Dutreil et holding animatrice : la Cour de cassation censure la doctrine administrative sur le maintien de l’activité éligible

Publié le 05/07/2022
Gouvernance société moderne
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Dans son arrêt du 25 mai 2022 publié au Bulletin, la Cour de cassation a jugé que la loi n’impose pas qu’une société holding conserve sa fonction d’animation jusqu’à l’expiration du délai légal de conservation des titres soumis à engagement Dutreil.

Coup de théâtre dans le feuilleton sur la holding animatrice et les pactes Dutreil : la Cour de cassation vient de rendre un arrêt remarqué, publié au Bulletin, dans lequel elle admet que la perte de la qualité de holding animatrice de groupe ne fait pas tomber le bénéfice de l’exonération Dutreil (Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-25513).

Une succession partiellement exonérée

À la suite du décès de Madame A. en 2010, ses héritiers ont déposé une déclaration de succession revendiquant, s’agissant des parts de la société S. holding animatrice de groupe, le bénéfice de l’exonération partielle des droits de succession à hauteur de 75 % prévue à l’article 787 B du Code général des impôts (CGI), la valeur déclarée de ces 2 935 parts transmises s’élevant à la somme de 9 513 962 euros. Les héritiers ont pris l’engagement de les conserver pendant une durée de quatre ans à compter de leur transmission.

Deux mois plus tard, la holding a cédé cinq des sept sociétés commerciales qui formaient son groupe de BTP, puis, en mars 2012, une sixième société, ce moyennant un prix global d’environ 14 500 000 euros, de sorte que dix-huit mois après le décès de la titulaire des titres, la société holding ne détenait de participation majoritaire que dans une seule société commerciale, fortement déficitaire, et dans une société civile immobilière qu’elle contrôlait déjà au jour du décès.

Selon l’administration, les six sociétés cédées représentaient, avant la cession, 83 % du chiffre d’affaires global du groupe, que l’effectif de celui-ci était passé de 130 à 20 salariés, qu’enfin, la proportion de l’actif éligible au dispositif Dutreil était passé de 92 % avant la cession à 34 % en 2011. Elle relevait aussi que les fonds provenant des cessions n’avaient pas été réinvestis dans une activité économique. Concluant que, suite, à différentes cessions la société holding était devenue purement financière, l’administration avait remis en cause l’exonération partielle dont avaient bénéficié les héritiers, et avait notifié une proposition de rectification en septembre 2013 pour un montant de 1 666 488 euros.

Les conditions et obligations des pactes Dutreil

L’article 787 B du CGI prévoit un abattement de 75 % sur les droits de mutation à titre gratuit des titres de société exerçant une activité industrielle, commerciale, agricole ou libérale. Parmi les nombreuses conditions entourant le bénéfice de l’exonération partielle, les titres de l’entreprise doivent faire l’objet d’engagement conservation de la part des associés. Au moment de la transmission, les signataires de l’engagement collectif de conservation doivent avoir conservé leurs titres pendant deux ans (sauf engagement réputé acquis ou post mortem). Après la transmission, les bénéficiaires doivent prendre l’engagement individuel de conserver les titres transmis pendant quatre ans. Enfin, l’un des signataires de l’engagement collectif de conservation ou d’un engagement individuel de conservation doit diriger l’entreprise pendant 3 ans.

Holding animatrice : activité éligible

Contrairement à une holding pure ou passive – qui ne fait qu’exercer les prérogatives usuelles d’un actionnaire – la société holding animatrice de groupe est assimilée à une société exerçant une activité éligible. L’article 966 du CGI indique expressément que son activité est commerciale : « sont également considérées comme des activités commerciales les activités de sociétés qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ». La doctrine administrative en vigueur dans l’affaire assimilait elle aussi la holding animatrice à une activité éligible (BOI 7G-6-01, n° 137 du 30 juillet 2001), (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 § 55).

