Fraude à la TVA : un nouvel outil communautaire
Afin de permettre aux États membres de collaborer et de communiquer plus efficacement les données relatives à la TVA, pour une détection plus précoce des réseaux suspects, la Commission européenne vient de lancer l’outil d’analyse des réseaux de transactions (TNA).
Afin de lutter contre la fraude fiscale en matière de TVA, l’Union européenne se dote d’un nouvel outil pour aider les États membres à mettre en échec la criminalité organisée, notamment pour les montages carrousels et à récupérer les milliards d’euros de recettes perdus chaque année : l’outil d’analyse des réseaux de transactions (TNA). Le nouveau système permettra aux États membres d’échanger rapidement et de traiter conjointement les données relatives à la TVA. Avec cet outil, les États membres pourront faire preuve d’une grande réactivité. Une nécessité face au calendrier extrêmement rapide sur lequel une fraude à la TVA peut se mettre en place. Les États membres doivent donc disposer d’outils leur permettant d’agir aussi rapidement et efficacement que possible. L’outil TNA, que les États membres ont commencé à utiliser, permettra aux autorités fiscales d’accéder rapidement et facilement aux informations sur les opérations transfrontières, ce qui leur permettra de réagir rapidement lorsqu’une fraude potentielle à la TVA sera repérée.
Le poids de la fraude TVA
Le lancement de cet outil intervient dans un contexte où le système commun de TVA joue un rôle important au sein du marché unique européen. La TVA constitue une source de recettes majeure et croissante pour les États membres de l’UE, atteignant plus de 1 000 milliards d’euros en 2015, soit 7 % du PIB de l’Union européenne. L’une des ressources propres de l’Union est également fondée sur la TVA. En tant que taxe à la consommation, il s’agit d’une des formes d’imposition les plus propices à la croissance. La Commission appelle depuis longtemps à une réforme du système de TVA destinée à rendre celui-ci plus étanche à la fraude. Des progrès ont été réalisés avec l’adoption de nouvelles règles concernant la TVA sur les ventes en ligne et de règles plus efficaces pour l’échange d’informations et la coopération entre les États membres. Toutefois, les progrès ont été lents en ce qui concerne les propositions de la Commission visant à mettre en place dans l’Union européenne un régime de TVA définitif favorable aux entreprises et plus étanche à la fraude. À cet égard, une refonte en profondeur du système actuel a été proposée en octobre 2017. Pour Pierre Moscovici, commissaire pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et les douanes : « La fraude criminelle à la TVA est l’un des principaux problèmes auxquels nos finances publiques sont confrontées aujourd’hui, et son éradication devrait être une priorité absolue pour les gouvernements de l’Union européenne. Ce nouvel outil augmentera la vitesse à laquelle les autorités peuvent détecter les activités suspectes et prendre des mesures pour les contrer. Toutefois, ces progrès n’enlèvent rien à la nécessité d’une réforme plus profonde et plus fondamentale du système de TVA de l’Union européenne, afin que celui-ci soit adapté au volume important des échanges transfrontières dans l’Union européenne ».
L’écart de TVA
Dans l’Union européenne, les États membres perdent des milliards d’euros de recettes de la TVA en raison de la fraude fiscale et de l’inadéquation des systèmes de perception. L’écart de TVA, qui correspond à la différence entre les recettes de TVA attendues et la TVA effectivement perçue, fournit une estimation du manque à gagner lié à la fraude et l’évasion fiscales, mais également aux faillites, aux cas d’insolvabilité ou aux erreurs de calcul.
