Détecter plus efficacement la fraude fiscale des particuliers

Publié le 25/03/2024
Détecter plus efficacement la fraude fiscale des particuliers
Nuthawut/AdobeStock

La Cour des comptes formule six recommandations pour muscler et sécuriser la détection de la fraude fiscale.

Le sujet de la fraude fiscale des particuliers est issu d’une consultation citoyenne pour recueillir des propositions d’enquêtes visant à enrichir son programme de travail, lancée par la Cour des comptes en 2022. À l’origine de ce rapport d’initiative citoyenne, la nécessité de vérifier que l’administration dispose de moyens efficaces de détection de la fraude fiscale des particuliers, « signe de l’attachement des Français au civisme fiscal et au principe d’égalité devant l’impôt », souligne la Cour des comptes.

Les enjeux de la lutte contre la fraude

Un sujet riche d’enjeux puisque les impôts directement acquittés par les particuliers représentent plus de 160 milliards d’euros en 2022, soit 30 % des recettes fiscales nettes recouvrées pour le compte de toutes les administrations publiques. Ils comprennent l’impôt sur le revenu (88,9 milliards d’euros recouvrés auprès de 18,5 millions de foyers), l’impôt sur les revenus tirés de capitaux mobiliers (4,0 milliards d’euros), l’impôt sur la fortune immobilière (2,4 milliards d’euros) et les droits sur les successions et donations (18,6 milliards d’euros) ainsi que les taxes foncières (28,3 milliards d’euros), la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (2,3 milliards d’euros) et les droits de mutation (16,1 milliards d’euros). Pour les sages de la rue Cambon « une lutte efficace contre la fraude fiscale constitue non seulement l’une des conditions du consentement à l’impôt, mais également un enjeu budgétaire, puisque le montant total des sommes recouvrées par l’administration fiscale après contrôle s’est élevé à 14,6 milliards d’euros en 2022, dont un peu plus du tiers sur des particuliers ».

La difficile évaluation de la fraude fiscale

La Cour des comptes souligne le peu de données statistiques dont on dispose en matière de fraude fiscale. La notion d’écart fiscal correspond à la différence entre les montants effectivement perçus et ceux qui résulteraient d’une stricte application de la règle fiscale sans aucune perturbation. Cet écart fiscal comprend la fraude fiscale proprement dite mais aussi les irrégularités involontaires et les sommes réclamées par l’administration fiscale mais non recouvrées. La fraude fiscale, définie par l’article 1741 du Code général des impôts, se caractérise comme une violation délibérée de la réglementation fiscale. Il s’agit d’une infraction pénale passible d’une amende de 500 000 € et de cinq ans d’emprisonnement. De façon singulière, la France ne dispose d’aucune évaluation précise de la fraude fiscale, ni même de l’écart fiscal. Les seuls montants connus sont ceux des sommes réclamées par l’administration fiscale après contrôle, soit 14,61 milliards d’euros au total en 2022, répartis entre 11,95 milliards d’euros d’impôts éludés et 2,66 milliards d’euros de pénalités. Environ 1/5e de ces sommes sont le fait de particuliers et les 4/5e d’entreprises et de professionnels.

Détecter efficacement les irrégularités fiscales

Pourtant, l’administration fiscale a connu au cours des dix dernières années une révolution technologique. La numérisation de la quasi-totalité des processus fiscaux et l’augmentation du volume des données mises à la disposition de l’administration fiscale lui ont permis de développer de puissants outils de traitement automatique pour relever les incohérences et les anomalies déclaratives. Le recours au croisement de données en masse a été à l’origine, en 2022, de 155 000 propositions de contrôles de particuliers, soit trois fois plus qu’en 2018. S’y ajoutent les différentes modalités de collecte et de traitement des renseignements parvenus à l’administration, par le biais de dénonciations, d’enquêtes, d’informations communiquées par d’autres administrations françaises ou étrangères, etc. Les aviseurs fiscaux ont ainsi permis de recouvrer 110 millions d’euros en quatre ans depuis 2018, montant à rapporter au 1,8 million d’indemnités qui leur ont été versées. L’administration fiscale s’est attachée à amplifier le recueil des renseignements permettant d’identifier à la fois les fraudes sophistiquées, pour lesquelles aucune déclaration n’apparaît incohérente en elle-même, et les fraudes nouvelles ne faisant pas encore l’objet d’un risque caractérisé.

