendant un instant de raison des titres de la SCI.

Le Comité en conclu que l’administration était en droit de mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal de l’article L. 64 du LPF sur le fondement de la fraude à la loi, et fondée à appliquer la majoration de 80 % prévue par ces dispositions.

Apport avec soulte

En matière d’impôt sur le revenu, 15 opérations d’apport avec soulte dans le cadre du sursis d’imposition de l’article 150-0 B du CGI, ou du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI ont été examinées. Ces affaires représentent 45 % des dossiers examinés en 2018.

Le Comité a rappelé que, si le législateur a admis que l’opération d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur bénéficie intégralement du report d’imposition, y compris pour la soulte qui n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus, l’octroi de la soulte doit s’inscrire dans le respect du but que le législateur a entendu poursuivre. Or ce but n’est pas respecté lorsque l’octroi de la soulte est uniquement motivé par la volonté de l’apporteur d’appréhender en franchise immédiate d’impôt des liquidités détenues par la société dont les titres sont apportés, faute qu’il soit justifié que la société bénéficiaire de l’apport avait un intérêt économique au versement de la soulte.

Tel est le cas, selon le Comité, lorsque la soulte inscrite au crédit du compte courant d’associé ouvert au nom du contribuable a été financée et remboursée par une distribution de dividendes de la société dont les titres ont été apportés et pour laquelle le contribuable était décisionnaire ou co-décisionnaire.

Idem lorsqu’aucune distribution n’est intervenue : le contribuable a été regardé comme ayant bénéficié du versement de la soulte par l’inscription de son montant au crédit de ce compte courant d’associé. Le Comité a écarté comme étant sans incidence la circonstance invoquée selon laquelle aucun remboursement de la soulte ne serait en réalité intervenu ou seul un prélèvement temporaire aurait été effectué.

PEA et BSA

Deux dossiers ont illustré des cas d’utilisation du plan d’épargne en actions (PEA), dans lesquels le Comité n’a pas conclu à l’abus de droit. Dans ces deux affaires identiques, l’administration n’avait pas contesté, dans son principe, la méthode de valorisation, établie par un cabinet indépendant, de bons de souscription d’actions (BSA) inscrits dans un PEA, ni apporté d’élément permettant d’estimer que la décote de moindre diversification du risque, appliquée par ce cabinet indépendant, aurait été décidée dans le but de permettre aux managers ayant souscrit les BSA de bénéficier en partie d’un complément de salaire exclusif du risque d’investisseur pris lors de la souscription. Le Comité a, dès lors, considéré que les managers, qui avaient souscrit les BSA à la valeur déterminée par l’évaluateur, n’avaient pas poursuivi un but exclusivement fiscal en les inscrivant sur leur PEA.

Impôts sur les sociétés

En matière d’impôt sur les sociétés, le Comité a eu à examiner un montage international au titre duquel il a été procédé à l’acquisition à titre onéreux par une société A des titres d’une SAS C financée par crédit vendeur, suivie de l’apport immédiat de la créance correspondante au profit d’une société E et rémunérée par remise de titres de cette dernière. L’administration fiscale avait rejeté la déductibilité des charges financières, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF. Le Comité a, quant à lui, considéré que le choix de financement d’une opération par un prêt entre sociétés liées au lieu d’un apport en capital ne caractérisait pas en lui-même un abus de droit. L’endettement correspondant ne pouvait être qualifié d’artificiel dès lors qu’il avait bien eu pour conséquence l’entrée au bilan d’une trésorerie utilisée pour acquérir une nouvelle ligne de participations.

Dans une autre affaire, le Comité a émis l’avis que l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal : une opération de distribution et celle quasi concomitante de recapitalisation d’une société procédaient d’un montage destiné à satisfaire formellement mais non réellement aux conditions prévues par l’article 212 du CGI relatives à la déductibilité des frais financiers. Cet article prévoit un dispositif de lutte contre la sous-capitalisation qui limite la déduction des intérêts dus à des entreprises liées directement ou indirectement au sens de l’article 39-12 du CGI ainsi qu’aux intérêts afférents à l’ensemble des prêts souscrits auprès d’une entreprise tierce et dont le remboursement est garanti par une entreprise liée à la société débitrice, sous réserve de certaines exceptions.

Transfert de siège social au Luxembourg

Le Comité a eu à examiner un dossier mettant en jeu l’application de la convention fiscale du 1er avril 1958 passée entre la France et le Luxembourg. Dans cette affaire, une société française à prépondérance immobilière avait transféré son siège social au Luxembourg. Ses parts avaient été vendues par la suite. La plus-value de cession n’était donc pas imposable en France.

Pour l’administration (suivie par le Comité), l’intention de vendre ses parts de SCI était préalablement établie avant le transfert de siège social. Elle était notamment matérialisée par des évaluations et la connaissance d’un acquéreur potentiel. Dès lors, le transfert n’a été inspiré par aucun autre motif que celui d’éluder l’imposition en France de la plus-value réalisée lors de la cession de ces titres. Il était donc artificiel et permettait de bénéficier de l’application de la convention fiscale franco luxembourgeoise, laquelle conduisait, du fait des interprétations divergentes que les deux pays faisaient de ces stipulations, à l’absence d’imposition, dans l’un ou l’autre de ces pays, de la plus-value résultant de cette vente. En conséquence, l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal de l’article L. 64 LPF.

TVA

Le Comité a été amené à examiner un dossier de TVA sur la marge. Dans cette affaire, une société S (qui a pour objet principal l’achat d’immeubles bâtis ou non bâtis en vue de la revente en l’état ou après division et/ou rénovation, ainsi que toutes activités de marchand de biens, lotisseur et opérations de constructeur d’immeubles en vue de la revente) détenue à 100 % par une société A avait commercialisé des lotissements en VEFA et fait appel notamment à la société A pour construire les maisons individuelles.

À l’occasion d’une vérification de comptabilité de la société S, l‘administration avait constaté que cette société avait vendu à des particuliers des terrains à bâtir situés dans des lotissements en vue de construire des maisons individuelles. La vente de ces terrains à bâtir avait été placée sous le régime de la TVA sur la marge.

Le Comité a émis un avis défavorable à la mise en œuvre de la procédure de l’abus de droit fiscal pour deux raisons. Tout d’abord, parce que l’administration n’apportait pas la preuve de la concomitance des opérations de cession de terrains à bâtir et de conclusion des contrats de construction des maisons individuelles. Ensuite, parce que l’administration n’apportait pas, en l’espèce, d’éléments suffisants permettant de caractériser l’existence d’une communauté d’intérêts entre une première société réalisant des opérations de vente de terrains à bâtir et une seconde société effectuant des opérations de construction de maisons individuelles sur ces terrains. Dès lors, la vente des terrains et la conclusion d’un contrat de construction d’une maison individuelle sur chaque terrain, respectivement par ces deux sociétés, ne constituaient pas les éléments indissociables d’une convention ayant pour objet la vente, terrain compris, d’un immeuble à construire.