D’après le rapport 2018 sur l’écart de TVA, publié par Bruxelles, l’écart de TVA atteint 147,1 Mds € de recettes de TVA, soit une perte de 12,7 % de recettes attendues. Ces chiffres, qui ont été calculés pour l’année 2016, révèlent qu’en dépit des efforts considérables consentis par les États membres pour améliorer la perception de la TVA, une réforme du système actuel de TVA de l’Union européenne, alliée à une meilleure coopération au niveau de l’Union européenne, est nécessaire pour que les États membres puissent utiliser pleinement les recettes de TVA dans leur budget. En termes nominaux, l’écart de TVA a diminué de 10,5 Mds € pour s’établir à 147,1 Mds € en 2016, soit une baisse à 12,3 % du montant total des recettes de TVA par rapport à 13,2 % l’année précédente. Les variations des estimations de l’écart de TVA entre les États membres sont le reflet des différences existant dans les États membres en ce qui concerne le respect des obligations fiscales, la fraude et l’évasion fiscales, les faillites, les cas d’insolvabilité et l’administration fiscale. D’autres facteurs tels que des évolutions économiques, ainsi que la qualité des statistiques nationales peuvent avoir une incidence sur l’ampleur de l’écart de TVA. Dans les faits, les performances individuelles des États membres varient encore sensiblement : l’écart de TVA a régressé dans 22 États membres. La Bulgarie, la Lettonie, Chypre et les Pays-Bas ont affiché de bons résultats, avec une baisse de plus de 5 points de pourcentage de l’écart de TVA. L’écart de TVA a toutefois augmenté dans six États membres : la Roumanie, la Finlande, le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Estonie et la France.
Le mécanisme de la fraude carrousel
Le lancement de l’outil d’analyse des réseaux de transactions intervient alors que de récentes enquêtes menées par les médias ont à nouveau mis en lumière l’impact de la fraude carrousel, notamment dans le cadre du projet Grand Theft Europe auquel participent 34 médias européens. La mise en place du TNA devrait permettre d’accroître l’efficacité de la lutte contre un phénomène qui s’est amplifié, depuis la création du Marché unique européen, notamment dans les secteurs du commerce des composants électroniques, de la téléphonie mobile et du textile. Bien que le mécanisme de la fraude carrousel soit bien connu des autorités depuis de longues années, il se complexifie avec le temps, les États membres ne parvenant pas à mettre en place des dispositifs anti abus efficaces. Organisée entre plusieurs entreprises, cette fraude permet d’obtenir le remboursement, par un État de l’Union, d’une taxe qui n’a jamais été acquittée en amont, ou de réduire le montant de la TVA à payer. Le circuit caractérisant la fraude carrousel consiste en la mise en place d’une chaîne de sociétés dans plusieurs États réalisant entre elles des acquisitions intracommunautaires et des livraisons intracommunautaires et/ou des importations et des exportations et à constituer artificiellement des droits à déduction par l’intermédiaire de sociétés éphémères, des sociétés taxi qui ont pour rôle de créer de la TVA grâce à un circuit de facturation. La réalisation de ce type d’opérations, dans un circuit simplifié, suppose la présence d’au moins trois sociétés distinctes : la société A fournisseur située obligatoirement dans un autre État membre vend une marchandise hors taxe (livraison intracommunautaire exonérée) à la société B, la société B fictive et/ou éphémère installée en France, fiscalement défaillante et ne disposant d’aucun moyen matériel et humain, est chargée de créer, facture par facture, une créance sur le Trésor matérialisée par de la TVA facturée mais non reversée au Trésor public qui sera ensuite déduit par la société C cliente. La société B refacture systématiquement les produits à un coût inférieur au prix d’achat tel qu’il apparaît sur les factures de son fournisseur (acquisition intracommunautaire non déclarée), la rétention abusive de TVA étant utilisée pour couvrir les frais engagés et réaliser des profits. De son côté l’entreprise C installée en France, et principale bénéficiaire du circuit, est généralement un grossiste et a une activité partiellement réelle en dehors du circuit carrousel. À la fin du circuit de facturation, il est possible que la marchandise revienne à son point de départ à un prix inférieur, d’où le nom de carrousel. La TVA non reversée est répartie entre tous les intervenants du circuit. En pratique, de nombreuses autres entreprises peuvent s’insérer dans ce circuit frauduleux. De même, la multiplication des États membres entraîne une croissance de la rentabilité pour un même carrousel.
L’affaire des quotas carbones
La France est particulièrement concernée par la problématique de la fraude carrousel. En 1989, l’affaire emblématique des quotas carbone a ainsi fait perdre en quelque mois 1,6 Mds d’euros à l’État français. D’après les chiffres d’Europol, la facture se monte à 5 Mds d’euros pour l’ensemble des pays de l’Union européenne.