Quelle efficacité ?

« Malgré le déploiement réussi de ces nouvelles techniques, leur efficacité reste difficile à mesurer », constate la Cour des comptes. En effet, la France ne dispose pas d’estimation statistique de la fraude fiscale à laquelle rapporter le volume des irrégularités détectées et le montant des droits rappelés (14,6 milliards d’euros en 2022, dont 2,6 milliards d’euros de pénalités). Il est donc impossible « d’évaluer quelle proportion de la fraude est effectivement détectée et sanctionnée », et si cette proportion a crû avec l’usage des technologies numériques. La proportion des contrôles fiscaux sur des particuliers qui débouchent sur un rappel de droits, qui mesure la pertinence de la programmation des contrôles, s’élève aujourd’hui à 55 %. « Il s’agit d’un taux élevé mais qui ne progresse guère depuis 2018, empêchant là aussi de conclure à un saut qualitatif permis par la « révolution technologique » des années 2013-2022 », précise le rapport. En outre, les lacunes des systèmes d’information de l’administration fiscale empêchent de faire le lien entre les motifs de programmation des contrôles et les redressements effectivement prononcés.

La programmation des contrôles fiscaux

Alors qu’elle reposait en grande partie sur le contrôle triennal systématique des plus gros contribuables en termes de revenus et de patrimoine, depuis la fin des années 2010, la détection des anomalies déclaratives et des irrégularités fiscales inspire aussi la programmation des contrôles fiscaux. « Près du tiers des contrôles fiscaux repose désormais sur des analyses de risque nourries par le traitement de données en masse (datamining) », souligne la Cour des comptes. Le recours aux techniques de l’intelligence artificielle permet à l’administration fiscale de massifier les opérations de contrôle fiscal comme le montre le dispositif foncier innovant qui confronte les éléments déclarés au titre des taxes foncières aux prises de vue aériennes de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) pour vérifier si les biens détectés sur ces prises de vue sont correctement imposés aux impôts directs locaux. « Les technologies visant à détecter les irrégularités fiscales des particuliers étant potentiellement intrusives, elles ont eu pour corollaire de nouvelles dispositions protectrices des droits des contribuables, le Conseil constitutionnel ayant été amené à resserrer l’encadrement des pouvoirs de l’administration fiscale. Le croisement de données en masse peut être utilisé comme outil d’aide au contrôle mais ne peut en aucun cas conduire à caractériser automatiquement une fraude », soulignent les sages de la rue Cambon.

Quelle stratégie pour le contrôle fiscal ?

Plusieurs logiques peuvent orienter l’action en matière de détection des irrégularités fiscales. On peut cibler systématiquement les gros contribuables, en estimant qu’ils concentrent la majorité des enjeux budgétaires même si leur nombre est faible. « C’était la logique qui prévalait antérieurement, avec le contrôle triennal systématique des dossiers dits à fort ou très fort enjeu », souligne la Cour des comptes. On peut privilégier une analyse de risque, afin de maximiser le rendement du contrôle. « C’est cette logique qui prévaut avec le croisement de données en masse depuis le milieu de la décennie 2010 », précise le rapport. Enfin, la stratégie de contrôle peut laisser une place à la sélection aléatoire, qui répondrait à une forme d’égale probabilité de subir un contrôle. Cependant une telle logique impliquerait de consacrer des ressources à des dossiers majoritairement conformes, au prix d’une baisse de rendement du contrôle.

