La loi relative à la lutte contre la fraude

Publié le 16/11/2018

Cette loi a pour objectif de renforcer l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale, « une mission essentielle au maintien du pacte républicain ». Elle vise à mieux détecter et appréhender la fraude ainsi qu’à renforcer les sanctions. Enfin, elle aménage la procédure dite du « verrou de Bercy ».

La loi relative à la lutte contre la fraude a été adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées parlementaires, après la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) qui a permis d’aboutir, le 4 octobre 2018, à un texte de compromis1. Cette loi a été présentée par le gouvernement comme le « pendant répressif » de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance qui consacre le droit à l’erreur de l’administré2. Elle vient renforcer les sanctions à l’encontre des fraudeurs qui contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt3.

Ce texte consensuel qui a été enrichi de façon substantielle lors de la discussion parlementaire est divisé en trois titres. Le premier renforce les moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale, douanière et sociale. Le second est consacré aux sanctions encourues au titre de ces mêmes fraudes. Le troisième concerne les conditions de dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration fiscale. Il ne figurait pas dans le texte gouvernemental initial.

La loi relative à la lutte contre la fraude présente des avancées indéniables. Elle renforce les sanctions fiscales, douanières et sociales et instaure des sanctions administratives à l’encontre des tiers facilitant la fraude fiscale et sociale. Elle comporte plusieurs dispositifs susceptibles d’améliorer la transparence en matière de fraude. Elle met notamment en œuvre la pratique du name and shame (« nommer pour faire honte ») qui renforcera le caractère dissuasif de la lutte contre la fraude. Enfin, elle aménage le dispositif du « verrou de Bercy » afin d’accroître les prérogatives du parquet en ce qui concerne le déclenchement des poursuites des infractions de fraude fiscale.

I – Le renforcement des moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière

Le texte cherche à renforcer les moyens de détection et de caractérisation de la fraude avec toute une série de mesures. Il instaure un nouveau service d’enquête fiscale au sein du ministère du Budget. Il renforce les pouvoirs de la douane en matière de lutte contre les logiciels frauduleux. Il facilite l’échange d’informations entre administrations en développant l’exploration des données (le data mining). Il précise les obligations fiscales et sociales qui sont imposées aux plates-formes d’économie collaborative. Enfin, il aménage la procédure de flagrance fiscale.

A – La mise en place d’une nouvelle « police fiscale »

La loi permet la mise en place d’un nouveau service à compétence nationale de police fiscale au sein de l’administration fiscale, complémentaire de l’actuelle brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) qui dépend du ministère de l’Intérieur4. Elle modifie l’article 28-2 du Code de procédure pénale, relatif aux pouvoirs de police spéciale attribués aux agents des services fiscaux, afin d’affecter des officiers fiscaux judiciaires au sein du ministère chargé du Budget (art. 1).

Le nouveau service d’enquête judiciaire fiscale dont la création a été souhaitée par le parquet national financier travaillera sous la direction d’un magistrat5. Il a vocation, selon le gouvernement, à renforcer les outils de l’État pour détecter et déjouer les fraudes les plus complexes. L’autorité judiciaire saisira ce nouveau service spécialisé dans la lutte contre la fraude fiscale ou la BNRDF, selon le type de dossiers.

La mise en place de ce nouveau service d’enquête au sein du ministère du Budget, qui traduit aussi le souci de l’administration fiscale de conserver « la mainmise sur le contentieux fiscal »6, a été contestée.

On remarquera que le Sénat avait supprimé la création de cette nouvelle « police de Bercy » qui lui était apparue peu opportune. Relayant les doutes du Conseil d’État7, il a jugé que ce service risquait de faire double emploi avec la BNRDF. La sénatrice Nathalie Delattre (RDSE), rapporteure pour avis du projet de loi, s’est inquiétée du risque d’une « guerre des services » que la création d’un nouveau service d’enquête était susceptible de faire apparaître8. Elle a expliqué qu’il était préférable de renforcer les moyens de la BNRDF plutôt que de créer un service concurrent9.

