Fiscalité des revenus du patrimoine pour les travailleurs d’un état tiers
Les revenus du patrimoine des ressortissants français qui travaillent dans un État autre qu’un État membre de l’UE/EEE ou la Suisse peuvent être soumis aux contributions sociales françaises.
La Cour de justice de l’Union européennes (CJUE) vient de rendre un arrêt très attendu concernant la situation des ressortissants français installés à l’étranger. Pour le juge communautaire, les ressortissants installés dans un État tiers, hors Union européenne (UE) et Espace économique européen (EEE), ou la Suisse, peuvent être légalement assujettis aux contributions sociales sur les revenus générés par leur patrimoine. Les articles 63 et 65 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), ne s’opposent pas à la législation française contestée qui soumet en France aux prélèvements sociaux les revenus du capital d’un ressortissant français résident en Chine, un État tiers, alors qu’un ressortissant de l’Union européenne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre en serait exonéré.
Cet arrêt intervient à la suite de plusieurs jurisprudences rendues en 2000 (CJUE, 15 fév. 2000, no C-34/98 et C-169/98, Commission c/ France) et 2015 (CJUE, 26 fév. 2015, n° C-623/13, Min. c/ de Ruyter), dans lesquels la Cour de justice a examiné si deux contributions sociales françaises, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) pouvaient être prélevées sur les salaires, les pensions, les allocations de chômage et les revenus du patrimoine de travailleurs qui, bien que résidant en France, étaient soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre, généralement parce qu’ils exerçaient une activité professionnelle dans ce dernier État. La CJUE a jugé que les deux contributions en cause présentaient un lien direct et suffisamment pertinent avec la sécurité sociale, du fait qu’elles avaient pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale française ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français. Elle en a conclu que, s’agissant des travailleurs concernés, le prélèvement de ces contributions était incompatible tant avec l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale, conformément au règlement n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, qu’avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement. Dans la mesure où les personnes concernées, en tant que travailleurs migrants, sont soumises à la sécurité sociale dans l’État membre d’emploi, leurs revenus, qu’ils proviennent d’une relation de travail ou de leur patrimoine, ne peuvent pas être soumis dans l’État membre de résidence, en l’occurrence la France, à des prélèvements présentant un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de la sécurité sociale. En effet, le produit de ces prélèvements sociaux est destiné au financement du système de sécurité sociale français. Dans la mesure où il finance des prestations qui ne bénéficient qu’aux seules personnes assurées au régime français de sécurité sociale, une telle imposition est contraire au principe d’unicité de la législation applicable à un travailleur.
L’arrêt de Ruyter
À l’origine de l’arrêt rendu par le juge communautaire en 2017, une jurisprudence de 2015. Dans cet arrêt très commenté, la jurisprudence de Ruyter, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 26 fév. 2015, n° C-623/13, Min. c/ de Ruyter) a jugé que la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale ne peuvent être prélevés sur les revenus patrimoniaux perçus par des non-résidents. Dans cette affaire, des prélèvements sociaux avaient été perçus en France sur des rentes viagères versées par deux sociétés d’assurance installées aux Pays-Bas à un ressortissant néerlandais, M. de Ruyter, travaillant aux Pays-Bas et domicilié en France. Le requérant soutenait que, en vertu de l’interdiction du cumul des législations applicables consacrée à l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, il devrait uniquement être soumis à la législation régissant la sécurité sociale aux Pays-Bas. Le ministre affirmait au contraire que le lien existant entre la CSG, la CRDS, le prélèvement social et la contribution additionnelle, d’une part, et la législation sur la sécurité sociale, d’autre part, ne suffit pas à entraîner l’application de ce règlement. Le juge communautaire a considéré que M. de Ruyter, relevant du seul régime de sécurité sociale néerlandais, ne pouvait être soumis à des prélèvements sociaux destinés au financement du système de sécurité sociale français, les prélèvements en cause présentant un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de la sécurité sociale. Le Conseil d’État, en juillet 2015, n’a pas manqué de suivre la position de la CJUE (CE, 27 juill. 2015, n°s 334551 et 342944). Dans la foulée, de nombreuses réclamations ont été déposées pour obtenir la restitution des prélèvements sociaux indûment perçus. Dès la fin du mois d’août 2015, 12 367 réclamations avaient été déposées, pour un enjeu global de 180 millions d’euros.