Près d’une vingtaine de procédures judiciaires ont été initiées qu’il s’agisse d’enquêtes préliminaires ou d’informations. On estime qu’une centaine d’acteurs ont participé de près ou de loin à ces opérations frauduleuses. Depuis, plusieurs procès retentissants ont mené à des sanctions exemplaires. Mais plus de dix ans après les premières déclarations de soupçons adressées à TRACFIN, seule une infime partie des montants en jeu ont été récupérés et un grand nombre de responsables ont échappé à la justice. Cette affaire a également mis en lumière les liens entre la criminalité organisée et la fraude à la TVA. Tentatives d’extorsions, règlements de comptes, assassinats : les truands ont rejoint les délinquants financiers. Certains observateurs soulignent également les liens qui peuvent désormais exister entre ce type de fraude et le financement du terrorisme. Les fraudeurs ont appliqué le mécanisme classique de la fraude carrousel entre des entreprises situées dans différents États membres de l’Union européenne : des sociétés, souvent créées pour l’occasion, ont acheté, hors taxe, des quotas de CO2 dans un État membre, elles les ont revendus en France en facturant la TVA au taux de 19,6 % ; elles ont réinvesti le produit de la vente dans une autre opération de fraude (achat HT d’une quantité équivalente de quotas par une entité liée située hors de France et revente en France TTC). Elles ont pu recommencer plusieurs fois ce carrousel avant de disparaître sans jamais reverser la TVA au Trésor public. Le schéma est simple mais lucratif. Les sommes détournées ont aussitôt été transférées vers des pays peu coopératifs en matière de lutte contre la fraude ou peu concernés par le respect des engagements du protocole de Kyoto (Géorgie, Hong Kong, Monténégro, Singapour, etc.), d’après les informations collectées par la Cour des comptes. Si les acquisitions initiales de quotas auprès d’industriels assujettis peuvent avoir été d’ampleur relativement modeste, la mise de départ provenant généralement d’opérations de blanchiment augmentait de 19,6 % à chaque tour du carrousel. La spécificité du carrousel sur les ventes de quotas de CO2 portait non pas sur le dispositif lui-même, mais sur le caractère immatériel des biens échangés et sur la vitesse de rotation des quotas que permet le fonctionnement d’une bourse spécifique, le marché Bluenext et sur les montants générés par cette fraude.
Optimiser la coopération au sein d’Eurofisc
Le TNA, élaboré dans le cadre d’une collaboration étroite entre les États membres et la Commission, permettra de mettre en place une coopération beaucoup plus intense entre les membres du réseau d’experts antifraude de l’Union européenne (« Eurofisc ») lorsqu’il s’agit d’analyser conjointement les informations de sorte que la fraude à la TVA de type carrousel puisse être détectée et stoppée aussi rapidement et efficacement que possible. Eurofisc constitue une structure opérationnelle au sein de laquelle, en pratique, les États membres luttent conjointement contre la fraude à la TVA. Celle-ci permet un échange très rapide d’informations ciblées entre tous les États membres ainsi que la mise en place d’une analyse stratégique et d’une analyse des risques communes. Les États membres sont ainsi en mesure de réagir à temps pour mettre un terme à la fraude et arrêter les fraudeurs, ce qui entrave l’apparition et la propagation de nouveaux mécanismes de fraude au sein de la Communauté. La mise en place du TNA renforcera la coopération et l’échange d’informations entre les fonctionnaires des administrations fiscales nationales, en permettant aux fonctionnaires Eurofisc de croiser les informations avec les casiers judiciaires, les bases de données et les informations détenues par Europol et l’OLAF, l’Agence de lutte contre la fraude de l’Union européenne, et de coordonner les enquêtes transfrontières. Lors de leurs réunions dernières, les fonctionnaires antifraude des États membres participant au TNA ont convenu de la manière dont l’outil fonctionnera et de la façon dont les informations recueillies seront utilisées à l’avenir.