Le nouveau plan national anti-fraude

Le plan national anti-fraude présenté par le gouvernement en juin 2023, qui s’articule autour de 35 mesures opérationnelles, met l’accent sur le ciblage des plus gros contribuables, s’étonne la Cour des comptes. Cette orientation tranche donc avec la stratégie adoptée depuis la décennie 2010. L’administration fiscale a alors tiré parti des possibilités offertes par la dématérialisation de la gestion des impôts pour développer de puissants outils de détection des anomalies déclaratives et des irrégularités fiscales. Ces outils ont profondément modifié la programmation des contrôles fiscaux, qui sont passés d’une logique ciblant les plus gros contribuables à une logique fondée sur des risques identifiés par le traitement en masse des données collectées. « Pour autant, ces outils ne se sont pas intégrés à une stratégie de détection de la fraude explicitement formulée », souligne la Cour des comptes. « La formalisation d’une stratégie plus structurée et plus transparente de détection des irrégularités fiscales permettrait de répartir les moyens affectés au contrôle en fonction d’objectifs clairement formulés, avancent les sages de la rue Cambon. Le plan national anti-fraude présenté par le gouvernement en juin 2023 constitue une opportunité pour formaliser une telle stratégie. »

Le projet PILAT pour une programmation efficace du contrôle fiscal

La Cour formule six recommandations en ce sens, qui portent à la fois sur l’estimation de la fraude, la programmation des contrôles, une amélioration des outils de suivi, une mobilisation accrue du renseignement fiscal, la mise en place d’une démarche proactive de prévention et de dissuasion et une meilleure gestion des compétences professionnelles nécessaires à la lutte contre la fraude fiscale. Sa première recommandation consiste à présenter de manière transparente les choix stratégiques de programmation des contrôles fiscaux et à veiller à ce que les outils et méthodes déployés pour ce faire garantissent l’égalité des contribuables en supprimant les exceptions d’usage infondées. Sa deuxième recommandation porte sur l’estimation statistique de la fraude fiscale. À cet égard la Cour des comptes recommande d’établir « d’ici à fin 2024, en partenariat avec l’Insee et sur la base des enseignements de l’estimation réalisée sur la fraude à la TVA, une méthodologie et un calendrier pour estimer la fraude fiscale des particuliers sur l’impôt sur le revenu ». La complexité de la fiscalité des particuliers ne doit pas conduire à retarder ces estimations, concluent les sages de la rue Cambon. Troisième recommandation, veiller à ce que le projet PILAT permette de faire le lien entre fraudes suspectées, détectées et établies, et évaluer ainsi la pertinence des motifs de programmation des contrôles. Le projet PILAT démarré en 2018 est un grand projet de modernisation du système d’information consacré au contrôle fiscal destinée à constituer une application unique pour l’ensemble de la chaîne du contrôle fiscal, de la programmation au recouvrement. Sa troisième brique, l’application Galaxie, un traitement informatisé et automatisé de donnée à caractère personnel est déployée depuis le 5 avril 2022. Cette application permet à la fois de repérer des erreurs commises par des contribuables de bonne foi comme de faciliter la détection des schémas de fraude fiscale.

Muscler le renseignement fiscal

La recherche de renseignements est une priorité pour Bercy, notamment pour rechercher et prévenir les fraudes fiscales les plus complexes et les plus graves. À cet égard, la Cour des comptes recommande de créer, au niveau national, un outil informatique de mobilisation du renseignement interne simple, rapide d’utilisation et intégrant un retour systématique à l’agent émetteur, à partir des expérimentations et des bonnes pratiques locales. Il est nécessaire de mettre en place une démarche plus structurée visant à mieux partager les renseignements fiscaux, à en assurer le suivi et à en tirer les conséquences, souligne la Cour des comptes. Il s’agit notamment de « développer la coopération entre les services de la gestion fiscale et les services du contrôle fiscal afin d’assurer un suivi et une exploitation de la masse d’informations à leur disposition », explique la Cour des comptes. Les sages de la rue Cambon préconisent en outre de renforcer les mesures de prévention proactive à l’égard des contribuables particuliers notamment sous la forme de messages d’alerte en temps réel lorsque des données fournies lors des déclarations en ligne semblent incohérentes ou manquantes et avertissant le contribuable des contrôles qui pourraient en résulter. Sixième et dernière recommandation : mettre en œuvre une politique d’attractivité et de fidélisation des agents spécialisés dans la détection de la fraude fiscale.

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