Immobilier : les dispositifs incitatifs sur la sellette
La Cour des comptes pointe le coût élevé de ces dépenses fiscales, au regard de leur faible efficacité mesurable, et aux insuffisances de leur gestion par les administrations concernées.
La Cour des comptes vient de rendre public un référé, adressé le 17 janvier 2018 au Premier ministre, sur les dépenses fiscales réalisées pour soutenir l’investissement locatif des ménages. En 2016, les dépenses fiscales correspondantes ont été estimées à 1,7 Md€ pour l’ensemble de ces dispositifs, dont le plus ancien a été institué en 1996. En application du Code des juridictions financières, les référés sont adressés par le premier président au Premier ministre ou aux ministres concernés pour leur faire connaître les observations et recommandations formulées par la Cour ou les chambres régionales et territoriales, sur la gestion des services de l’État et des autres organismes publics, y compris les institutions de sécurité sociale. À l’issue d’un délai de deux mois destiné à permettre aux destinataires d’y répondre, ces référés, accompagnés des réponses qui leur sont, le cas échéant, apportées, sont transmis aux commissions des finances et, dans leur domaine de compétence, aux commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, et sont rendus publics.
La liste des dispositions fiscales incitatives mises en place pour les bailleurs individuels est longue : Périssol (1996-1999), Besson, neuf et ancien (1999-2002), Robien et Robien recentré (2003-2008), Borloo, neuf et ancien (2006-2008), Scellier et Scellier intermédiaire (2009-2012), Duflot (2012), Pinel (2014). Ces aides se sont succédées dans le paysage fiscal français. La Cour des comptes a mené une enquête sur les dépenses fiscales consenties au cours des exercices 2009 à 2016 en faveur de l’investissement locatif des ménages. Cette enquête a porté sur les avantages fiscaux, qu’il s’agisse de réduction d’impôt ou d’amortissement diminuant la base imposable, destinés à alléger l’impôt sur le revenu de particuliers qui achètent, ou dans certains cas construisent ou réhabilitent des logements en métropole, et s’engagent à les louer pendant une certaine durée, en respectant des critères relatifs, notamment, au montant maximal des loyers ou aux revenus des locataires. L’avantage peut aussi être octroyé à des ménages qui souscrivent à des parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI). La Cour des comptes a examiné le coût et l’efficacité de ces dépenses fiscales au regard des principaux objectifs qui leur sont assignés : l’appui au secteur du bâtiment et le soutien à l’offre de logements locatifs. La qualité de leur suivi par les ministères respectivement chargés des Finances et du Logement a également fait l’objet d’un examen attentif. En définitive, la Cour des comptes constate que l’impact économique de ces aides est limité et que leur efficacité, du point de vue de l’objectif social d’un accroissement du nombre de logements locatifs accessibles, est faible, au regard du montant de la réduction de recettes fiscales ainsi consentie par l’État.
Elle recommande donc de mettre en œuvre des dispositions transitoires permettant une sortie progressive et sécurisée des dispositifs récemment reconduits ainsi que de mettre en place des mesures visant à renforcer la place des investisseurs institutionnels dans la construction et la location de logements privés.
Des dépenses fiscales en hausse
Au cours de la période, le montant annuel des réductions d’impôt sur le revenu consenties à des bailleurs individuels a constamment progressé, en passant de 606 M€ en 2009 à 1 138 M€ en 2012, puis 1 717 M€ en 2015. « Ces aides sont principalement destinées à des ménages dont les revenus sont relativement élevés, et même parfois importants », constate la Cour des comptes. Ainsi, 45 % des ménages bénéficiaires se situaient en 2013 dans la tranche d’imposition comprise entre 27 000 € et 71 000 €. Près du quart appartenait à la tranche comprise entre 71 000 € et 151 000 €, qui ne représentait alors que 2,3 % des foyers imposés. La Cour a relevé qu’au-delà de leur montant annuel, l’importance de ces dépenses fiscales devait aussi être appréciée à l’aune de leur coût générationnel. Cette notion correspond, pour les logements éligibles construits ou acquis au titre d’une année donnée, au cumul des réductions d’impôt qui ont été consenties au terme de la période de mise en location ouvrant droit à l’avantage fiscal, période qui peut durer de six à quinze ans selon les cas. Ainsi, à l’échéance de 2024, le coût générationnel des dépenses liées aux logements acquis ou construits en 2009 sous le régime Scellier devrait atteindre 3,9 Md€. Celui des logements acquis ou construits en 2017 sous le régime Pinel est estimé, à ce même horizon, à 1,6 Md€. La prorogation de quatre ans de ce dispositif à l’horizon de 2035, inscrite dans le projet de loi de finances pour 2018, devrait porter son coût à 7,4 Md€, en dépit du recentrage envisagé sur des zones plus restreintes.
