Fiscalité et famille : la Cour des comptes propose des évolutions

Publié le 26/02/2024
Fiscalité et famille : la Cour des comptes propose des évolutions
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La Cour des comptes a analysé la façon dont notre système fiscal prend en compte la famille. Elle formule dix recommandations visant à simplifier et rationaliser cette intégration de la composante familiale par le système fiscal.

La Cour des comptes a passé en revue et analysé tous les dispositifs fiscaux mis en place pour tenir compte de la situation familiale. Elle a remis en cause leur cohérence et leur efficacité tant pour les services fiscaux que pour les contribuables eux-mêmes. Il en ressort dix recommandations visant une plus grande cohérence des avantages fiscaux familiaux, une amélioration de leur gestion et une lutte plus efficace contre leur détournement (Cour des comptes, La Prise en compte de la famille dans la fiscalité).

Les origines de la politique familiale

La France mène depuis longtemps une politique fiscale dite familiale. Celle-ci a un fondement juridique constitutionnel : l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui prévoit que la contribution commune indispensable à l’entretien de la force publique et aux dépenses d’administration « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », principe de la prise en compte des « facultés contributives » et donc des aménagements de la règle fiscale en fonction de la composition familiale.

Un coût global estimé à 28 milliards d’euros

La Cour des comptes a analysé les dispositifs familiaux au regard de l’impôt sur le revenu, les droits de donation et de succession, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Sans surprise, l’impôt sur le revenu est le prélèvement qui prend le plus en compte la composition conjugale et familiale des foyers fiscaux. L’impôt sur le revenu repose sur le principe d’une imposition conjointe des couples mariés et pacsés et d’une prise en compte des enfants au sein du foyer fiscal par le mécanisme du quotient familial. Un certain nombre de parts est attribué au foyer fiscal : une pour chaque adulte composant le foyer et des parts additionnelles pour les enfants. S’y ajoutent des demi-parts pour invalidité, veuvage, anciens combattants, parents isolés. D’autres mécanismes interviennent au moment de la liquidation de l’impôt : déductibilité des pensions alimentaires pour ceux qui les versent, modulation du plafond de certains crédits d’impôts selon la présence d’un conjoint et d’enfants au sein du foyer fiscal. Le système de décote qui permet d’atténuer les effets de l’entrée dans le barème d’imposition est, pour sa part, partiellement conjugalisé et réduit fortement le nombre de foyers effectivement assujettis à l’impôt sur le revenu.

L’impact sur les finances publiques de la prise en compte de la famille par le système fiscal est évalué à 28 milliards d’euros en 2021, dont 27,6 milliards au titre de l’impôt sur le revenu. Cela représente 1,1 % du PIB, 9,5 % des recettes fiscales nettes de l’État et 34,5 % du produit net de l’impôt sur le revenu.

Les autres impôts

Les impôts indirects se prêtent peu à une modulation selon la composition familiale. Quant aux prélèvements sociaux (contribution sociale généralisée et cotisations sociales), « dont le poids excède largement celui de l’impôt sur le revenu (12 % et 33 % contre 7 %), [ils] sont des prélèvements individualisés qu’il a été décidé de ne quasiment pas ajuster en fonction des charges de famille au moment de leur création ».

L’impôt sur la fortune immobilière (IFI) soumet à imposition commune tous les couples, y compris les personnes vivant en union libre, alors même que les concubins sont imposés séparément à l’impôt sur le revenu. Au regard des enfants du foyer fiscal, l’IFI intègre dans la base d’imposition les biens immobiliers détenus par les enfants à charge dès lors qu’ils sont mineurs alors que, pour l’impôt sur le revenu, les parents peuvent rattacher leurs enfants jusqu’à 21 ou 25 ans.

La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR) impose quant à elle les très hauts revenus au moyen de deux barèmes, un pour les célibataires et un pour les couples, sans toutefois prendre en compte la présence d’enfants. Les droits de succession et de donation varient fortement en fonction du lien de parenté ou de conjugalité entre le bénéficiaire et le défunt et accordent un statut privilégié aux enfants. Enfin, deux taxes à l’immatriculation des véhicules (fonction des émissions de dioxyde de carbone et de la masse du véhicule) prévoient un remboursement partiel aux familles d’au moins trois enfants.