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire, la députée Émilie Cariou, rapporteure du texte à l’Assemblée nationale a souligné que « la police fiscale rattachée à Bercy sera seulement chargée des cas de pure fraude fiscale, les autres faits de criminalité relevant de la BNRDF ».

B – Le renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière

Le législateur cherche à renforcer les moyens dont disposent les agents des douanes pour lutter contre les logiciels dits « permissifs » conçus pour permettre et dissimuler la fraude (art. 2). Les agents des douanes pourront ainsi se faire communiquer par les éditeurs, concepteurs, distributeurs ou toute personne susceptible de manipuler les logiciels, le code-source et la documentation des logiciels qu’ils proposent. Ce faisant, la loi vient étendre aux services des douanes une compétence dont bénéficiaient déjà les agents de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP).

Ce nouveau droit de communication est assorti d’un dispositif de sanctions spécifiques : une amende de 10 000 € par logiciel ou système de caisse vendu est prévue en cas d’opposition au droit de communication, ainsi qu’une amende de 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de logiciels ou de systèmes de caisse frauduleux (art. 2).

Dans le projet de loi initial, le montant de l’amende prévue en matière douanière en cas d’opposition au droit de communication était de 1 500 €. Le Sénat a décidé de porter cette amende de 1 500 à 10 000 €. Une telle modification se justifie par le fait que le montant de l’amende se trouve ainsi aligné sur celui de l’amende pour opposition au droit de communication applicable en matière fiscale10.

C – L’échange d’informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude

Le législateur a souhaité renforcer les dispositifs d’échanges d’informations entre administrations, organismes et autorités chargées de la lutte contre la fraude (art. 3). Il vient ouvrir aux assistants spécialisés11 mis à disposition des juridictions judiciaires par l’administration fiscale, la possibilité d’accéder à certains fichiers de la DGFiP. Il s’agit des fichiers FICOBA (fichier national des comptes bancaires et assimilés), FICOVIE (fichier des contrats d’assurance-vie), PATRIM (traitement automatique pour estimer un bien), et BNDP (base nationale des données patrimoniales).

La loi ouvre ces mêmes fichiers aux agents de l’inspection du travail, des URSSAF et de la caisse de la mutualité sociale agricole, pour les seules missions relatives à la lutte contre le travail illégal.

Un amendement du gouvernement adopté par le Sénat a ouvert l’accès à ces fichiers aux agents de contrôle des caisses nationales d’assurance maladie, vieillesse, familiale, agricole et de Pôle emploi.

La loi permet également l’accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) pour les agents de contrôle de l’inspection du travail ainsi que pour les officiers et agents de police judiciaire, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale.

Enfin, elle vient étendre le droit de communication entre les agents de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) à la lutte contre la fraude fiscale. Il s’agit de faciliter les contrôles portant sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Les services administratifs de contrôle spécialisés dans la lutte contre le travail illégal sont confrontés actuellement à des montages frauduleux de plus en plus complexes. Selon l’étude d’impact du projet de loi, la possibilité d’accéder à différents fichiers fiscaux sera de nature à leur permettre « d’améliorer la rapidité et la qualité des investigations indispensables à la mise en évidence des fraudes complexes et organisées »12.

D – Les obligations déclaratives fiscales imposées aux plates-formes d’économie collaborative

Ces plates-formes collaboratives mettent en relation des particuliers ou des professionnels en vue de la vente, de l’échange ou du partage d’un bien ou de la fourniture d’un service.

La loi de finances pour 2016 a prévu, à travers l’article 242 bis du CGI, une obligation pour les plates-formes en ligne d’informer leurs utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales. La loi de finances rectificative pour 2016 a ensuite institué une obligation de déclaration automatique à l’administration fiscale des revenus des utilisateurs des plates-formes en ligne. Ce dispositif a été codifié à l’article 1649 quater A bis du CGI. Son entrée en vigueur a été décalée au 1er janvier 2019 à la demande du gouvernement.

