Fiscalité de l’audiovisuel

Publié le 22/10/2018

Focus sur les dépenses fiscales au soutien du secteur de l’audiovisuel.

Un rapport parlementaire fait le point sur le dispositif de soutien fiscal au cinéma (AN, rapport d’information, n° 1172, présenté par Joêl Giraud et Cendra Motin, juill. 2018). Précisons que les crédits d’impôts en faveur du cinéma et de l’audiovisuel ne représentent qu’une part limitée des soutiens publics au secteur. Les soutiens publics en faveur du cinéma et de l’audiovisuel sont actuellement de quatre ordres. Ils comprennent les dépenses fiscales dont bénéficient les entreprises de production, auxquelles il faut ajouter la dépense fiscale dite « SOFICA » qui bénéficie non pas à l’entreprise de production mais aux personnes investissant au capital des sociétés de financement du cinéma, les aides directes qui regroupent par ailleurs les aides versées par le CNC mais aussi par les collectivités territoriales, les dotations du CNC qui permettent de financer un fonds de garantie géré par l’Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) et une part importante des investissements dans le cinéma et l’audiovisuel qui résulte des obligations pesant à la fois sur les chaînes privées et les chaînes publiques. Au total, une part importante des investissements dans le cinéma provient directement de la puissance publique ou bénéficie indirectement de son soutien. « En orientant un investissement annuel de plusieurs centaines de millions d’euros dans la production cinématographique, le mécanisme des aides publiques et des financements encadrés permet de maintenir un important volume de production nationale. En sécurisant les investissements dans la production, il garantit également la relative autonomie des producteurs indépendants vis-à-vis des diffuseurs et des groupes cinématographiques intégrés », soulignent les rapporteurs.

Une inflation de textes législatifs

Depuis 2004, date de la création du premier crédit d’impôt dit « cinéma », les dépenses fiscales affectées au soutien du secteur audiovisuel ont fait l’objet de 35 articles différents, soit en moyenne 2,5 articles par an. Sur ces 35 articles, 31 résultent de l’adoption d’amendements. 15 % de ces amendements sont d’origine gouvernementale. Une écrasante majorité d’entre eux ont été adoptés sans évaluation préalable. Ce ratio pourrait faire honneur à l’initiative parlementaire. Dans cinq cas, ces dispositifs ont été adoptés avec un avis défavorable de la commission des finances. Le dispositif, relatif à la dernière augmentation du taux de la réduction d’impôt pour la souscription au capital des sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (SOFICA), a été adopté en première partie de la loi de finances pour 2017. Ce placement le rendant automatiquement applicable à l’impôt sur le revenu de cette année 2017 – ce qui constitue en pratique une « petite rétroactivité » que le législateur tend généralement à éviter –, le dispositif a mécaniquement créé un pur effet d’aubaine pour les souscripteurs qui avaient, à la date de promulgation de cette loi, déjà opéré leurs investissements. Cette absence d’évaluation d’ensemble de ces dépenses fiscales est corrélée avec une augmentation importante de leur montant total. Cette augmentation a été particulièrement significative entre 2016 et 2018 (+ 107 %), en raison de mesures votées à la fin de la précédente législature. L’essentiel de cette augmentation provient des crédits d’impôts cinéma national et international (+ 111 % entre 2016 et 2018, soit 91 % de l’augmentation de l’ensemble des crédits d’impôts sur cette période).

Des crédits d’impôts efficaces

Les crédits d’impôt cinéma et audiovisuel national et international, codifiés respectivement aux articles 220 sexies et 220 quaterdecies du CGI, représentent en effet la part la plus importante de l’ensemble des dépenses fiscales en faveur de l’audiovisuel. Ces dispositifs ont fait l’objet d’une première évaluation encourageante du comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales de 2011. Le crédit d’impôt national cinéma a reçu une note de 2 sur 3, sur la base d’une dépense qui était à l’époque de 45 millions d’euros (121 millions d’euros aujourd’hui). Le comité a souligné la lisibilité du dispositif, la qualité de son application sous le contrôle du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et le fait qu’il atteint son objectif principal, à savoir la localisation en France de la production cinématographique. Le comité soulignait l’augmentation de la part des jours de tournage en France pour les films de fiction, de 61 % en 2003 à 75 % en 2009. Le crédit d’impôt national audiovisuel a reçu une note de 2 sur 3, sur la base d’une dépense de 50 millions d’euros (126 millions d’euros aujourd’hui). Là encore ce dispositif a été jugé lisible et efficace. Selon cette évaluation, la part des dépenses de tournage en France a progressé de 9,8 % entre 2005 et 2009. L’emploi du secteur aurait augmenté de 16 % entre 2004 et 2008, et de 19,7 % pour l’emploi permanent même s’il est noté que « le lien direct entre ce crédit d’impôt et la création d’emplois ne peut toutefois pas être démontré ». Le crédit d’impôt cinéma international n’a pas fait l’objet d’une notation. Pleinement applicable à compter du 1er janvier 2010, il est probablement trop tôt pour l’évaluer.