Les héritages du passé

Pour la Cour des comptes, certains dispositifs hérités du passé apparaissent aujourd’hui trop favorables ou attachés à un statut davantage qu’aux ressources et aux charges réelles de leurs bénéficiaires. Elle vise ainsi l’attribution d’une part supplémentaire pour les veufs avec au moins un enfant à charge et d’une demi-part au profit des personnes vivant seules et ayant élevé un enfant majeur pendant cinq ans au cours desquels elles vivaient seules. Selon la cour, ces dispositifs doivent « s’adapter au contexte socio-économique ».

D’ailleurs, cette tendance est déjà à l’œuvre. « La période récente a été marquée par un recul de la prise en compte de la composante familiale par les impôts »: baisse du plafond du quotient familial, absence de prise en compte de quotient familial dans la définition de la CEHR, suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui était minorée pour les familles. Une réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune a été supprimée (réduction de 300 euros par personne à charge).

Les effets redistributifs du quotient familial en question

Selon le rapport, les effets redistributifs globaux de la familialisation de l’impôt sur le revenu sont difficiles à appréhender. La Cour des comptes pointe du doigt le fait que le quotient familial est particulièrement cloisonné, en ce qu’il favorise les familles les plus aisées.

Le quotient conjugal et le quotient familial entraînent une redistribution « horizontale » : des célibataires vers les couples et des foyers sans enfant vers les foyers avec enfants. Cependant, ces mécanismes ont pour effet d’opérer une redistribution « verticale », des foyers aisés vers les foyers plus modestes en raison de la progressivité de l’impôt sur le revenu. Par construction, les familles avec enfants les plus aisées en profitent davantage que les familles avec enfants plus modestes, malgré leur plafonnement.

Ce système est typiquement français. « Il fait figure d’exception à l’international ». La Cour des comptes ajoute que « ces trente dernières années, la tendance générale au sein de l’Union européenne est plutôt allée dans le sens d’une individualisation de l’impôt sans pour autant exclure la reconnaissance d’une forme de solidarité au sein des foyers ou en tenant compte des charges de parentalité par des mécanismes comme l’abattement, la réduction d’impôt ou la modulation du barème de l’impôt ».

Sans pour autant recommander une réforme d’ensemble, la Cour des comptes présente dix recommandations visant à simplifier et rationaliser la prise en compte de la composante familiale par le système fiscal.

La part supplémentaire des veuves et veufs

Aujourd’hui, et depuis 1929, un contribuable veuf ayant une ou plusieurs personnes à charge conserve la part de son conjoint décédé et bénéficie ainsi d’un nombre de parts égal à celui d’un contribuable marié ou pacsé ayant le même nombre de personnes à charge. Ce droit est maintenu même si ce contribuable veuf ne vit pas seul, tant qu’il n’est pas remarié ou pacsé et même si les personnes à charge (enfants ou invalides recueillis) ne sont pas issues de l’union avec le conjoint décédé. Comparativement, les parents isolés ne bénéficient que d’une demi-part supplémentaire. Cet avantage fiscal profite à 140 000 ménages pour un coût budgétaire d’environ 110 millions d’euros, soit un gain moyen d’environ 800 euros pour les ménages concernés.

C’est pourquoi le rapport préconise d’aligner le régime fiscal des veufs ayant des enfants à charge sur celui des parents isolés à l’issue d’une période transitoire consécutive au veuvage (recommandation n° 1).

La demi-part des personnes vivant seules

Les personnes vivant seules ayant un enfant majeur non rattaché à leur foyer et ayant élevé cet enfant pendant au moins cinq ans durant lesquels elles vivaient seules bénéficient d’une demi-part supplémentaire. Cet avantage est issu d’un dispositif mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour prendre en compte la situation des veuves de guerre. Il consistait à l’époque en l’attribution d’une demi-part supplémentaire pour les célibataires, divorcés et veufs n’ayant plus d’enfant à charge mais ayant eu un ou plusieurs enfants faisant l’objet d’une imposition distincte. Cette mesure bénéficie à plus de 1,2 million de ménages, pour un gain moyen de 500 euros. La Cour des comptes estime qu’un enfant majeur non rattaché au foyer est neutre sur la capacité contributive actuelle du foyer fiscal. Le rapport propose d’engager la suppression de la demi-part pour les personnes vivant seules ayant un enfant majeur non rattaché qu’elles ont élevé pendant au moins cinq années au cours desquelles elles vivaient seules (recommandation n° 2).