La loi relative à la lutte contre la fraude reprend la définition des plates-formes en ligne figurant à l’article 242 bis du CGI13. Elle s’attache à préciser les obligations fiscales et sociales imposées aux plates-formes afin d’assurer notamment une meilleure exploitabilité des données collectées par l’Administration pour améliorer ses capacités de détection de la fraude (art. 4.).

Les plates-formes devront désormais adresser par voie électronique à l’administration fiscale, au plus tard le 31 janvier de chaque année, un document mentionnant les informations suivantes : les éléments d’identification de l’opérateur de la plate-forme concernée ; les éléments d’identification de l’utilisateur ; le statut de particulier ou de professionnel indiqué par l’utilisateur de la plate-forme ; le nombre et le montant total brut des transactions réalisées par l’utilisateur au cours de l’année civile précédente ; et si elles sont connues de l’opérateur, les coordonnées du compte bancaire sur lequel les revenus sont versés.

Il est prévu de sanctionner le non-respect de l’une de ces obligations déclaratives par une amende forfaitaire globale fixée dans la limite d’un plafond de 50 000 €. Cette sanction spécifique, qui a été jugée par certains insuffisante, est codifiée à l’article 1731 ter du CGI.

La loi dispense les opérateurs de plates-forme de déclarer à l’administration fiscale les sommes perçues par leurs utilisateurs, lorsqu’elles sont issues d’activités dites de co-consommation du type covoiturage ou lorsqu’elles résultent de la vente de certains biens meubles tels que les voitures ou le mobilier. Cette dispense de déclaration s’appliquera lorsque le montant perçu dans l’année par un même utilisateur sur une même plate-forme est inférieur à 3 000 € ou lorsque le nombre de transactions réalisées dans l’année est inférieur à 20.

On notera que le Sénat avait ajouté dans la liste des éléments devant être communiqués par les opérateurs de plate-forme le numéro de TVA de l’utilisateur. Mais cet ajout n’est pas apparu indispensable à l’Assemblée nationale, le pouvoir réglementaire ayant la faculté de l’inscrire dans les textes d’application. Le Sénat avait aussi ajouté à la liste des informations que doit fournir l’opérateur de plate-forme la qualification fiscale des revenus perçus par l’utilisateur, à travers la précision de la catégorie dont ils relèvent. Il n’a pas été suivi par l’Assemblée nationale qui a estimé que cet ajout n’était pas opportun car il viendrait alourdir « les obligations des opérateurs de plate-forme pour des résultats pour le moins incertains »14.

Enfin, afin de lutter contre la fraude à la TVA sur internet, le texte instaure un système de responsabilité solidaire des plates-formes en ligne pour le paiement de la TVA (art. 4 ter). Si la plate-forme ne prend pas les mesures nécessaires pour assurer la régularisation des vendeurs indélicats, celle-ci pourra être tenue pour redevable de la TVA due par ces derniers. Ce mécanisme introduit par les sénateurs et inspiré du dispositif adopté en septembre 2016 par le Royaume-uni, avait été supprimé par les députés avant d’être rétabli par la commission mixte paritaire.

E – L’aménagement de la procédure de flagrance fiscale

La loi aménage la procédure de flagrance fiscale pour la rendre plus efficace (art. 4 octies). Cette procédure permet à l’administration fiscale de prendre rapidement des mesures conservatoires afin de sécuriser le recouvrement des créances lorsqu’elle constate, au titre de périodes non échues, un fait frauduleux au moment de son accomplissement.

La loi étend le champ des procédures au cours desquelles la flagrance fiscale peut être constatée. Elle généralise les faits constitutifs de flagrance fiscale aux cas de défaillance déclarative des principaux impôts et taxes. Elle assouplit les conditions dans lesquelles les agents de l’Administration dressent le procès-verbal de flagrance fiscale. Enfin, elle renforce les garanties juridictionnelles offertes au contribuable en étendant à 15 jours le délai pour saisir le juge du référé administratif au lieu de 8 actuellement.

