Impôt sur le revenu : le mariage ne profite pas à tous les couples

Publié le 17/01/2020

L’Insee a évalué l’effet de l’imposition commune et du quotient familial sur la charge fiscale des couples. Il en ressort que 13 millions de ménages voient leur impôt diminuer de 18,1 %, tandis qu’1,1 million de contribuables voient leur imposition moyenne augmenter de 14,2 %.

Qui sont les gagnants et les perdants du mariage ? C’est du point de vue fiscal que l’Insee s’est posé la question. Plus précisément, l’Institut de statistique et des études économiques, a analysé les effets de la conjugalisation et de la familialisation de l’impôt sur le revenu sur le montant des cotisations des contribuables (Insee, « Imposition des couples et des familles : effets budgétaires et redistributifs de l’impôt sur le revenu », étude n° G2019/10 nov. 2019).

Il en ressort que la très grande majorité des couples sont gagnants : 13 millions de ménages font une économie globale d’impôt sur le revenu de 27,7 milliards d’euros. À l’inverse, conjugalisation et familialisation pénalisent 1,1 million de ménages. En moyenne, les foyers gagnants à la conjugalisation voient leur impôt diminuer de 18,1 % alors que l’imposition moyenne des foyers perdants augmente de 14,2 %.

Un impôt progressif

Pour rappel, le taux d’imposition des revenus augmente avec le niveau de revenus. Les taux actuels – applicables en 2017, année sur laquelle l’Insee a fondé ses simulations – sont les suivants (CGI, art. 197) :

– Non imposables jusqu’à 9 964 € ;

– 14 % pour la fraction supérieure à 9 964 euros et inférieure ou égale à 27 519 € ;

– 30 % pour la fraction supérieure à 27 519 euros et inférieure ou égale à 73 779 € ;

– 41 % pour la fraction supérieure à 73 779 euros et inférieure ou égale à 156 244 € ;

– 45 % pour la fraction supérieure à 156 244 €.

L’instauration du prélèvement forfaitaire unique (ou flat tax) applicable aux revenus de l’épargne depuis le 1er janvier 2018 (CGI, art. 200 A), vient nuancer le caractère progressif de l’impôt sur le revenu. Obligations, intérêts, plus-values de valeurs mobilières sont désormais imposés au taux de 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu (et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux), sauf option pour le barème progressif.

Le quotient familial, une spécificité française

Les couples mariés et pacsés font obligatoirement l’objet d’une imposition commune (CGI, art. 6). Cela signifie que pour le calcul de l’impôt du couple, leurs revenus respectifs sont mutualisés. En l’absence de mécanisme correctif, l’application de l’impôt progressif aboutirait, au mieux, à maintenir un taux moyen d’imposition qui serait commun au couple, au pire, à franchir la tranche supérieure du membre qui perçoit les revenus les plus élevés. Pour atténuer la progressivité, le législateur a introduit le mécanisme du quotient familial.

Depuis 1945, l’impôt sur le revenu est calculé au niveau du foyer fiscal : il tient compte du statut marital, du nombre d’enfants et plus généralement du nombre de personnes à charge. Comme le rappelle l’Insee, ces dispositifs « sont la déclinaison de l’exigence constitutionnelle de tenir compte des capacités contributives au niveau familial ». Aussi, la France a appuyé sa politique familiale sur des instruments fiscaux qui font aujourd’hui figure d’exception sur le plan international. Parmi ceux-ci : le quotient familial.

En pratique, l’impôt est calculé au niveau du foyer fiscal de la façon suivante : le nombre de parts dépend de la composition du foyer. Ce quotient conjugal s’élève à deux parts pour un couple marié sans enfant. Il devient familial en présence d’enfant. Les revenus de chacun sont additionnés, et cette somme est divisée par le nombre de parts fiscales du foyer. Puis l’impôt progressif est appliqué à ce ratio. Enfin, l’impôt par part ainsi obtenu est multiplié par le nombre de parts composant le foyer fiscal.

Une économie plafonnée

L’économie qui résulte de l’application du quotient familial n’est pas sans limite. Le plafonnement du quotient familial, introduit en 1983, limite les gains fiscaux liés aux personnes à charge en fixant l’avantage maximal qui résulte du quotient familial (CGI, art. 197).

Toutes les majorations de quotient familial (demi-parts ou quarts de part en cas de résidence alternée des enfants chez les parents séparés) qui s’ajoutent à deux parts ou à une part selon que le contribuable est ou non marié ou lié par un pacs entrent dans le champ d’application du plafonnement. Il en va de même pour toutes les majorations de quotient familial, qu’elles soient accordées au titre des charges de famille, de l’invalidité, ou encore de parent isolé.

Ce plafonnement ne concerne pas tous les contribuables mais seulement ceux dont le revenu excède un certain montant, fixé chaque année par la loi de finances, tel que, à défaut de plafonnement, l’avantage maximal en impôt afférent aux majorations de quotient familial excéderait la limite applicable.

Selon le Bofip (BOI-IR-LIQ-20-20-20-20190218), pour apprécier si le plafonnement est ou non applicable, « une double liquidation de l’impôt est opérée :

– 1er terme : impôt calculé dans les conditions de droit commun, en retenant le nombre de parts correspondant à la situation et aux charges de famille du contribuable ;

– 2nd terme : impôt calculé sur une part si le contribuable est célibataire, divorcé, séparé ou veuf (conjoint ou partenaire décédé avant le 1er janvier de l’année d’imposition), et sur deux parts s’il est marié, lié par un pacs ou veuf (conjoint ou partenaire décédé au cours de l’année d’imposition soumis à imposition commune), la somme ainsi obtenue étant ensuite diminuée d’autant de fois le plafond en impôt qu’il y a de demi-parts ou quarts de part additionnels ».