Le plafonnement du quotient familial

L’attribution de parts fiscales au foyer atténue la progressivité de l’imposition, bien que « l’avantage » soit plafonné. Mais ce plafond est distinct selon la nature des demi-parts : cas général, parent isolé, veufs, etc. « L’existence de niveaux différents de plafonnement selon les demi-parts additionnelles peine à trouver une justification, d’autant plus qu’elle ne profite qu’aux plus hauts niveaux de revenus ». La Cour des comptes propose donc d’homogénéiser progressivement les niveaux de plafonnement du gain en impôt procuré par les demi-parts additionnelles (recommandation n° 3).

L’abattement pour enfants mariés ou chargés de famille

S’ils ont moins de 21 ans, ou moins de 25 ans et qu’ils poursuivent leurs études, les enfants majeurs mariés, pacsés ou chargés de famille peuvent être rattachés au foyer fiscal de leurs parents. Un enfant marié ou pacsé peut demander le rattachement de son foyer au foyer de ses parents ou de ses beaux-parents mais pas aux deux. Le foyer fiscal de rattachement bénéficie alors d’un abattement sur le revenu (6 368 euros pour les revenus 2022). « Il aurait été plus lisible d’attribuer une majoration de quotient familial pour les personnes à charge comme cela est fait dans le cas général pour prendre en compte les charges de famille ».

La Cour des comptes plaide donc pour supprimer l’abattement en faveur des contribuables ayant des enfants majeurs mariés ou chargés de famille rattachés à leur foyer fiscal, le remplacer par les mêmes parts de quotient familial que pour les enfants mineurs (recommandation n° 4).

Impôt sur la fortune immobilière

En matière d’IFI, la loi prévoit une imposition commune obligatoire y compris pour les couples en union libre. Toutefois, l’IFI n’intègre aucun mécanisme de quotient conjugal ou familial si bien que le barème s’applique au foyer fiscal quelle que soit sa composition. Deux personnes célibataires seront toujours imposées à un taux plus faible que si elles avaient formé un couple (marié, pacsé ou en concubinage notoire). Elles peuvent être non imposables individuellement mais redevables de l’IFI dès lors qu’elles forment un couple et cumulent leurs patrimoines. « L’application du même barème aussi bien aux célibataires qu’aux couples pose un problème d’équité ».

La cour recommande d’évaluer les effets de l’absence de conjugalisation de l’impôt sur la fortune immobilière et proposer des scénarios d’évolution (recommandation n° 5). Parmi ceux-ci, la possibilité, pour les couples, de diviser par deux l’assiette du foyer avant d’appliquer le barème et de multiplier ensuite par deux pour obtenir le montant d’impôt.

Pensions alimentaires

Lorsque les pensions alimentaires versées sont déduites dans certaines limites du revenu imposable, leur bénéficiaire doit symétriquement déclarer leur perception dans ses revenus. Or, la Cour des comptes suspecte des incohérences de grande ampleur, en raison d’un écart « très important et régulier », proche de 3 milliards d’euros entre les pensions alimentaires déclarées comme versées et celles déclarées comme perçues. Elle préconise d’évaluer les effets du dispositif mis en place en 2023 (déclarer l’identité de la personne recevant la pension alimentaire) pour s’assurer que les pensions alimentaires déduites du revenu imposable sont symétriquement déclarées par leurs bénéficiaires (recommandation n° 8).

Et aussi :

– uniformiser les majorations de revenu fiscal de référence pour toutes les demi-parts supplémentaires dans la détermination des seuils d’allégements fiscaux en matière de taxe foncière et de contributions sociales (recommandation n° 6) ;

– prévoir une obligation de dépôt des justificatifs attachés à la déclaration des revenus sur l’espace personnel numérique pour toute première demande d’un avantage lié à la situation familiale (recommandation n° 7) ;

– redresser, le cas échéant, les droits éludés de taxe foncière et de contributions sociales consécutivement à un contrôle fiscal ayant conduit à majorer le revenu fiscal de référence ou à minorer le nombre de parts fiscales (recommandation n° 9) ;

– mettre à disposition des services gestionnaires un applicatif de gestion des remboursements de malus CO² et de la taxe sur la masse en ordre de marche (recommandation n° 10).

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