II – Le renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

En matière de sanction, le texte législatif vient compléter et alourdir l’arsenal répressif existant. Il met en œuvre le principe du naming and shaming en matière de fraude fiscale et douanière. Il renforce la répression pénale des délits de fraude fiscale. Il diversifie les modalités de poursuite de la fraude fiscale. Il aggrave les sanctions douanières en cas de refus de coopérer. Il sanctionne plus lourdement les activités illégales de trafic de tabac. Enfin, il élargit la liste française des paradis fiscaux.

A – La publicité des décisions de condamnation pour fraude fiscale et douanière

Afin de renforcer le caractère dissuasif de la répression de la fraude fiscale, l’article 5 de la loi vise à rendre obligatoire la peine complémentaire de publication pour délit de fraude fiscale prévue par l’article 1741 du CGI. Il prévoit que la juridiction répressive « ordonne » l’affichage de la décision prononcée et sa diffusion dans les conditions prévues aux articles L. 131-35 ou 131-39 du Code pénal.

Cependant, « par une décision spécialement motivée », cette juridiction pourra déroger à cette publication en prenant en considération les circonstances de l’infraction et la personnalité de son auteur. Le texte législatif vient ici garantir le principe d’individualisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel a jugé que ce principe implique qu’une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce15.

Dans son avis du 22 mars 2018, le Conseil d’État a considéré que les dispositions du projet de loi ne viennent porter atteinte ni au principe de la nécessité des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, ni à celui de l’individualisation des peines16.

L’Assemblée nationale a souhaité que le dispositif prévu par l’article 5 de la loi soit également applicable aux condamnations prononcées en cas de fraude douanière. Il concernera les infractions douanières les plus graves en matière fiscale, économique et financière (art. 5 bis).

B – La publication des sanctions administratives appliquées aux professionnels à raison des manquements fiscaux d’une particulière gravité

Le texte permet la publication des sanctions administratives prononcées à l’encontre des personnes morales en cas de manquements graves caractérisés par un montant minimum de droits fraudés de 50 000 € ainsi que par le recours à une manœuvre frauduleuse (art. 6). La publication ne pourra intervenir si ces manquements ont fait l’objet d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’Administration.

Alors que l’Assemblée nationale avait adopté un amendement pour que cette procédure puisse également s’appliquer aux personnes physiques, la CMP a écarté cette disposition compte tenu du risque d’inconstitutionnalité.

Avec ce dispositif, il s’agit de s’appuyer, pour combattre la fraude, « sur l’exigence d’exemplarité des acteurs économiques, dont l’activité pourrait être en partie menacée en cas de divulgation d’agissements ou de manœuvres particulièrement graves en matière fiscale »17.

La décision de publication sera adoptée par l’administration fiscale après avis conforme et motivé de la Commission des infractions fiscales (CIF)18. Cette dernière appréciera, au vu des manquements et des circonstances dans lesquels ils ont été commis, si la publication est justifiée. La publication sera effectuée sur le site internet de l’administration fiscale pendant une durée ne pouvant excéder 1 an. La décision de publication pourra faire l’objet d’un recours du contribuable concerné. Toute décision contentieuse favorable à ce dernier devra être publiée par l’Administration sur son site internet.

C – La sanction à l’égard des tiers complices de graves manquements fiscaux et sociaux

La loi instaure une sanction administrative, exclusive des sanctions pénales, applicable aux personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs (art. 7). Elle sanctionne les professionnels complices des manquements fiscaux et sociaux qui viennent porter atteinte au principe d’équité entre les contribuables et cotisants ainsi qu’aux règles de leur profession19. L’étude d’impact indique qu’il s’agit « des officines d’optimisation fiscale, des avocats fiscalistes, des conseillers financiers, voire des avocats, notaires ou comptables qui exercent à titre individuel ou les sociétés qui rendent des services similaires ».

Le nouvel article 1740 A bis du CGI rend redevable d’une amende « toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier, ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni à ce contribuable une prestation permettant directement la commission par ce contribuable d’agissements, manquements ou manœuvres (…) ».