Quelle efficacité ?
Outre l’objectif social d’un accroissement de l’offre de logement locatif, ces aides fiscales poursuivent un objectif économique de soutien à l’activité de construction. Or pour la Cour des comptes « les données disponibles montrent que ce soutien a pu exercer un effet contracyclique dans certains cas, par exemple en 2009 et 2010, période au cours de laquelle le volume estimé des logements locatifs aidés a progressé alors que le nombre total de logements construits chutait fortement ». Néanmoins, la faible part des logements concernés dans la production totale de logements et l’absence de travaux économiques réellement conclusifs sur un éventuel effet de ces aides fiscales sur la production de logements locatifs conduisent à relativiser leur impact économique. De fait, les études économiques disponibles, trop peu nombreuses au regard des enjeux, ne permettent pas de distinguer suffisamment l’effet de ces aides fiscales de celui de la conjoncture dans les fluctuations du nombre de logements locatifs privés neufs commercialisés. « Cela interdit toute conclusion quant à la portée, voire à la réalité de l’effet déclencheur de ces aides. En sens inverse, l’existence d’effets d’aubaine ou de simple anticipation de décisions d’investissement déjà programmées est certaine mais leur ampleur est également mal appréhendée », analyse la Cour des comptes. En réalité, il ressort de l’enquête de la Cour que les opérateurs (constructeurs, promoteurs, banques) ont désormais intégré la pérennité de ces aides dans leur stratégie. Cela conduit plusieurs experts consultés par la Cour à évoquer un phénomène d’« accoutumance », voire d’« addiction » des acteurs à ces aides fiscales. On peut observer, au demeurant, que celles-ci sont par ailleurs très peu pratiquées dans les autres États européens. « Au total, il revient à l’État d’apporter une preuve plus convaincante de leur efficacité, ce qu’il n’a pas été en mesure de faire à ce jour », conclut la Cour des comptes.
Une régulation des loyers très limitée
L’augmentation de l’offre locative attendue de ces aides fiscales est censée exercer un effet modérateur sur les loyers de marché. Si cet objectif est invoqué par les ministères concernés, la réalité de cet effet n’a pas non plus été mesurée. La Cour des comptes a, au contraire, relevé de nombreux indices qui suggèrent le caractère potentiellement très limité de cet effet modérateur. Elle relève ainsi le faible volume des logements aidés produits chaque année au regard du parc locatif existant : de 30 000 à 50 000 nouveaux logements pour un parc de plus de 5,8 millions d’unités, soit entre 0,5 % et 0,8 % du marché. Elle souligne également la faible présence de ces logements aidés dans les zones les plus tendues. Elle pointe également l’écart, parfois incohérent, entre loyers plafonds liés aux aides fiscales et loyers de marché, les premiers pouvant, dans certaines zones, être supérieurs aux seconds. Tel a ainsi été le cas du dispositif Scellier en 2010 (de 5 % à 50 % selon les communes) ou, plus récemment, du dispositif Pinel (de 10 % à 20 % en zone B2 et de 5 % à 15 % en zone B1).
