Fraude fiscale aggravée : les modalités de la dénonciation au procureur

Publié le 22/11/2019

L’initiative des poursuites pour fraude fiscale est désormais réservée à la DGFiP en raison de la suppression du verrou de Bercy. L’administration fiscale vient de publier ses commentaires.

Le verrou de Bercy, un mécanisme quasi centenaire, institué en 1920, permettait de réserver le monopole du dépôt des plaintes pour fraude fiscale au ministre du Budget, après avis obligatoire d’un organisme indépendant créé dans les années soixante-dix, la Commission des infractions fiscales (CIF). En matière de fraude fiscale, le Parquet ne pouvait donc mettre seul en mouvement l’action publique comme le droit commun le prévoit. L’affaire Cahuzac qui a éclaté en 2013, a mis en lumière ce dispositif et ses paradoxes. En effet, il est alors apparu qu’en tant que ministre du Budget en place depuis 2012, Jérôme Cahuzac était le seul à pouvoir porter plainte contre lui-même. À partir de 2013, le verrou de Bercy a fait l’objet de critiques plus nombreuses et variées, qu’elles soient d’ordre politique, moral ou juridique. « Le verrou de Bercy est régulièrement présenté comme inefficace, comme un obstacle à la justice, comme une atteinte à l’égalité entre les citoyens et les justiciables, à la séparation des pouvoirs et à la liberté de poursuite des magistrats. Voilà les principales critiques formulées à l’encontre de ce monopole exceptionnel du droit commun », a résumé la mission d’information lancée au printemps 2018 afin d’étudier ce dispositif et de déterminer s’il était nécessaire de le maintenir en l’état, de le réformer, ou encore de le supprimer (AN, Rapport d’information n° 982, 23 mai 2018). Avec 112 voix pour, la fin du verrou fiscal, une mesure qui ne figurait pas dans le texte initial du projet de loi contre la fraude fiscale mais qui a cristallisé l’attention, a été très largement entérinée le 10 octobre dernier (L. n° 2018-898, 23 oct. 2018, relative à la lutte contre la fraude, art. 36). Le ministre du Budget s’est félicité d’une réforme « historique », mettant fin à un système vieux d’un siècle remplacé par des critères transparents, précisant que le nombre de dossiers transmis à la justice pour fraude fiscale devrait doubler à l’issue de cette réforme, passant d’environ 1 000 par an à 2 000.

Le nouveau dispositif

Désormais, un mécanisme de transmission automatique au parquet est mis en place, assorti de pénalités administratives (LPF, art. 228 nouveau). Il s’agit des affaires dans lesquelles les droits appliqués atteignent 100 000 euros. Ce seuil est réduit à 50 000 euros pour les affaires concernant les personnes soumises à une déclaration auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Précisons que dans les autres situations, l’administration reste juge de l’opportunité de déposer une plainte pour fraude fiscale (LPF, art. L. 228, II). Une fois saisi du dossier, le procureur est libre de poursuivre ou non. Pour apprécier les suites à donner à une dénonciation, il peut solliciter de l’administration une actualisation de la situation fiscale du contribuable ou des pièces complémentaires. Il peut engager une enquête préliminaire avec l’assistance des officiers de police fiscale et surtout avec l’utilisation de tous les moyens de recherche des preuves prévues par la procédure pénale. Les parlementaires, ont également étendu le champ d’application de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) à la fraude fiscale. Cette mesure, instaurée dans le cadre de la loi Sapin 2 de décembre 2016, permet aux entreprises de négocier une amende afin d’éviter des poursuites, sans reconnaissance de culpabilité, pour les cas de corruption, trafic d’influence ou blanchiment de fraude fiscale. En novembre 2017, cette procédure a été utilisée pour la première fois par HSBC Private Bank afin d’éviter un procès pour blanchiment de fraude fiscale. Pourtant, cette réforme n’a pas satisfait l’ensemble des observateurs. Ainsi pour le Syndicat de la magistrature, il ne s’agit que d’une réforme en demi-teinte. Le verrou de Bercy n’est pas supprimé, souligne-t-il. Il est simplement réaménagé. Le principe du verrou demeure. Et le parquet n’aura pas la capacité de s’autosaisir contrairement aux recommandations de la mission parlementaire. Aucun véritable examen conjoint des dossiers par Bercy et le parquet n’est mis en place. Ainsi, le parquet ne pourra ouvrir de poursuites sur un délit de fraude corrélatif à une autre infraction, de son propre chef.