Un nouvel article L. 114-18-1 est introduit dans le Code de la sécurité sociale pour sanctionner les professionnels qui ont intentionnellement fourni au cotisant une prestation ayant directement contribué à la commission des actes constitutifs d’un abus de droit ou à la dissimulation de ces actes.

Dans les deux cas, l’amende sera égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie. Son montant ne pourra être inférieur à 10 000 €. Le tiers complice, qui pourra être sanctionné avant que la sanction prononcée contre le contribuable fraudeur ait présenté un caractère définitif, bénéficiera de garanties de procédures.

Ce dispositif de sanctions administratives contre les intermédiaires professionnels a été contesté. Dans une motion adoptée le 8 juin 2018, le conseil national des barreaux avait demandé sa suppression afin que « l’avocat ne puisse être poursuivi que selon les règles du droit commun de la complicité en matière pénale »20.

D – L’aggravation des peines d’amende encourues en cas de fraude fiscale

Le texte a prévu une nouvelle aggravation21 de la peine d’amende pour le délit de fraude fiscale, défini à l’article 1741 du CGI, qui consiste à se soustraire ou à tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt. Le montant des amendes pourra être porté au double du produit tiré de l’infraction pour les personnes physiques et au décuple pour les personnes morales (art. 8). Le législateur cherche à garantir que l’amende sera toujours dissuasive, quel que soit le montant de l’impôt éludé22.

Cette mesure, qui n’a pas fait l’objet de modifications lors du débat parlementaire, s’inspire d’une proposition formulée par Sandrine Mazetier et Jean-Luc Warsmann qui figurait dans un rapport d’information adopté par l’Assemblée nationale en 2017. En effet, ce rapport avait suggéré de confier au juge, en cas de fraude fiscale aggravée, la faculté de prononcer une amende dont le montant serait susceptible d’être porté au double du produit tiré de l’infraction23.

E – Les nouvelles modalités de poursuite de la fraude fiscale

La loi étend à la fraude fiscale la possibilité de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (art. 9). Cette procédure inspirée du droit anglo-saxon dite du « plaider-coupable » est actuellement réglementée par les articles 495-7 à 495-16 du Code de procédure pénale (CPP). Elle permet d’éviter un procès à une personne qui admet sa culpabilité et accepte la peine proposée par le procureur de la République. Elle a été introduite par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite Perben II. L’objectif poursuivi en étendant cette procédure à la fraude fiscale est « d’assurer une réponse pénale plus rapide et plus efficace »24, sans amoindrir pour autant le niveau des peines.

L’extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à la fraude fiscale devrait permettre un léger désengorgement des audiences des tribunaux correctionnels25. La députée Émilie Cariou a proposé que la CRPC soit utilisée pour les dossiers les moins importants et qu’elle ne soit jamais retenue pour les affaires les plus emblématiques26.

Par ailleurs, la loi modifie l’article 41-1-2 du CPP afin d’autoriser la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière de fraude fiscale (art. 9 bis). Cette procédure qui a été instituée par l’article 22 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite Sapin 2), permet de régler rapidement un litige au moyen d’une transaction entre le procureur de la République et la personne mise en cause, une transaction homologuée ensuite par un juge27. À la différence de la procédure de CRPC, la CJIP n’emporte pas reconnaissance de culpabilité. Certains parlementaires ont, du reste, jugé paradoxal qu’une loi cherchant à renforcer la lutte contre la fraude fiscale vienne permettre à un fraudeur d’échapper à une reconnaissance de sa culpabilité.

La CJIP impose à la personne morale mise en cause, en échange du renoncement aux poursuites par le procureur de la République, de verser une amende transactionnelle dite « d’intérêt public », de se soumettre à un plan de prévention de la corruption et de réparer les dommages causés par l’infraction.

