Christiaan Van Der Valk : « La TVA est l’impôt qui apporte le plus de recettes à l’État, or nous avons en France un écart de TVA de 14 Mds€ tous les ans » !
La pandémie de Covid a propulsé la normalisation de l’économie numérique parmi les priorités politiques de l’Union européenne. Pour ce faire, la législation fiscale est l’un des instruments-clés pour créer des opportunités d’automatisation intelligente pour les grandes entreprises comme pour les millions de PME dont la prospérité est essentielle à l’économie européenne. L’une des initiatives de la Commission européenne est la proposition « TVA à l’ère numérique » (ViDA), qui vise à révolutionner l’application de la TVA dans les transactions commerciales via la facturation électronique et la communication continue de données détaillées sur toute transaction B2B. Cette proposition s’inspire de programmes qui ont transformé avec succès la taxation en Amérique latine. Mais les enjeux s’avèrent différents en Europe. En effet, comment l’Europe pourra-t-elle s’assurer qu’elle renouvelle ses règles juridiques et politiques afin de trouver les bons équilibres pour la santé économique et sociétale à long terme ? Christiaan Van Der Valk, vice-président stratégie et réglementation chez l’éditeur de logiciels pour la conformité fiscale Sovos, nous explique les défis et enjeux de cette nouvelle réglementation. Entretien.
Actu-Juridique : Pourquoi l’Europe a-t-elle décidé de mettre en œuvre des contrôles transactionnels en continu ? Le projet TVA à l’ère du numérique (ViDA) en est-il l’émanation ultime ?
Christiaan Van Der Valk : On observe depuis quelques années une tendance qui se confirme en matière de fiscalité B2B : une tendance aux contrôles transactionnels en continu (CTC). La facturation électronique fait partie de cette tendance, le projet TVA à l’ère du numérique (ViDA) s’inscrit également dans cette tendance.
Le brassage d’une telle masse de données financières et économiques permet bien entendu d’anticiper, d’avoir une vision statistique de la direction d’une économie, d’avoir une compréhension de quels sont les marchés porteurs, quelles sont les entreprises les plus prospères, mais on observe aussi une véritable vision en matière de numérique.
L’Union européenne développe depuis plusieurs années une posture en matière de numérique, qu’elle aimerait transformer en leadership. Il s’agit d’une posture d’équilibre entre une protection des données qui va dans le sens de la souveraineté et d’une optimisation de ces mêmes données, comme nous l’avons vu avec le RGPD, que nous reverrons avec le digital wallet, et que nous avons observé avec le succès du pass sanitaire. Le projet TVA à l’ère du numérique s’inscrit très clairement dans cette tendance et fait partie d’un projet européen porteur de soft power.
Enfin, les expériences menées en Amérique latine en matière de CTC illustrent comment la qualité et l’efficacité des services publics, la santé, la protection de l’environnement, la sécurité juridique, l’accès au financement des entreprises et la lutte contre le blanchiment d’argent peuvent être facilités avec des volumes de données transactionnelles à disposition et l’approbation en temps réel.
AJ : Quel est l’objectif de la proposition « TVA à l’ère numérique » ?
Christiaan Van Der Valk : Bien sûr, du point de vue des finances publiques, il s’agit pour la Commission européenne, à l’initiative du projet, d’optimiser la collecte de la TVA dans tous les pays membres en combattant mieux la fraude. La TVA est l’impôt qui apporte le plus de recettes à l’État, or nous avons en France un écart de TVA de 14 Mds€ tous les ans. Cependant, l’objectif réel de la Commission européenne est aussi de transformer radicalement les entreprises du point de vue numérique. Pour ce faire, la Commission européenne recours à un vecteur qui touche toutes les entreprises : la fiscalité.
Ainsi exhortées à passer au numérique par la réforme de la facturation électronique obligatoire, puis peut-être dans quelque temps par le projet VIDA, les entreprises se voient de fait, contraintes par la loi à numériser une partie de leurs activités. Le but est en fait de consolider l’économie européenne par la digitalisation de nombreux processus afin de créer des infrastructures numériques susceptibles de faciliter les échanges commerciaux, à l’instar de PEPPOL. Les documents commerciaux, qui sont aussi des documents sensibles sont archivés sur des plate-formes publiques ou privées (mais tiers de confiance de l’État) qui sont de véritables bunkers pour la documentation confidentielle comme l’est celle commerciale, et qui les protège de toute ingérence extra-européenne.
Pour les PME surtout, c’est extraordinaire, car cette fluidification des processus va faciliter le recouvrement (les PME ont souvent des soucis de trésorerie) et favoriser la concurrence. Aussi, d’autres innovations technologiques pourraient se greffer à la facturation électronique, tant les infrastructures (PDP, plate-forme étatique, progiciels de mise en conformité) permettent de nouvelles démarches. C’est le cas par exemple pour l’initiation de paiement.
AJ : Cette proposition s’inspire de programmes qui ont transformé avec succès la taxation en Amérique latine, mais l’Europe a fait plusieurs choix résolument différents, pourquoi et quels sont-ils ?
Christiaan Van Der Valk : En Europe, l’Italie a été le premier pays à adopter la facturation électronique, ayant recours uniquement à une plate-forme étatique de dématérialisation.
La France est le second pays à avoir obtenu un mandat de facturation électronique, et la démarche de l’État était déjà plus mature : des plate-formes privées, dites tiers de confiance de l’État, ont été agréées pour remonter les informations relatives aux transactions à l’État et en quelque sorte « soulager » Chorus Pro.
AJ : Qu’est-ce que le principe de « minimisation des données » ?
Christiaan Van Der Valk : Selon le RGPD, les données à caractère personnel doivent être limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées. C’est une obligation qui s’applique dans le cadre de toute collecte de données. Il faut donc que les données collectées soient pertinentes, que leur collecte soit justifiée et limitée au minimum nécessaire en vue de leur traitement et archivage d’où la notion de « minimisation des données », sans quoi la CNIL peut être saisie pour déclarer les données inutiles illicites.
AJ : Quid de la protection des données avec ce principe de « minimisation des données » ?
Christiaan Van Der Valk : Cette obligation qui s’inscrit dans la suite logique de la loi Informatique et Libertés de 1978 fait état d’une volonté de protection de la vie privée et du secret des affaires des personnes physiques et morales, mais ne protège de fait ni des ingérences extraterritoriales, ni de l’espionnage économique, ni du cyber-piratage. Or, comme nous le disions auparavant, les plateformes de dématérialisation seront en revanche de véritables bunkers pour la documentation confidentielle des entreprises, et offriront concrètement une protection à la documentation commerciale des entreprises.
AJ : Quels sont les avantages de l’approbation transactionnelle en temps réel ?
Christiaan Van Der Valk : L’exemple de l’Amérique latine en matière de CTC, qui a permis d’obtenir de plus gros volumes de données transactionnelles concernant les services publics, mais aussi la sécurité juridique/garanties, l’accès au financement pour les entreprises et la lutte contre la criminalité financière, grâce à l’approbation en temps réel, a permis de redoubler d’efficacité dans ces domaines.
Référence : AJU009b4