Champ d’application

Conformément à l’article 36 II de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018, ces dispositions s’appliquent aux contrôles pour lesquels une proposition de rectification a été adressée à compter de la publication de la loi, soit le 25 octobre 2018. L’administration fiscale vient de publier le 27 juillet dernier ses commentaires relatifs à l’application du nouveau dispositif. Elle précise notamment le champ d’application du nouveau dispositif (BOI-CF-INF-40-10-10-15-20190627). La dénonciation au procureur de la République des contrôles fiscaux ayant conduit à des rappels d’impôt supérieurs à 100 000 € et assortis des majorations fiscales les plus importantes est désormais obligatoire conformément à l’article L. 228 du LPF. Il s’agit soit de la majoration de 100 % prévue à l’article 1732 du Code général des impôts (CGI), prévue en cas d’opposition à contrôle fiscal, soit de la majoration de 80 %, prévue au c du 1 de l’article 1728 du CGI en cas d’activité occulte, de celle prévue aux b ou c de l’article 1729 du CGI en cas d’abus de droit ou de manœuvres frauduleuses, de la majoration prévue au I de l’article 1729-0 A du CGI pour défaut de déclaration d’avoirs financiers détenus à l’étranger ou au dernier alinéa de l’article 1758 du CGI pour trafics illicites. Il peut également s’agir de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de l’article 1728 du CGI pour défaut de déclaration dans les trente jours d’une mise en demeure ou aux a ou b de l’article 1729 du CGI pour manquement délibéré ou abus de droit, lorsqu’au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l’objet lors d’un précédent contrôle de l’application des majorations mentionnées aux 1°, 2° et 3° du I de l’article L. 228 du LPF ou d’une plainte de l’administration. Le dispositif de dénonciation obligatoire ne s’applique pas aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative. À cet égard, ne constitue pas une démarche spontanée, le dépôt d’une déclaration rectificative ou initiale alors qu’un contrôle fiscal est en cours, que le contribuable a reçu un avis de vérification ou qu’il fait l’objet d’une procédure d’enquête administrative ou judiciaire.

Fraude fiscale aggravée : les modalités de la dénonciation au procureur
Richard Villalon / AdobeStock

L’appréciation du seuil de 100 000 €

En application des alinéas 1 et 2 de l’article L. 10 du LPF, l’administration peut contrôler les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l’établissement des impôts, droits, taxes et redevances. Ce contrôle peut également s’étendre aux documents déposés en vue d’obtenir des déductions, restitutions ou remboursements ou d’acquitter tout ou partie d’une imposition au moyen d’une créance sur l’État. Le dispositif de dénonciation obligatoire au parquet, qui vise les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l’article L. 10 du LPF concernent donc, en principe, les contrôles quelle que soit leur forme. Pour faire l’objet d’une dénonciation, sont pris en compte l’ensemble des droits rappelés dans le cadre d’une procédure de contrôle dont a fait l’objet un même contribuable. En cas de rappels d’impôt de nature différente (impôt sur les sociétés (IS) et taxe sur la valeur ajoutée (TVA) par exemple) issu d’un même contrôle, les droits rappelés pénalisés sont cumulés pour apprécier le seuil de 100 000 €. S’agissant des sociétés de personnes, le seuil de 100 000 € s’apprécie, le cas échéant au niveau de la société pour les impositions qui lui sont propres (TVA par exemple) et au niveau de chacun des associés, s’agissant de l’impôt sur le revenu, dès lors que ces derniers sont informés, en ce qui les concerne, des conséquences financières du contrôle de la société de personnes, par la mise en œuvre d’un contrôle sur pièces. En présence de contribuables distincts, les rappels d’impôt (TVA et impôt sur le revenu par exemple) ne se cumulent donc pas. En matière de contrôle fiscal externe (vérification de comptabilité, examen de comptabilité ou examen de situation fiscale personnelle), ce seuil s’apprécie par procédure de contrôle résultant d’un avis de vérification, indépendamment du fait que les rectifications opérées dans le cadre dudit contrôle fassent l’objet de plusieurs propositions de rectifications. En matière de contrôle sur pièces, le seuil de 100 000 € s’apprécie par proposition de rectification adressée au contribuable. En revanche, il n’y a pas lieu de cumuler les rappels d’impôt résultant de contrôles successifs et de procédures de rectification distinctes, même concernant un même contribuable. Pour la détermination du seuil, ne se cumulent pas les droits résultant d’un contrôle d’une société et les droits issus des distributions notifiées à un dirigeant et/ou associé de cette société dans la suite du contrôle de celle-ci. A contrario, si la vérification de comptabilité de la société et le contrôle sur pièces du dirigeant et/ou associé de celle-ci remplissent chacun les critères de dénonciation, le parquet est saisi des deux affaires.