La pratique de l’administration fiscale
C’est par le biais d’un communiqué de presse que Bercy a précisé, en octobre 2015, les conséquences pratiques que l’administration fiscale entendait donner à la jurisprudence de Ruyter (communiqué DGFiP, 19 oct. 2015). Bercy n’avait jusqu’ici pas tiré les conséquences de cet arrêt, choisissant expressément d’attendre pour ce faire l’arrêt du Conseil d’État. Pour Bercy, ces arrêts s’appliquent aux personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un pays autre que la France situé dans l’UE, l’EEE ou la Suisse. Ils ont une portée tant pour les résidents de France exerçant leur activité salariée dans un autre État et assujettis à un régime de sécurité sociale au lieu de leur activité que pour les non-résidents soumis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus fonciers et leurs plus-values immobilières. Pour les personnes domiciliées en France, la restitution porte sur les prélèvements sociaux portant sur l’ensemble des revenus du capital imposables en France (produits de placement et revenus du patrimoine) et affectés au budget des organismes sociaux. Pour les personnes domiciliées hors de France, elle porte sur les prélèvements sociaux appliqués aux revenus immobiliers (plus-values immobilières et revenus fonciers) tirés de biens situés en France et affectés au budget des organismes sociaux. En revanche, il a été précisé que le prélèvement de solidarité de 2 % dû avant le 1er janvier 2015 n’est pas concerné par la décision de Ruyter dans la mesure où il ne finance pas des branches de la sécurité sociale et qu’il ne fera donc pas l’objet d’une restitution.
Une exclusion critiquée
Dans le cadre de l’exécution de l’arrêt de Ruyter, l’administration fiscale française a procédé au remboursement des prélèvements indûment perçus. Toutefois, conformément aux règles formulées dans le communiqué de presse de Bercy, elle a réservé ces remboursements aux seules personnes physiques affiliées aux régimes de sécurité sociale des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen (EEE) ainsi que de la Suisse, excluant ainsi les personnes physiques affiliées à un régime de sécurité sociale dans un État tiers. C’est cette exclusion qui est à l’origine de la nouvelle jurisprudence communautaire. En effet, la CJUE a été saisie par le Conseil d’État français de la question de savoir si une telle exclusion est conforme au droit de l’Union. Rappelons que le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire. L’affaire qui lui a été soumise concerne un ressortissant français, Monsieur Jahin, qui réside et travaille en Chine et qui est affilié à un régime privé de sécurité sociale dans ce pays et qui souhaite obtenir le remboursement des prélèvements perçus sur ses revenus du patrimoine (revenus fonciers et plus-value réalisée à la suite de la vente d’un immeuble). Ce contribuable a formulé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre du communiqué de presse de Bercy, en tant qu’il exclut du champ du remboursement qu’il prévoit les redevables affiliés à la sécurité sociale dans un État autre que les États membres de l’Union européenne, les États membres de l’Espace économique européen ou la Suisse. Pour le requérant, la prise de position de Bercy dans le communiqué de presse d’octobre 2015 s’avère contraire au principe européen de libre circulation des capitaux. En effet, l’assujettissement des résidents d’États tiers à l’EEE aux prélèvements sociaux n’est justifié par aucune différence de situation si ce n’est une différence liée à leur nationalité ou à leur lieu de résidence. De tels éléments ne peuvent en aucun cas justifier une différence de traitement sans constituer une discrimination interdite par l’article 14 de la CEDH. La prise de position de l’administration fiscale génère une rupture d’égalité devant l’impôt qui n’est justifiée ni par une différence objective de situation ni par un motif d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit et viole donc le principe d’égalité devant l’impôt, avançait le requérant.
Dans un arrêt du 25 janvier 2017, le Conseil d’État a sursis à statuer sur sa requête, jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur les questions préjudicielles suivantes.
Les articles 63, 64 et 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens que :
« 1°) la circonstance qu’une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d’un État tiers à l’Union européenne, autre que les États membres de l’Espace économique européen ou la Suisse soit soumise, comme les personnes affiliées à la sécurité sociale en France, aux prélèvements sur les revenus du capital prévus par la législation française entrant dans le champ du règlement du 29 avril 2004, alors qu’une personne relevant d’un régime de sécurité sociale d’un État membre autre que la France ne peut, compte tenu des dispositions de ce règlement, y être soumise, constitue une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers en principe interdite par l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
2°) en cas de réponse positive à la première question, une telle restriction aux mouvements de capitaux, qui découle de la combinaison d’une législation française, qui soumet aux prélèvements en litige l’ensemble des titulaires de certains revenus du capital sans opérer par elle-même aucune distinction selon le lieu de leur affiliation à un régime de sécurité sociale, et d’un acte de droit dérivé de l’Union européenne peut être regardée comme compatible avec les stipulations dudit article du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment :
Au regard du 1 de l’article 64 du traité, pour les mouvements de capitaux qui entrent dans son champ, au motif que la restriction découlerait de l’application du principe d’unicité de législation prévu à l’article 11 du règlement du 29 avril 2004, introduit dans le droit de l’Union par l’article 13 du règlement du 14 juin 1971, soit à une date antérieure au 31 décembre 1993, alors même que les prélèvements sur les revenus du capital en cause ont été institués ou rendus applicables après le 31 décembre 1993 ;
Au regard du 1 de l’article 65 du traité, au motif que la législation fiscale française, appliquée de manière conforme au règlement du 29 avril 2004, établirait une distinction entre des contribuables ne se trouvant pas dans la même situation au regard du critère tiré de l’affiliation à un régime de sécurité sociale ;
Au regard de l’existence de raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre circulation des capitaux, tirées de ce que les dispositions qui seraient regardées comme constitutives d’une restriction aux mouvements de capitaux en provenance ou à destination des pays tiers répondent à l’objectif, poursuivi par le règlement du 29 avril 2004, de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union européenne ».