L’extension à la fraude fiscale de la procédure de CJIP a été introduite à l’initiative du Sénat et a été approuvée par l’Assemblée nationale. En revanche, cette dernière n’a pas suivi le Sénat qui souhaitait inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation 28qui précise que les poursuites pour le délit de blanchiment de fraude fiscale ne sont pas, à la différence du délit de fraude fiscale, subordonnées à une plainte préalable de l’administration fiscale.

F – L’aggravation des sanctions douanières en cas de refus de coopérer

La loi vient renforcer les sanctions douanières applicables en cas de refus de coopérer avec les agents des douanes (art. 10). On rappellera que certains de ces agents peuvent exiger la communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service29.

La loi prévoit de porter à 3 700 € le montant maximum de l’amende prévue à l’article 413 bis du Code des douanes, lequel punit les faits d’injures, de maltraitance et de troubles à l’exercice des fonctions des agents des douanes, ainsi que les refus de transmission des documents demandés. Elle vient aussi augmenter le montant minimal de l’astreinte pécuniaire prononcée par l’autorité judiciaire en cas de refus de communication de documents, actuellement plafonnée à 1,50 € par jour, pour la porter à 150 € par jour. Cette astreinte est prévue à l’article 431 du Code des douanes.

G – Les dispositifs renforçant les moyens de lutte contre la contrebande de tabac

La loi introduit une présomption de détention de tabac à des fins commerciales dès lors que les quantités sont supérieures aux seuils définis à l’article 32 de la directive n° 200/118/CE du Conseil relative au régime général d’accise. Elle précise notamment qu’il n’est pas possible de transporter plus de quatre cartouches de cigarettes par personne à l’intérieur de l’UE (art. 10 bis). De plus, le législateur a doublé le montant des sanctions prévues à l’article 1791 ter du CGI, applicables à la fabrication, la détention, la vente et au transport illicite de tabac. Le fraudeur pourra être condamné à une amende pouvant aller de 1 000 à 5 000 € (art.10 ter).

H – L’élargissement de la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) en matière fiscale

La loi complète la liste française des ETNC 30en matière fiscale afin qu’elle intègre celle adoptée par l’Union européenne (art. 11). Le 5 décembre 2017, l’UE s’est dotée d’une liste des ETNC contenant 17 paradis fiscaux. Cette liste a ensuite été actualisée à plusieurs reprises en 2018 et est désormais composée de 6 États ou territoires31. Selon ses détracteurs, elle ne comporte « aucun paradis fiscal notoire ».

Chaque année, les commissions permanentes compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat seront informées par le gouvernement de l’évolution de la liste des ETNC mentionnée à l’article 238-0 A du CGI.

La loi interdit par ailleurs le financement d’un projet par l’Agence française de développement (AFD) si l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un État ou territoire considéré comme non coopératif, « sauf si cet actionnaire établit que son immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel dans l’État ou le territoire concerné ou lorsque le projet financé est réalisé dans l’État ou le territoire concerné » (art.11 bis).

III – La réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale

S’inspirant des recommandations formulées par la mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales32, le texte vient aménager le « verrou de Bercy », c’est-à-dire le monopole du ministère du Budget en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale.

Ce « verrou de Bercy », prévu à l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (LPF), subordonnait jusqu’à présent les poursuites pour fraude fiscale au dépôt d’une plainte sur décision du ministre en charge du Budget, après un avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF). Ce mécanisme très controversé, qui constitue une exception au droit commun de la procédure pénale, a été déclaré conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel33.

Le monopole de l’administration fiscale en matière de déclenchement des poursuites pénales a été mis en place en 1920 lors de la création du délit général de fraude fiscale 34. Il a été ensuite aménagé en 1977 lorsque la recevabilité des plaintes de l’Administration a été soumise à un avis conforme de la CIF. Le « verrou de Bercy » s’est retrouvé au cœur du débat public à l’occasion de l’affaire Cahuzac, en 2013, laquelle a mis en évidence ses imperfections35. Comme l’a souligné la Cour des comptes, il est « préjudiciable à l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale »36.

