Convention franco-britannique : le Conseil d’État précise les contours du crédit d’impôt

Publié le 24/06/2020

Le crédit d’impôt en faveur des résidents fiscaux de France est égal au montant de l’impôt français correspondant aux revenus imposables au Royaume-Uni. Les revenus ouvrant droit au crédit d’impôt visent les revenus compris dans la base de l’impôt du Royaume-Uni, sans que l’intéressé en soit exonéré à raison de son statut ou de son activité, mais n’exige pas que lesdits revenus aient été soumis à une imposition effective. S’agissant des contributions sociales françaises, l’octroi d’un crédit d’impôt égal à leur montant n’est pas subordonné à la condition à ce que les revenus soumis à ces contributions aient été compris dans la base d’un impôt équivalent ou similaire au Royaume-Uni.

Dans un arrêt du 12 février 2020, le Conseil d’État précise les contours du crédit d’impôt destiné à éliminer la double imposition prévue par la convention passée entre la France et le Royaume-Uni (CE, 9e et 10e ch. réun., 12 févr. 2020, n° 435907).

Le crédit d’impôt en faveur des résidents de France est égal au montant de l’impôt français correspondant aux revenus imposables au Royaume-Uni. Les revenus ouvrant droit au crédit d’impôt visent les revenus compris dans la base de l’impôt du Royaume-Uni, sans que l’intéressé en soit exonéré à raison de son statut ou de son activité. En l’absence de condition d’imposition effective au Royaume-Uni, les contributions sociales doivent être comptées parmi les impôts ouvrant droit à l’octroi du crédit.

Salarié détaché à l’étranger

Le Conseil d’État a été saisi pour avis sur une question de droit, conformément à l’article L. 113-1 du Code de justice administrative, par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (TA Cergy-Pontoise, 12 nov. 2019, n° 1703279). La question soumise aux juridictions nécessite en effet une interprétation de la convention bilatérale passée entre la France et le Royaume-Uni en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Londres le 19 juin 2008 (la convention).

Dans cette affaire, Monsieur et Madame A demandent au juge de première instance de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu (IR) et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2013. Ils réclament également la réduction de l’impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l’année 2013, à raison de la part de la rémunération salariée de Monsieur A correspondant à ses activités de prospection de marchés étrangers en application de l’article 81 A du Code général des impôts (CGI). Ce dispositif est prévu pour les salariés détachés à l’étranger. Il exonère les personnes domiciliées en France au sens de l’article 4 B du CGI qui exercent une activité salariée et sont envoyées par un employeur dans un État autre que la France et que celui du lieu d’établissement de cet employeur peut bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu à raison des salaires perçus en rémunération de l’activité exercée dans l’État où elles sont envoyées.

Rappelons que les personnes fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 A du CGI, doivent déclarer en France, les revenus de source française et les revenus de source étrangère, ces derniers sont imposables ou non à l’étranger. Si les revenus sont également imposés dans l’autre État (État de la source du revenu), la France accorde un crédit d’impôt limité au montant de l’impôt français.

Contrairement à la convention qu’elle remplace, qui utilisait la méthode du taux effectif, la convention entre la France et le Royaume-Uni de 2008 utilise, pour éliminer la double imposition, la méthode de l’imputation.

Méthode de l’imputation

Les 6 questions « à tiroir » posées à la haute juridiction administrative concernaient la méthode de l’imputation, retenue par l’article 24 de la convention pour éliminer la double imposition. L’article 24, 3., a), de la convention relative à l’élimination de la double imposition, est rédigé en ces termes : « En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante :

a) nonobstant toute autre disposition de la présente convention, les revenus qui sont imposables ou ne sont imposables qu’au Royaume-Uni conformément aux dispositions de la présente convention sont pris en compte pour le calcul de l’impôt français lorsqu’ils ne sont pas exemptés de l’impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l’impôt du Royaume-Uni n’est pas déductible de ces revenus, mais le résident de France a droit (…) à un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français. Ce crédit d’impôt est égal (…) au montant de l’impôt français correspondant à ces revenus à condition que le résident de France soit soumis à l’impôt du Royaume-Uni à raison de ces revenus ».

La première question posée au Conseil d’État consiste à savoir si les termes « nonobstant toute autre disposition de la présente convention » permettent à la France, s’agissant des résidents de France, personnes physiques, de ne pas appliquer le crédit d’impôt aux contributions sociales françaises, tant qu’aucun impôt sur le revenu ou un élément du revenu de nature équivalente n’existe au Royaume-Uni.