Des performances à améliorer

En 2014, ces trois dispositifs ont fait l’objet d’une évaluation plus mesurée de la Cour des comptes en 2014. La Cour met en lumière un modèle « original » mais « sous tension ». Les montants investis sont en effet passés d’environ 700 millions d’euros en 2002 à 1,1 milliard d’euros en 2012. Cette augmentation s’est traduite par une augmentation du nombre de films produits, la France faisant figure à cet égard de singularité mondiale juste après les États-Unis. Les perspectives d’exposition d’une part importante des films français sont toutefois relativement restreintes, la Cour évoquant une part stable de 50 à 60 % de films français réalisant moins de 50 000 entrées en salle. La Cour souligne, par ailleurs, le fait que ces dispositifs ont certainement entraîné une inflation des coûts de production, notamment les rémunérations des artistes et les coûts de distribution, tandis que la rentabilité des SOFICA aurait tendance à se dégrader.

Dans le domaine de la production audiovisuelle, le constat de la Cour des comptes est beaucoup plus mitigé, les performances étant « sans rapport avec les montants investis ». Si les soutiens publics à cette production sont également très importants en France, la Cour déplore une baisse de la performance de la fiction française par rapport aux fictions étrangères, une progression de la production de documentaires sans rapport avec l’audience prévisible et une rigueur insuffisante des commandes de l’audiovisuel public. « les performances globalement peu satisfaisantes de ce secteur d’activité, la détention par la France du plus fort taux d’exposition et d’audience des séries américaines en première partie de soirée et les évolutions de consommation des produits audiovisuels invitent à un réexamen des soutiens publics », ont souligné les sages de la Cour des comptes. La Cour des comptes s’interrogeait notamment sur le fort taux d’exposition et d’audience des séries américaines en première partie de soirée et les évolutions de consommation des produits audiovisuels invitant à un réexamen des soutiens publics. Depuis lors, constate le rapport parlementaire, le secteur de la production audiovisuelle française a connu un essor significatif, du fait principalement de l’essor des séries dont certaines ont connu un fort succès (Le Bureau des légendes, Versailles, Plus belle la vie, …). Les secteurs de la fiction et de l’animation enregistrent un dynamisme important depuis plusieurs années, sachant que ces secteurs sont particulièrement structurants pour l’économie du secteur.

Un rôle essentiel

L’intervention publique reste déterminante pour assurer le préfinancement des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, souligne le rapport. En effet, l’économie cinématographique et audiovisuelle est complexe à appréhender pour des investisseurs privés qui peinent à évaluer les risques liés à la production d’un film ou d’une série. L’intervention du CNC s’avère notamment centrale. Elle conditionne souvent les autres financements en venant confirmer la faisabilité d’un film vis-à-vis des partenaires potentiels du tour de table. À cet égard, le rapporteur général souligne également le rôle fondamental joué par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) qui, avec des moyens relativement limités, permet d’associer des investisseurs privés, essentiellement des banques, à la production d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. Les soutiens publics (hors SOFICA) représentent 8,9 % du financement des films d’initiative française alors que le financement par les chaînes de télévision représentent 34,6 %. Et cette part du soutien public est dégressive en fonction du budget de production. Pour les films les plus importants, la part de soutien public provenant du crédit d’impôt cinéma dans leur budget total a tendance à augmenter alors que la part provenant des aides automatiques du CNC sont en baisse. Sur la période 2010-2017 on assiste à un effet de substitution entre la dépense budgétaire et la dépense fiscale.