Un impact à court terme
Pour la Cour des comptes, ces dépenses fiscales ont en réalité un impact de courte durée sur l’offre de logements locatifs. Cet impact est en outre paradoxalement limité à des zones où les besoins ne sont pas toujours les plus importants. Entre 2013 et 2015, un tiers seulement des logements aidés ont été construits en zone « très tendue » (30 % en zone A et 3 % en zone A bis) contre 50 % en zone « tendue » (B) et 15 % en zone « relativement détendue » (B2). Pour apprécier l’efficience du soutien fiscal apporté à l’offre locative privée, la Cour a rapproché la durée moyenne de la mise en location imposée aux ménages investisseurs et l’effort consenti par les finances publiques. Elle a ainsi observé que d’autres dépenses publiques, en comparaison, permettaient, à volume égal, d’augmenter plus durablement le parc de logements locatifs. À titre d’illustration, la Cour a ainsi calculé que « le coût annuel pour les finances publiques d’un logement de 190 000 € bénéficiant de l’avantage Pinel était, toutes choses égales par ailleurs, trois fois plus élevé que celui d’un logement social comparable, financé par un prêt locatif social (PLS), ou deux fois plus élevé que celui d’un logement financé par un prêt locatif aidé d’intégration (PLAI), alors même que la durée des locations est, dans ces derniers cas, bien supérieure (40 ans) ». Afin d’éviter tout risque de surproduction en zone détendue, ces aides fiscales ont été progressivement limitées à certains secteurs. « Cela a, certes, concentré la production de logements aidés sur des zones plus tendues mais pas nécessairement sur celles où la tension entre offre et demande de logements est la plus forte », pointe la Cour des comptes. Pire, ces dispositifs s’avèrent particulièrement inefficaces dans les zones très tendues, où l’accès au logement locatif est le plus difficile pour les classes moyennes. En effet, les ménages bénéficiaires des aides fiscales ont une moindre propension à investir dans ces zones car la rentabilité locative espérée y est plus faible, en raison de coûts d’acquisition élevés et du plafonnement des loyers imposés en contrepartie de l’avantage fiscal. C’est pourquoi, la Cour des comptes estime que « les aides fiscales à l’investissement locatif présentent un intérêt limité, au regard de la disponibilité locative relativement courte des logements aidés et de leur concentration en dehors des zones où les besoins sont les plus élevés ».
Un contrôle insuffisant
Les aides fiscales à l’investissement locatif sont encadrées par des conditions portant sur la localisation du bien, le niveau et l’évolution du loyer, les ressources des locataires ou la durée de location. Cependant, le respect de ces conditions ne fait pas l’objet d’un contrôle systématique. En particulier, lors de leur déclaration, les informations fournies par les bailleurs privés ne font l’objet d’aucun contrôle ni de test de cohérence automatisé. Par la suite, elles ne font que rarement l’objet de contrôles fiscaux. L’insuffisance des données permettant de mesurer l’efficacité de ces dépenses fiscales et de mieux connaître leurs bénéficiaires directs, les ménages investisseurs, et indirects, les ménages logés, conduit à priver le Parlement d’une information quantitative et qualitative nécessaire.
Des données peu partagées
Pour la Cour des comptes, la gestion de ces aides incitatives repose sur des données insuffisantes. Certes, l’administration fiscale dispose de données détaillées sur les caractéristiques des logements aidés (surface, prix de vente, localisation, montant du loyer, existence ou non d’un lien de parenté éventuel entre propriétaire et locataire…), communiquées par les bailleurs privés qui demandent à bénéficier d’un avantage fiscal dans le cadre de leur déclaration de revenus mais ces données essentielles ne sont pas exploitées par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ni partagées avec la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), administration chargée de piloter ces dispositifs pour le compte du ministère de la Cohésion des territoires. De ce fait, la DHUP a recours à des données partielles fournies par les fédérations professionnelles du secteur de la construction et de la promotion immobilière. Cela l’amène à estimer le nombre des logements locatifs aidés et non à le mesurer très précisément. Dans ces conditions, bien que ces régimes d’aide fiscale à l’investissement locatif se soient succédés sans discontinuer depuis 1984, l’administration ne connaît pas avec exactitude le nombre et la durée réelle de mise en location des logements construits ou réhabilités grâce à ces aides, pas plus que le profil socio-économique des ménages qui y sont logés. Dès lors, « ces régimes accordant des avantages fiscaux sont reconduits ou modifiés sur le fondement d’hypothèses faites par l’administration, voire par des groupes d’intérêt sectoriels, et non à partir d’une évaluation fiable et objective de leur efficacité comparée à d’autres modes d’intervention », critique la Cour des comptes. Ainsi, l’appel aux investisseurs institutionnels n’a jamais été véritablement envisagé comme une alternative à ces dispositifs pour soutenir le financement de la construction de logements locatifs privés, en dépit de la moindre complexité que cette orientation représenterait pour mieux gérer et contrôler les effets des aides de l’État.