Cette éligibilité semble exister de plein droit : « doit être assimilée à ces sociétés ayant une activité mixte, la société holding qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers » (Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-17955), « le caractère principal de son activité d’animation de groupe devant être retenu notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l’imposition, des titres de ces filiales détenus par la société holding représente plus de la moitié de son actif total ».

La question de la permanence de l’activité éligible

Si la holding animatrice est par nature éligible, la perte de sa qualité d’animatrice de groupe remet-elle en cause l’exonération partielle ? Si la loi ne dit rien sur la permanence de l’activité éligible dans le temps, l’administration a pris position : « la société doit vérifier la condition d’activité (…) pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation. L’abandon d’activités et l’exercice d’activités nouvelles pendant cette durée sont possibles, pourvu que la règle rappelée à la phrase précédente soit respectée » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 25).

Sur ce point, l’administration a été confortée par la cour d’appel de Rennes qui a considéré que, implicitement, la loi impose que la société dont les titres sont transmis en régime Dutreil exerce une activité opérationnelle pendant toute la période de conservation de quatre ans (CA Rennes, 8 oct. 2019, n° 17/08339). En effet, les juges du fond en ont fait une condition implicite et nécessaire : « Cependant et s’agissant d’une société holding, le bénéfice de l’avantage fiscal accordé par l’article précité ne peut se concevoir, au regard de l’objectif fixé par le législateur, et sauf à vider la loi de sa substance, que si ladite société conserve pendant la durée exigée sa fonction d’animation d’un groupe formé de filiales lesquelles doivent, sauf circonstances indépendantes de leur volonté (procédure collective par exemple), conserver une activité économique. »

En l’espèce, la cour de Rennes en tire les conséquences : « Au demeurant (…), la cession de la plupart des filiales exerçant une activité économique au sens de l’article 787 B du Code général des impôts, sans que le produit de ces cessions ait été réinvesti dans une nouvelle activité économique, a modifié la nature de la société qui de holding animatrice est devenue essentiellement une holding financière gérant les produits des cessions intervenues ». Et de conclure, confirmant la condition supposée prévue par la loi : : « ayant perdu sa fonction d’animatrice d’un groupe de filiales, elle ne satisfait plus aux conditions légales. »

Censure de la condition ajoutée par la doctrine administrative

Dans son arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation a mis fin à cette condition souhaitée par l’administration et validée par les juges du fond. La circonstance qu’une holding animatrice cesse, après à la transmission à titre gratuit de ses titres, d’exercer de manière prépondérante son activité éligible n’est pas de nature à entraîner la remise en cause du régime de faveur. « En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé », juge la Cour de cassation, qui poursuit en rappelant les conditions requises par les textes.

« Il résulte des constatations des juges du fond que la société (…) était, au jour du décès de [Monsieur A.], une société holding animatrice d’un groupe de sociétés, que [Madame B.] a conservé les titres de cette société pendant la période de son engagement, soit quatre années, et que les dirigeants (…) sont demeurés à la tête de cette société pendant la durée requise de trois ans, de sorte que [Madame B.] remplissait les conditions pour bénéficier de l’exonération partielle de droits de succession, prévue à l’article 787 B du Code général des impôts, sur la valeur des parts de la société (…) dont elle a hérité ». La condition relative à l’activité doit donc s’apprécier à la date du fait générateur des droits de mutation à titre gratuit, c’est-à-dire lors de la transmission des titres (succession ou donation).

L’arrêt de la Cour de cassation invalide la doctrine administrative publiée par l’administration en décembre 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55) relatif aux holdings animatrices. Cependant, son interprétation laisse une question en suspens. Cette lecture respectueuse de la légalité du dispositif de l’article 787 B du CGI, s’applique-t-elle aussi aux sociétés opérationnelles ? La doctrine administrative leur impose aussi de vérifier la condition d’activité pendant toute la durée de l’engagement collectif, le cas échéant unilatéral, et de l’engagement individuel de conservation (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°25), une condition non prévue par la loi.

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