Si le premier terme est inférieur au second, le plafonnement est applicable. Dans le cas contraire, il n’est pas fait application du plafonnement.

La réduction d’impôt liée au quotient familial est actuellement limitée à 1 551 € pour chaque demi-part supplémentaire, et 776 € pour chaque quart de part supplémentaire.

Impôt sur le revenu : le mariage ne profite pas à tous les couples
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Qui sont les gagnants et les perdants ?

Mécaniquement, les dispositifs mis en place profitent aux couples aux revenus inégaux et aux familles, qui s’acquittent d’un impôt plus faible par rapport à une situation où il serait individualisé. Ils rendent même 4,7 millions de ménages non imposables, soit un ménage sur 6 : « Si ces dispositifs n’étaient pas appliqués, deux tiers des ménages seraient imposables dans le cas de l’impôt fictif individualisé, contre la moitié dans la situation actuelle ». Les gains moyens de ces ménages s’élèvent à 2 120 € par an et les pertes des perdants à 400 €. L’ensemble de ces dispositifs fiscaux diminuent l’impôt payé de 27,7 Mds€, soit 42 % du montant total d’impôt réel en 2017.

Par ailleurs, « les 15 % de personnes les plus aisées sont celles qui bénéficient le plus de la conjugalisation : ils reçoivent 48 % des gains totaux alors que les 50 % les plus modestes reçoivent moins de 25 % des gains ».

Plus précisément, « parmi les 13 millions de ménages gagnants, 39 % sont des couples avec un ou deux enfants, alors qu’ils représentent 21 % de la population. Les célibataires au sens de l’Insee constituent 35 % des ménages contre 11 % des gagnants. Près de la moitié des familles monoparentales sont gagnantes (1,2 million parmi 2,5 millions) ; 79 % du 1,5 million de couples avec trois enfants ou plus sont gagnants, contre 49 % des 8 millions de couples sans enfant ». En conclusion : au total, 44 % des gains bénéficient aux couples avec un ou deux enfants (2 432 € de gain).

L’étude a également affiné son analyse sur la population la plus aisée. Parmi les 360 000 foyers représentant les 1 % les plus aisés, 305 000 sont gagnants et ce gain représente 2,78 Mds€ (10,4 % d’impôt). Les gains moyens des foyers gagnants représentent 11 300 € pour les 0,5 % foyers les plus riches au sens du revenu fiscal de référence. Ces gains s’élèvent à 16 300 € pour les 0,1 % les plus riches.

À l’inverse, 1,1 million de couples voient leur facture fiscale alourdie, pour des montants plus faibles que les gains, en moyenne à 401 € par an. Ces pertes sont inférieures « à 0,2 % du niveau de vie, et présentent un profil en cloche si elles sont rapportées au niveau de vie du ménage. Elles sont nulles pour les 50 % les plus modestes, et négligeables pour les 20 % les plus aisés », précise l’étude. « Les 50 % les plus modestes se partagent 20 % des gains ».

Ces résultats confirment que les gains à la conjugalisation sont d’autant plus prononcés que les écarts de revenus au sein du couple sont importants, et que la somme des revenus du couple est élevée. En ce sens, « les effets de la conjugalisation sont anti-redistributifs au sens où les ménages les plus aisés en bénéficient davantage ».

D’autres effets induits ?

Les critiques de ce système y voient notamment une subvention aux couples aux revenus inégaux. Ils considèrent également que cela favorise la spécialisation domestique au sein du couple en rendant l’arbitrage plus défavorable au second apporteur de ressources, c’est-à-dire au membre du couple qui ne travaille pas ou au salaire le moins élevé. En l’occurrence, la femme, puisque 3 femmes en couple sur 4 gagnent moins que leur conjoint. « Ainsi, le quotient conjugal taxe plus fortement l’offre de travail des femmes que des hommes ». D’autres y voient « une élasticité négative au sens où la probabilité du conjoint de participer au marché du travail décroît avec le taux de taxation du salaire éventuel ».

Une spécificité française

La France est un des seuls pays à rendre obligatoire l’imposition commune, la plupart des pays appliquant une imposition séparée totale ou tenant compte des revenus des conjoints par un crédit d’impôt ou l’application d’un abattement. Seule la Suisse adopte encore un système équivalent au cas français. Certains systèmes permettent aux membres des couples de choisir entre un impôt individuel ou commun, comme en Allemagne et en Espagne où l’imposition conjointe est de droit, l’individualisation en option.

La Belgique, l’Italie, le Royaume-Uni ou le Canada intègrent des dépenses fiscales sous différentes formes dans le cas d’un conjoint aux revenus moindres. D’autres pays comme l’Autriche, la Finlande, la Grèce ou la Suède pratiquent l’imposition séparée stricte.

Quant à la prise en compte fiscale des enfants à charge par l’octroi d’un avantage fiscal, seuls le Portugal et le Luxembourg pratiquent un système du quotient familial par parts similaires au système français. Certains pays appliquent des crédits d’impôt ou des abattements forfaitaires pour personnes à charge.