La loi Anti-fraude de 2018, qui vient modifier l’article L. 228 du LPF, met fin au monopole des poursuites détenu par l’administration fiscale pour les plus gros fraudeurs fiscaux. La transmission par l’Administration des dossiers de fraude fiscale au procureur de la République sera automatique et ce dernier décidera de l’opportunité des poursuites.

Pour qu’il y ait transmission automatique, l’article 13 de la loi a prévu deux conditions cumulatives. Le montant des droits fraudés devra dépasser le seuil de 100 000 €, un seuil qui a été critiqué. De plus, le dossier devra faire l’objet des pénalités administratives les plus importantes, caractérisant une intention d’éluder l’impôt. Le texte oblige l’administration fiscale à informer le parquet des faits qui, au terme des contrôles qu’elle met en œuvre, conduisent à l’application de majorations de 100 %, 80 % et 40 % (en cas de récidive sur une période de six ans).

Pour certains parlementaires, cette double condition (100 000 €, plus les pénalités) serait « particulièrement restrictive » et ne permettrait pas de « garantir la transmission au procureur de l’ensemble des dossiers de fraude d’une certaine gravité ». Émilie Cariou, rapporteure du projet de loi à l’Assemblée, a souligné que les critères cumulatifs qui ont été retenus visent les cas les plus graves. Elle a rappelé que les pénalités de 80 % sanctionnent des manœuvres frauduleuses et que les pénalités de 40 % sanctionnent des manquements délibérés.

Il est à noter que les personnes soumises à obligation déclarative auprès de la haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) verront leurs dossiers automatiquement transmis au parquet lorsque le montant des droits fraudés est au moins égal à 50 000 € et lorsqu’une majoration de 40, 80 ou 100 % a été appliquée.

Par ailleurs, l’Administration conservera la faculté de déposer plainte, sur avis conforme de la CIF, pour les autres dossiers. Toutefois, l’avis de la CIF sera supprimé pour les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale. Le parquet pourra poursuivre directement les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi. Le texte délie également les agents de l’administration fiscale du secret professionnel à l’égard du procureur de la République. La levée du secret fiscal permettra de favoriser le dialogue entre le parquet et l’administration fiscale.

En conclusion, il apparaît que cette loi, qui comporte plusieurs avancées importantes, devrait rendre possible une lutte plus efficace contre la fraude fiscale et sociale dont le montant représente entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année. Avec l’assouplissement du « verrou de Bercy », le nombre de dossiers transmis par l’administration fiscale à la justice devrait doubler.

