Assurance-vie : la Cour de cassation confirme sa jurisprudence Praslicka

Publié le 15/11/2019

Le contrat d’assurance-vie co-souscrit par des époux communs en biens et non dénoué au premier décès ne constitue pas un bien propre pour l’époux survivant. La Cour de cassation maintient son analyse affirmée pour la première fois en 1992.

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt relatif au sort des capitaux d’assurance-vie lorsque le contrat a été co-souscrit par un couple commun en biens et que le contrat prévoit son dénouement au second décès (Cass. 1er civ., 26 juin 2019, n° 18-21383 F-PB). Elle rappelle le caractère commun de ces fonds, conformément à sa jurisprudence Prasliscka de 1992.

Dénouement au second décès

Dans cette affaire, des époux avaient souscrit un contrat d’assurance-vie pendant leur mariage. En 2005, l’épouse décède en premier. Elle laisse comme héritiers son mari et ses filles, et ses petits-enfants venant au droit de leur père prédécédé. Le conjoint survivant décède en 2013. Lors de la succession de l’épouse, les héritiers s’opposent sur le sort des capitaux décès. Pour certains, les capitaux sont propres à l’époux survivant (le mari). Il n’y a donc pas lieu à récompense. Pour d’autres, les fonds constituent des biens communs, lesquels doivent donc être réintégrés dans la succession de la mère prédécédée, à hauteur de la moitié de la valeur de rachat.

Un actif de la communauté

Dans son arrêt du 13 juin 2018, la cour d’appel d’Agen a estimé que le conjoint survivant a été bénéficiaire du contrat qui constitue un propre pour celui-ci, « peu important que les primes aient été payées par la communauté ». C’était méconnaître le fonctionnement de la co-souscription du contrat d’assurance-vie par un couple marié sous le régime de la communauté. Ce qu’a censuré la Cour de cassation : « en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le contrat s’était poursuivi avec [le conjoint survivant] en qualité de seul souscripteur, ce dont il résultait qu’il ne s’était pas dénoué au décès de l’épouse, que sa valeur constituait un actif de communauté et que la moitié de celle-ci devait être réintégrée à l’actif de la succession de la défunte, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

La cour vise l’article 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à la réforme de 2016, selon laquelle : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ». Et l’article 1401 du Code civil qui détermine l’origine des biens communs affirme que : « La communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ».

Le mécanisme de la co-adhésion

L’erreur commise par la cour d’appel a été de considérer que le contrat d’assurance-vie avait été dénoué du fait du premier décès, celui de l’épouse, en 2005. En effet, si les époux communs en biens souscrivent un contrat d’assurance-vie en co-adhésion avec dénouement au premier décès au sein du couple, alors les capitaux perçus par le conjoint survivant désigné bénéficiaire du contrat, constituent des biens propres. Dès lors, la communauté n’a pas droit à récompense pour les sommes versées.

C’est bien ce que prévoit l’article L. 132-16 du Code des assurances : « Le bénéfice de l’assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint, constitue un propre pour celui-ci ».

La solution est différente si le contrat a été co-souscrit par les époux communs en biens avec dénouement au second décès, puisque le défunt n’est pas le seul assuré. Dans ce cas, le premier décès dans le couple ne dénoue pas le contrat, qui continue d’exister avec comme seul souscripteur le conjoint survivant. Dans ce cas, la valeur de rachat du contrat est considérée comme faisant partie de la communauté, conformément à l’article 1401 du Code civil. La moitié de celle-ci doit être réintégrée à l’actif de la succession du premier défunt. C’est à cette situation que correspondait l’affaire soumise à la Cour de cassation le 26 juin dernier.

Cette solution a été affirmée par la Cour de cassation en 1992, dans son fameux arrêt Praslicka (Cass. 1er civ., 31 mars 1992, n° 90-16343). Se fondant sur l’article 1401 du Code civil, elle avait considéré que la valeur de rachat du contrat non dénoué constitue un bien commun. Plus précisément, le capital constitue un actif de communauté et les intérêts des acquêts. Elle l’avait répété le 19 avril 2005 (Cass. 1er civ., 19 avril 2005, n°02-10985).

En réaffirmant sa position, la haute cour confirme les différentes réponses ministérielles intervenues depuis. Tout d’abord par la Chancellerie dans la réponse Proriol de 2009 (Rép. min. n° 27336, JOAN, 10 novembre 2009, p. 10704), puis la réponse Carayon de 2010, (Rép. min. à QE n° 65745, JOAN, 2 février 2010, p. 1179).

Solution fiscale fluctuante

Si la règle civile posée par l’arrêt Praslicka a été confirmée à plusieurs reprises, bénéficiant d’une grande stabilité, sa conséquence fiscale a, au contraire, subi des évolutions doctrinales.

En 2010, dans la réponse ministérielle Bacquet (Rép. Min. 26231 « Bacquet », JOAN, 29 juin 2010, p. 7283), Bercy a considéré que « conformément à l’article 1401 du Code civil, et sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond, la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits avec des fonds communs fait partie de l’actif de communauté soumis aux droits de succession dans les conditions de droit commun ».