Le Conseil d’État y répond par la négative, faisant entrer les prélèvements sociaux dans le champ du crédit d’impôt. Selon lui, l’expression « nonobstant toute autre disposition de la présente convention », signifie qu’alors même que d’autres stipulations de la convention prévoient que certains revenus sont imposables ou ne sont imposables qu’au Royaume-Uni, ces revenus peuvent néanmoins être pris en compte pour le calcul de l’impôt français. L’expression en cause ne saurait permettre à la France, s’agissant des résidents de France, personnes physiques, de ne pas appliquer le crédit d’impôt (…) aux contributions sociales françaises, au motif qu’aucun impôt sur le revenu ou sur un élément du revenu de nature équivalente n’existe au Royaume-Uni ».

Impôt progressif et impôt proportionnel

La deuxième question se posait alors logiquement. Si le crédit d’impôt doit s’appliquer aux prélèvements sociaux, alors, l’objectif visé par la méthode de détermination du crédit d’impôt, consistant à permettre à la France de préserver la progressivité de l’impôt sur le revenu et d’imposer les revenus imposables en France en application de la convention comme si les autres revenus y étaient également imposables, « implique-t-il que le crédit d’impôt en cause ne soit appliqué qu’aux impôts français concernés présentant un caractère progressif » ?

La réponse du Conseil d’État est là encore très claire : « aucune des stipulations (…) de l’article 24 de la convention ne permet de restreindre le bénéfice du crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français aux seuls revenus relevant d’un barème progressif d’imposition ». D’ailleurs, la convention prévoit expressément (au b) du paragraphe 3 de l’article 24) « les modalités de détermination du crédit d’impôt selon que l’impôt dû en France est proportionnel ou progressif ». La troisième question posée par le tribunal administratif, qui raisonnait sur l’hypothèse d’une réponse négative à la précédente question, est devenue sans objet.

Absence d’imposition effective au Royaume-Uni

La quatrième question portait sur la condition tenant à ce que les revenus, pour ouvrir droit à un crédit d’impôt, doivent être soumis à l’impôt du Royaume-Uni. S’agissant des contributions sociales françaises, implique-t-elle qu’aucun crédit d’impôt ne soit accordé aux résidents de France personnes physiques percevant des revenus de source britannique, tels que les revenus en cause, s’il n’est pas établi par l’intéressé qu’il a effectivement acquitté un impôt sur le revenu au Royaume-Uni à raison de ces revenus ? Dans l’affirmative, la condition en cause doit-elle être appliquée dans les mêmes conditions à l’impôt sur le revenu français ?

Selon le Conseil d’État les stipulations de l’article 24 de la convention « doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but ».

Par conséquent, la condition tenant à ce que le résident de France soit soumis à l’impôt du Royaume-Uni à raison des revenus non mentionnés à l’alinéa (ii), pour que ces revenus lui ouvrent droit à un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt français correspondant à ces revenus, signifie que les revenus en cause doivent être compris dans la base de « l’impôt du Royaume-Uni » (…), sans que le résident de France en soit exonéré à raison de son statut ou de son activité. En revanche, cette condition n’exige pas que les revenus en cause aient été soumis à une imposition effective. S’agissant des contributions sociales françaises, qui font partie de « l’impôt français » défini au b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la convention, aucune stipulation de l’article 24 ne subordonne l’octroi d’un crédit d’impôt égal à leur montant à ce que les revenus soumis à ces contributions aient été compris dans la base d’un impôt équivalent ou similaire au Royaume-Uni.

Enfin, la condition en cause doit-elle être regardée comme étant satisfaite s’il est établi par l’intéressé qu’il a déclaré les revenus en cause pour l’assiette de l’impôt sur le revenu au Royaume-Uni, alors même qu’il n’aurait acquitté dans cet État aucun impôt à raison de ces revenus ? Selon le Conseil d’État, il résulte de ce qui a été dit que la condition prévue à l’alinéa (i) du a) du paragraphe 3 de l’article 24 de la convention doit être regardée comme satisfaite « s’il est établi par le résident de France qu’il a déclaré les revenus en cause au Royaume-Uni, parce que ces revenus étaient compris dans la base de l’un des impôts énumérés au a) du 1 de l’article 2 de la convention [l’impôt sur le revenu ; les contributions sociales généralisées, les contributions pour le remboursement de la dette sociale] alors même qu’il n’aurait acquitté dans cet État aucun impôt à raison de ces revenus.