L’application des majorations fiscales

L’ensemble des droits, supérieur à 100 000 €, doit avoir fait l’objet des majorations fiscales précédemment citées. Lorsqu’une procédure de contrôle a donné lieu à l’application de majorations de nature différente, l’appréciation du seuil s’effectue toutes majorations cumulées. En outre, dès qu’un contrôle donne lieu à mise en recouvrement de droits supérieurs à 100 000 € et assortis des pénalités de 80 % ou 100 %, il doit être dénoncé au parquet, peu important qu’au-delà des 100 000 €, des rappels aient également été assortis de majorations au taux de 40 %. Il n’y a pas de condition de réitération à remplir. En revanche, si les droits assortis des majorations de 80 % ou 100 % sont inférieurs à 100 000 € et que le contrôle totalise des rappels supérieurs à 100 000 € en raison d’autres rappels assortis de majorations de 40 %, le contrôle ne sera dénoncé que si la condition de réitération est remplie.

Pour l’appréciation de la condition de réitération, les antécédents fiscaux ou l’existence d’un dépôt de plainte s’apprécient au regard du contribuable faisant l’objet d’un contrôle, donc au niveau soit d’une personne physique, qu’il s’agisse du contrôle d’une activité individuelle ou des revenus d’un foyer fiscal, soit d’une personne morale, sans prise en compte des antécédents fiscaux du dirigeant. S’agissant des particuliers, en cas de changement de situation familiale (divorce, mariage, pacs, décès, etc.), la condition de réitération devra être appréciée par foyer fiscal, qui constitue le contribuable imposable et qui peut faire l’objet d’un contrôle concernant le respect des obligations fiscales relatives à la déclaration d’ensemble des revenus. Cela étant, en cas de contrôle d’une activité individuelle, la réitération s’apprécie au niveau de l’entrepreneur individuel vérifié. S’agissant des personnes morales, il n’y a réitération que si les contrôles et les mises en recouvrement (ou la plainte pour fraude fiscale) ont concerné la même entité juridique. En présence de groupe de sociétés, l’antécédent fiscal et/ou l’existence d’un dépôt de plainte au sens de la loi s’apprécie au niveau de la société ayant fait l’objet d’une procédure de contrôle. Ainsi, en cas de contrôle d’une filiale, la réitération s’apprécie à son niveau, quand bien même les conséquences financières à l’impôt sur les sociétés sont mises en recouvrement au niveau de la société mère du groupe. La dénonciation s’effectue au stade de la mise en recouvrement. L’application des majorations s’apprécie au stade de la mise en recouvrement des droits et majorations résultant du contrôle. Les dégrèvements postérieurs à la mise en recouvrement sont sans incidence sur l’appréciation du seuil de déclenchement de la dénonciation au parquet. Il en est de même des remises de majorations, accordées dans un cadre transactionnel. La conclusion d’une transaction n’exclut pas la dénonciation des contrôles remplissant les critères légaux. Enfin, lorsqu’une transaction est conclue avant la mise en recouvrement, la condition tenant à l’application des majorations fiscales, au taux de 40 %, 80 % ou 100 %, à des droits supérieurs à 100 000 € s’apprécie à la date des dernières conséquences financières portées à la connaissance du contribuable dans le cadre de la procédure de rectification, avant la conclusion de la transaction. En outre, les majorations appliquées dans le cadre d’une régularisation et ayant fait l’objet d’une remise transactionnelle ne devront pas être retenues comme un antécédent fiscal pour apprécier l’existence d’une réitération.

La notion de réitération

La réitération s’entend de l’application des majorations fiscales de 40 %, 80 % ou 100 % ou du dépôt d’une plainte au cours des six années civiles précédant l’application des nouvelles majorations fiscales, sans autre condition et quel que soit le quantum des droits pénalisés.

Les majorations antérieures doivent avoir été mises en recouvrement au cours des six années civiles précédentes ou, en cas de transaction, les dernières conséquences financières doivent avoir été portées à la connaissance du contribuable au cours de cette période. Le point de départ du délai de six années civiles précédant l’application des majorations de 40 % se situe au stade de la mise en recouvrement ou, en cas de transaction avant mise en recouvrement, à la date à laquelle les dernières conséquences financières ont été portées à la connaissance du contribuable. Il ne se situe ni à la date de la proposition de rectifications ni à la date de la dénonciation. Symétriquement, le point d’arrivée du délai est l’année au cours de laquelle les majorations fiscales d’au moins 40 %, issues du contrôle précédent ont été appliquées, c’est-à-dire l’année de leur mise en recouvrement ou, en cas de transaction avant mise en recouvrement, l’année au cours de laquelle les dernières conséquences financières ont été portées à la connaissance du contribuable. Si, à la date de mise en recouvrement des droits et majorations du nouveau contrôle, les majorations appliquées dans le cadre du précédent contrôle, ont été déchargées, à titre définitif, dans le cadre d’un contentieux, il est préconisé de ne pas les retenir comme un antécédent fiscal au sens de la loi. Dans ce cas, il sera considéré qu’il n’y a pas réitération. Quant à la plainte précédemment déposée à l’encontre du contribuable, elle doit avoir concerné un délit de fraude fiscale.

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