La position de la CJUE
Dans cette affaire, la Cour considère que l’exclusion en cause constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux, étant donné que des ressortissants de l’Union affiliés à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre (UE/EEE) ou de la Suisse bénéficient d’un traitement fiscal plus favorable, sous la forme d’une exonération ou d’un remboursement des prélèvements en cause, que des ressortissants français qui résident dans un État tiers et sont affiliés à un régime de sécurité sociale dans cet État, en l’occurrence la Chine. Toutefois, la Cour estime que cette restriction est justifiée en l’espèce, dans la mesure où il existe une différence objective entre, d’une part, un ressortissant français qui, tel que Monsieur Jahin, réside dans un État tiers et y est affilié à un régime de sécurité sociale et, d’autre part, un ressortissant de l’Union affilié à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre : en effet, seul ce dernier est susceptible, en raison de son déplacement à l’intérieur de l’Union, de bénéficier du principe d’unicité de la législation en matière de sécurité sociale. Monsieur Jahin n’ayant pas fait usage de la liberté de circulation au sein de l’Union, il ne peut pas invoquer le bénéfice de ce principe. Il s’ensuit que les revenus du patrimoine des ressortissants français qui travaillent dans un État autre qu’un État membre de l’UE/EEE ou la Suisse peuvent être soumis aux contributions sociales françaises. « Les articles 63 et 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un ressortissant de cet État membre, qui réside dans un État tiers autre qu’un État membre de l’Espace économique européen (EEE) ou la Confédération suisse, et qui y est affilié à un régime de sécurité sociale, est soumis, dans ledit État membre, à des prélèvements sur les revenus du capital au titre d’une cotisation au régime de sécurité sociale instauré par celui-ci, alors qu’un ressortissant de l’Union relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre en est exonéré en raison du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en vertu de l’article 11 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement », précise le juge communautaire.
Le visa du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel s’est prononcé dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., 9 mars 2017, n° 2016-615 QPC) sur la différence de situation entre les contribuables affiliés à la sécurité sociale dans un État non membre de l’UE et soumis aux contributions sociales en France et les contribuables affiliés à la sécurité sociale d’un État membre de l’UE qui ne le sont pas en application de la jurisprudence de Ruyter. Pour le Conseil constitutionnel, cette différence de traitement ne porte pas atteinte aux droits et garanties protégés par la Constitution. Dans l’affaire à l’origine de la saisine du Conseil Constitutionnel, un couple de contribuables M. et Mme Jacques Paul V, ressortissants français, domiciliés à Monaco depuis 1988, ont été imposés, au titre des années 2007 et 2008, à la contribution sociale généralisée, au prélèvement social de 2 % et à la contribution de solidarité sur les revenus du patrimoine, à raison notamment d’une plus-value réalisée à l’occasion de la cession de titres de la société de droit français Open Media. Ces contribuables disposant d’un certificat de résidence et d’une carte de séjour monégasque, le lieu de leur résidence fiscale est situé à Monaco par application de l’article 7 de la convention fiscale franco-monégasque. Ils cotisent depuis 1988 auprès des caisses sociales de Monaco et bénéficient à ce titre de leurs prestations.
Les contribuables ont initié une réclamation devant le juge administratif lui demandant de prononcer la décharge des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2007 et 2008 sur cette plus-value. Le tribunal administratif de Nice a fait droit à leur demande en ce qui concerne la seule année 2008 (TA Nice, 12 oct. 2012, n°s 100683 et 101668). Restaient en litige la contribution sociale généralisée, le prélèvement social de 2 % et la contribution de solidarité dus au titre de l’année 2007 pour un montant total de 233 559 €. Saisie en appel par les requérants, la cour administrative d’appel de Marseille a partiellement déchargé M. et Mme V des contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l’année 2007 et rejeté le surplus de leur requête (CAA Marseille, 25 mars 2016, n° 13MA00537). Devant le Conseil d’État, les requérants ont soulevé dans ce cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 136-6 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au 31 janvier 2007. Pour le Conseil constitutionnel, l’objet des dispositions contestées est d’assurer le financement de la protection sociale dans le respect du droit de l’Union européenne qui exclut leur application aux personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre. Au regard de cet objet, il existe une différence de situation, qui découle notamment du lieu d’exercice de l’activité professionnelle entre ces personnes et les personnes affiliées dans un État tiers. La différence de traitement établie par ces dispositions est ainsi en rapport direct avec l’objet de la loi.