Applicable aux successions ouvertes depuis le 29 juin 2010, cette doctrine a été vivement critiquée en ce qu’elle faisait supporter aux héritiers – autres que le conjoint survivant – des droits de succession sur des biens qui ne leur étaient pas transmis.

Sollicité en ce sens, Bercy a rétabli la neutralité fiscale du premier décès dans sa réponse Ciot de 2016 (Rép. Min. 78192 « Ciot », JOAN, 23 février 2016, p. 1648) : « afin de garantir la neutralité fiscale pour l’ensemble des héritiers lors du décès du premier époux, il est admis, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, qu’au plan fiscal la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des fonds communs et non dénoué à la date du décès de l’époux bénéficiaire de ce contrat, ne soit pas intégrée à l’actif de la communauté conjugale lors de sa liquidation, et ne constitue donc pas un élément de l’actif successoral pour le calcul des droits de mutation dus par les héritiers de l’époux prédécédé. Lors du dénouement du contrat suite au décès du second conjoint, les sommes versées aux bénéficiaires de l’assurance-vie resteront bien évidemment soumises aux prélèvements prévus, suivant les cas, aux articles 757 B et 990 I du Code général des impôts dans les conditions de droit commun ».

Rappelons que selon l’article 990 I du Code général des impôts (CGI), les primes versées avant les 70 ans de l’assuré sont exonérées jusqu’à 152 500 euros par bénéficiaire, seuil au-delà duquel la taxation est de 20 % jusqu’à 700 000 euros, puis de 31,25 %. L’article 757 B du CGI prévoit, quant à lui, une taxation aux droits de succession pour les primes versées après les 70 ans de l’assuré, après un abattement global de 30 500 euros.

Cette doctrine a été intégrée au Bofip, qui reprend les termes de la réponse Ciot : « Il est désormais admis, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, que la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie, souscrit avec les deniers communs et non dénoué lors de la liquidation d’une communauté conjugale à la suite du décès de l’un des époux, n’est pas, au plan fiscal, intégrée à l’actif de la communauté conjugale lors de sa liquidation, et ce quelle que soit la qualité des bénéficiaires désignés. Elle ne constitue donc pas un élément de l’actif successoral pour le calcul des droits de mutation dus par les héritiers de l’époux prédécédé ».

La doctrine conclut : « ainsi, en cas de décès n’entraînant pas le dénouement du contrat d’assurance-vie, la valeur de rachat du contrat non dénoué souscrit avec des fonds communs n’est pas soumise aux droits de succession » (BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20-20160531, 380).

Les doutes soulevés par la réponse Malhuret

En janvier dernier, Bercy a répondu au sénateur Claude Malhuret, qui lui demandait d’affirmer que la co-adhésion à un contrat d’assurance-vie par deux époux communs en biens, prévoyant que le contrat qui se dénouera au second décès, demeure la propriété de l’époux survivant au premier décès, ne peut être requalifiée en donation indirecte, alors que sa valeur « commune » est un acquêt de communauté devant être civilement intégré au partage de la communauté, et que les assurés peuvent également se prévaloir de la réponse ministérielle Ciot.

Il faut dire que dans sa réponse ministérielle Lazaro de 1993 (Rép. min. n° 5703, JOAN, 20 déc. 1993, p. 4608), Bercy avait considéré que la co-souscription avec dénouement au second décès pouvait caractériser une donation indirecte. Pourtant, ici, la valeur de rachat étant commune, comment caractériser une donation au bénéfice du conjoint sans que soit opéré un transfert d’un patrimoine à un autre ?

Dans sa réponse au sénateur Claude Malhuret, Bercy a rappelé les principes posés par la réponse Ciot sur le plan fiscal avant de préciser que cette position « est sans incidence sur la qualification éventuelle de donation indirecte, taxable aux droits de mutation à titre gratuit au nom du donataire, de la transmission réalisée via le contrat d’assurance-vie au bénéfice de l’autre conjoint ». Dès lors pour le ministre, la réponse Ciot « ne saurait donc permettre de présumer qu’un contrat co-souscrit par des époux communs en biens dont le dénouement normal est le décès du second conjoint ne peut constituer une donation indirecte. En effet, de manière générale, la souscription d’un contrat d’assurance-vie est susceptible de constituer une donation indirecte en l’absence d’éléments contredisant l’intention libérale du souscripteur. Or compte tenu notamment du large éventail de possibilités offertes par les contrats d’assurance-vie, rien n’exclut a priori l’intention libérale de l’un des époux co-souscripteurs. L’absence de qualification de donation indirecte ne pouvant être présumée, la régularité d’une telle opération doit être appréciée au cas par cas au vu des circonstances de fait de l’espèce (Rép. min. n° 256, JO Sénat, 10 janvier 2019, p. 131).