Ce texte législatif s’inscrit dans le prolongement des lois adoptées sous la précédente législature. C’est le cas notamment de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui avait marqué une étape importante dans ce qu’il est convenu d’appeler « la pénalisation du droit fiscal »37, et de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin 2, qui comportait des dispositions relatives à la lutte contre la fraude fiscale.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. le texte de la CMP qui a été adopté le 9 octobre 2018 par le Sénat et le 10 octobre 2018 par l’Assemblée nationale.
  • 2.
    V. Zarka J-C., « Que retenir du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance ? », LPA 8 août 2018, n° 137u8, p. 6.
  • 3.
    V. le compte-rendu du conseil des ministres du 28 mars 2018.
  • 4.
    V. le décret n° 2010-1318 du 4 novembre 2010 qui a institué, au sein du ministère de l’Intérieur, la BNRDF, laquelle réunit des officiers de police judiciaire et des officiers fiscaux judiciaires.
  • 5.
    V. AN, commission des lois, 24 juill. 2018, compte-rendu n° 108, p. 8. V. égal. http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cloi/17-18/c1718108.asp.
  • 6.
    V. Cutajar C., « Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude », D 2018, p. 1304.
  • 7.
    Le Conseil d’État a considéré que « la création d’un second service d’enquête judiciaire fiscale hors du ministère de l’Intérieur ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration et susciterait de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions » (CE, 22 mars 2018, n° 394440, sur le projet de loi, p. 2).
  • 8.
    V. l’avis n° 600 de Nathalie Delattre , fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 26 juin 2018, p. 21.
  • 9.
    V. l’amendement n° COM-56 au projet de loi déposé le 26 juin 2018 par N. Delattre au nom de la commission des lois du Sénat. http://www.senat.fr/amendements/commissions/2017-2018/385/jeu_classe.html.
  • 10.
    V. CGI, art. 1734.
  • 11.
    Les assistants spécialisés de la DGFiP sont des agents de l’administration fiscale affectés au sein des juridictions spécialisées dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Ils ont été créés par la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier dans le but d’apporter une aide aux juridictions spécialisées en matière économique et financière.
  • 12.
    V. l’étude d’impact du projet de loi, 27 mars 2018, p. 21.
  • 13.
    L’Assemblée nationale s’est opposée au Sénat qui souhaitait aligner la définition des plates-formes en ligne sur celle de l’article L. 111-7 du Code de la consommation, issu de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
  • 14.
    V. l’amendement n° CF-195 au projet de loi déposé le 23 juillet 2018 par la députée Émilie Cariou. http://www.assemblee-nationale.fr/15/amendements/1142/CION_FIN/CF195.pdf.
  • 15.
    V. Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC, cons. 7, loi pour la confiance dans la vie publique.
  • 16.
    V. CE, 22 mars 2018, n° 394440, sur le projet de loi, p. 6.
  • 17.
    V. rapp. Sénat n° 602 , 27 juin 2018, sur le projet de loi, p. 15.
  • 18.
    La CIF est prévue à l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (LPF). Elle a été créée par la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière.
  • 19.
    V. l’exposé des motifs du projet de loi, p. 7.
  • 20.
    Gaz. Pal. 12 juin 2018, n° 324m5, p. 5.
  • 21.
    Avec la loi de finances pour 2018, le montant maximum de l’amende prévue par l’article 1741 du CGI en cas de fraude fiscale aggravée est passé de 2 à 3 millions d’euros.
  • 22.
    V. l’avis n° 600 de Nathalie Delattre , fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 26 juin 2018, p. 26.
  • 23.
    V. rapp. AN, 8 févr. 2017, n° 4457, sur l’évaluation de la loi L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et de la loi organique L. org. n° 2013-1115, 6 déc. 2013, relative au procureur de la République financier.
  • 24.
    V. l’étude d’impact du projet de loi, 27 mars 2018, p. 51.
  • 25.
    V. rapp. AN, 25 juill. 2018, n° 1212, sur le projet de loi, p. 239.
  • 26.
    V. rapp. AN, 25 juill. 2018, n° 1212, sur le projet de loi, p. 239.
  • 27.
    La première CJIP a été signée le 30 octobre 2017 entre HSBC Private Bank Suisse SA et le parquet national financier (PNF). En acceptant de régler une amende de 300 millions d’euros, la banque a pu échapper à un procès pour blanchiment de fraude fiscale.
  • 28.
    V. Cass. crim., 20 févr. 2008, n° 07-82977, Talmon : Bull. civ. I, n° 65.
  • 29.
    V. C. douanes, art. 65.
  • 30.
    Sept États figurent actuellement sur la liste française : le Botswana, Brunei, le Guatemala, les Îles Marshall, Nauru, Niue et le Panama.
  • 31.
    Guam, Îles vierges américaines, Namibie, Samoa, Samoa américaines, Trinité-et-Tobago (voir le communiqué de presse du Conseil de l’UE du 2 octobre 2018, n° 537/18).
  • 32.
    V. rapp. AN, 23 mai 2018, n° 982.
  • 33.
    Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-555 QPC, M. Karim B.
  • 34.
    V. la loi du 25 juin 1920 portant création de nouvelles ressources fiscales (art. 112).
  • 35.
    V. rapp. AN, 23 mai 2018, n° 982, p. 7.
  • 36.
    V. Cour des comptes, référé du 1er août 2013 sur « les services de l’État et la lutte contre la fraude fiscale internationale ».
  • 37.
    V. Teper F., « Projet de loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière : aspects fiscaux », Dr. fisc. 2013, p. 4.
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