Annulations des sanctions fiscales et rétroactivité
Défaut de déclaration des trusts en France le Conseil d’État tire les conséquences de la décision de censure du Conseil constitutionnel du 16 mars 2017.
Le Conseil d’État rappelle les conséquences de la non-conformité à la Constitution des dispositions instituant une sanction proportionnelle relative au manquement déclaratif commis en matière de déclaration des trusts en se prononçant sur des conclusions en annulation formulées à l’encontre des commentaires administratifs réitérant les dispositions abrogées (CE, 5 mars 2018, n° 404554). Cette décision a été rendue dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir demandant l’annulation du premier alinéa du paragraphe 90 des commentaires administratifs publiés par le ministre des Finances et des Comptes publics au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – Impôts le 4 mars 2015 sous la référence BOI-CF-INF-10-40-30.
Obligations déclaratives en matière de trusts
Aux termes du premier alinéa de l’article 1649 AB du Code général des impôts, l’administrateur d’un trust défini à l’article 792-0 bis, dont le constituant ou l’un au moins des bénéficiaires a son domicile fiscal en France ou qui comprend un bien ou un droit qui y est situé est tenu d’en déclarer la constitution, le nom du constituant et des bénéficiaires, la modification ou l’extinction, ainsi que le contenu de ses termes. Aux termes du IV bis de l’article 1736 du même code, dans sa rédaction issue de l’article 14 de la loi de finances rectificative pour 2011 et applicable aux déclarations à déposer antérieurement au 8 décembre 2013, les infractions à l’article 1649 AB sont passibles d’une amende de 10 000 euros ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés. Aux termes de ce même texte, dans sa rédaction issue de l’article 12 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et applicable aux déclarations à déposer à compter du 8 décembre 2013, les infractions à l’article 1649 AB sont passibles d’une amende de 20 000 euros ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés. En vertu de ces dispositions, les administrateurs de trusts sont tenus de déclarer à l’administration fiscale les constitutions, modifications ou extinctions de trusts, ainsi que, chaque année, les informations relatives aux biens, droits et produits placés dans les trusts et, à défaut de respecter ces obligations déclaratives, sont passibles d’une amende.
Les commentaires de l’administration fiscale
Le recours en excès de pouvoir vise les termes du premier alinéa du paragraphe 90 des commentaires administratifs publiés le 4 mars 2015 au BOFiP-Impôts sous la référence BOI-CF-INF-10-40-30. Ces commentaires administratifs précisent que les infractions à l’article 1649 AB du CGI sont passibles d’une amende de 10 000 euros ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés (CGI, art. 1736, IV bis). Ces infractions sont passibles d’une amende de 20 000 euros ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés (CGI, art.1736, IV bis) lorsqu’elles concernent les déclarations événementielles à déposer au titre des constitutions, modifications ou extinctions de trusts intervenues à compter du 8 décembre 2013 et les déclarations annuelles à déposer à compter de l’année 2014.
Dans cet arrêt, le Conseil d’État commence d’abord par circonscrire la portée des conclusions du recours pour excès de pouvoir présentées par le contribuable. Cette demande l’annulation de commentaires rédigés par l’administration fiscale, plus précisément le premier alinéa du paragraphe 90 des commentaires administratifs publiés par le ministre des Finances et des Comptes publics au BOFiP – Impôts le 4 mars 2015 sous la référence BOI-CF-INF-10-40-30. Cette annulation est demandée dans la mesure où ces commentaires réitèrent les dispositions du IV bis de l’article 1736 du CGI prévoyant une amende proportionnelle. La requête du contribuable doit donc être regardée comme tendant à l’annulation des mots : « ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » et des mots : « ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » de ces commentaires administratifs.
Une question prioritaire de constitutionnalité
Le Conseil d’État statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du IV bis de l’article 1736 du Code général des impôts (CE, 23 décembre 2016, n° 405025). Le Conseil constitutionnel (déc. n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017) devait se prononcer sur les mots : « ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés », figurant au IV bis de l’article 1736 précité, dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2011, ainsi que les mots : « ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés » figurant au même IV bis de l’article 1736, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 décembre 2013. Ces dispositions sanctionnent d’une amende la méconnaissance des obligations déclaratives posées par l’article 1649 AB pour les trusts ouverts, utilisés ou clos à l’étranger. La première rédaction contestée de ces dispositions prévoit que le montant de l’amende est égal à 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, sans pouvoir être inférieur à 10 000 euros. La seconde rédaction contestée fixe le montant de l’amende à 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, sans pouvoir être inférieur à 20 000 euros. Le Conseil constitutionnel a déjà censuré à plusieurs reprises des amendes proportionnelles encourues pour des manquements à de simples obligations déclaratives. Faisant application de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel a jugé au cas particulier qu’en prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les biens et droits placés dans le trust n’ont pas été soustraits à l’impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer. Le Conseil constitutionnel a donc jugé contraires à la Constitution les dispositions contestées en ce qu’elles prévoient, selon la version des dispositions contestées, des amendes de 5 et 12, 5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, mais il a, en revanche, jugé conformes à la Constitution les dispositions contestées en ce qu’elles fixent des amendes forfaitaires pouvant atteindre, selon la version des dispositions contestées, 10 000 ou 20 000 euros et qui punissent chaque manquement au respect des obligations déclaratives incombant aux administrateurs de trusts.
Dès lors, le Conseil d’État ne juge pas utile de renvoyer au Conseil constitutionnel une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel ne peut être saisi de la question prioritaire de constitutionnalité qu’à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Pour constater la caducité de ces conclusions, le Conseil d’État rappelle non seulement les effets de la décision d’abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel, laquelle est invocable dans toutes les instances non jugées définitivement à cette date, mais également le principe d’application immédiate de la loi pénale plus douce, lequel a pour effet de rendre la sanction annulée applicable aux manquements commis avant cette abrogation et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée. « Il résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 16 mars 2017, que celles des dispositions du IV bis de l’article 1736 du Code général des impôts que réitèrent les énonciations litigieuses de la doctrine de l’administration fiscale ont été déclarées contraires à la Constitution, cette décision ayant pris effet à la date de sa publication, soit le 17 mars 2017, et pouvant être invoquée dans les instances non jugées définitivement à cette date, précise la haute juridiction. Au surplus, il résulte du principe d’application immédiate de la loi pénale plus douce, qui découle du principe de nécessité des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, que ces dispositions, qui sont relatives à une sanction et ont été abrogées par l’effet de cette déclaration de non-conformité à la Constitution, ne sont plus applicables aux manquements commis avant cette abrogation et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, ce moyen devant le cas échéant être soulevé d’office par le juge de plein contentieux saisi d’un litige afférent à cette sanction. Par suite, sous réserve des condamnations devenues définitives, les dispositions du IV bis de l’article 1736 réitérées par les énonciations litigieuses ne sont plus applicables, depuis le 17 mars 2017, en tant qu’elles prévoient une amende proportionnelle aux biens ou droits placés dans un trust ainsi qu’aux produits qui y sont capitalisés.
Les commentaires dont le contribuable demande l’annulation pour excès de pouvoir sont devenus caduques. Par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir présentée par le ministre de l’Économie et des Finances, les conclusions de sa requête tendant à leur annulation pour excès de pouvoir ont perdu leur objet. Il n’y a, dès lors, plus lieu d’y statuer, juge le Conseil d’État.