Une concurrence fiscale internationale

L’industrie du cinéma évolue dans un contexte de compétitivité accrue, qui met en concurrence l’attractivité des différents systèmes fiscaux. Les dispositifs d’incitation fiscale deviennent primordiaux pour attirer les productions internationales. Le taux de délocalisation des tournages atteint 69 % pour les films dont le budget dépasse les 10 millions d’euros, d’après les chiffres du CNC ». Aujourd’hui, il existe pas moins de 13 dispositifs étrangers dont on peut considérer qu’ils sont plus attractifs que les crédits d’impôts français », soulignent les rapporteurs. En dépit des réformes dont il a pu faire l’objet depuis 2011, le dispositif fiscal de crédit d’impôt français est, à ce jour, le moins attractif sur des critères strictement financiers, avec un taux parmi les plus faibles. Il est également le plus contraignant puisqu’il est quasiment incompatible avec les autres dispositifs et impose que le tournage, sauf raisons justifiées par le scénario, et la post-production soient effectués sur le territoire français. Au total, le crédit d’impôt français ne représente que 7,9 % en 2013 (8,8 % en 2012) du coût de production des films d’initiative française agréés. En Belgique, depuis la mise en œuvre du dispositif en 2013, le financement sous la forme  » tax shelter  » représente 18,9 % du budget des longs-métrages concernés. Au Canada, sur la période 2012-2013, la production cinématographique a été financée à 27 % par les crédits d’impôts fédéraux et provinciaux, tandis que la production télévisuelle l’a été à hauteur de 28 %. En 2012, le dispositif allemand représente 12,2 % du coût des films concernés et le dispositif irlandais 11,4 % en 2010 ». Ces éléments de comparaison doivent cependant être relativisés dans la mesure où comme il a été indiqué précédemment, les crédits d’impôts ne constituent en France qu’une petite partie des aides en faveur du cinéma et de l’audiovisuel. « De ce fait, concluent les rapporteurs, la course à l’alignement des trois crédits d’impôts français avec le mieux-disant ne saurait constituer, à l’avenir, la matrice de notre politique dans ce domaine, comme cela a trop souvent été le cas dans les cinq dernières années. Il n’en reste pas moins que l’existence de ces trois crédits d’impôts demeure un outil de relocalisation des productions en France. En 2016, ces dépenses supplémentaires relocalisées en France auraient permis de créer près de 15 000 emplois directs et indirects.

La réduction d’impôt sur le revenu « Sofica »

Les Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (Sofica) ont été créées par la loi du 11 juillet 1985. Ils s’agit de sociétés d’investissement destinées à la collecte de fonds privés consacrés exclusivement au financement de la production cinématographique et audiovisuelle. Elles peuvent être créées soit à l’initiative de professionnels du cinéma et de l’audiovisuel, soit à celle d’opérateurs du secteur bancaire et financier. Ce dispositif permet de cibler les projets à fort retour sur investissement, mais également de soutenir le cinéma indépendant et le renouvellement des talents. En contrepartie des financements qu’ils apportent à des projets cinématographiques, les Sofica bénéficient de droits à recettes sur les différents supports d’exploitation des œuvres réalisées. Pour les souscripteurs de parts de Sofica, le rendement s’avère donc aléatoire. Pourtant, ces instruments rencontrent un vrai succès car ils offrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 36 % des montants collectés, à la condition que le contribuable conserve les parts de Sofica pendant 5 ans. La réduction d’impôt est majorée à 43 % si la Sofica choisie investit au moins 10 % de sa collecte dans le capital de sociétés de réalisation non adossées. La réduction d’impôt est prise en compte dans la double limite de 25 % du revenu global de l’investisseur et d’un plafond de 18 000 euros, ce qui constitue une économie d’impôt maximale de 6 480 euros ou 7 740 euros par foyer fiscal. Réservée à un nombre restreint de bénéficiaires, le coût de la réduction d’impôt est relativement stable depuis une dizaine d’années. « Après un effort de rationalisation des taux de la réduction d’impôt en 2011 et 2012, ceux-ci sont désormais proches de ceux applicables lors de la création du dispositif en 2006 », soulignent cependant les rapporteurs. Si le plafonnement global des niches fiscales a permis d’en réduire le poids budgétaire entre 2012 et 2017, l’augmentation du taux de la défiscalisation dans le cadre de la loi de finances pour 2017 semble provoquer un retour aux niveaux de 2007-2010. Le législateur a en effet majoré de 36 à 48 % l’avantage fiscal pour les souscriptions de parts de Sofica réalisant au moins 10 % de leur investissement directement dans le capital de sociétés de réalisation et s’engageant à consacrer 10 % de ses investissements à des dépenses de développement de fiction, d’animation, de documentaires ou d’animation sous forme de série ou de contrats d’association à la production pour des œuvres à l’étranger. Le rapport du comité d’évaluation des niches fiscales de 2011 a attribué à la réduction d’impôt Sofica la note maximale de 3 sur 3. D’après les éléments fournis par la Direction de la législation fiscale en juillet 2018, la dépense fiscale Sofica a pour caractéristique de bénéficier à des foyers fiscaux dont les revenus sont élevés, voire très élevés, ce qui peut paraître, dans une certaine limite, logique, s’agissant d’investisseurs privés. La très grande majorité des foyers bénéficient du dispositif en application du taux renforcé, applicable en cas de souscription rapide de la Sofica, le taux de base ayant tendance à devenir marginal depuis 2010.

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