La CIF publie son rapport d’activité

Publié le 17/08/2018

La Commission des infractions fiscales (CIF), un dispositif-clé du verrou de Bercy, fait le bilan de son action. Son rapport fait état d’une progression constante du montant des droits fraudés.

En matière de poursuites pénales pour fraude fiscale, le ministère public ne peut mettre en mouvement l’action publique que sur plainte préalable de l’administration, déposée sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF), un organisme administratif indépendant, non juridictionnel accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière. La CIF vient de publier son rapport d’activité.

Le verrou de Bercy

Ce monopole de l’administration fiscale sur l’initiative des poursuites pénales, ce qu’on appelle le verrou de Bercy, est actuellement sous les feux des critiques. Prévu à l’article L. 228 du Livre des procédures fiscales (LPF), il constitue une exception au droit commun de la procédure pénale qui attribue au procureur de la République le droit d’initier l’action pénale au même titre que la victime. En 2016, à l’occasion d’un litige l’opposant à l’administration fiscale, un contribuable a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité au motif que ce dispositif portait atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a validé le principe de la subordination de la mise en mouvement de l’action publique en matière d’infractions fiscales (Cons. const., 22 juil. 2016, n° 2016-555 QPC, M. Karim B). Il a jugé que les dispositions contestées, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, ne portent pas une atteinte disproportionnée aux principes de séparations des pouvoirs et de l’indépendance des autorités judiciaires. En effet, une fois la plainte déposée par l’administration, le procureur de la République dispose de la faculté de décider librement de l’opportunité d’engager des poursuites. En outre, les infractions pour lesquelles une plainte de l’administration préalable aux poursuites est exigée concernent des actes qui portent atteinte aux intérêts financiers de l’État et causent principalement un préjudice au Trésor public. Ainsi, dans l’hypothèse où l’administration, qui est à même d’apprécier la gravité des atteintes portées à ces intérêts collectifs protégés par la loi fiscale, ne dépose pas de plainte, l’absence de mise en mouvement de l’action publique qui en résulte ne constitue pas un trouble substantiel à l’ordre public. Enfin, la compétence pour déposer la plainte préalable obligatoire relève de l’administration qui l’exerce dans le respect d’une politique pénale déterminée par le gouvernement conformément à l’article 20 de la constitution et dans le respect du principe d’égalité.

Un double objectif

« En instituant cette Commission, par la loi n° 77-1453, du 29 décembre 1977, accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière, le législateur lui a fixé un double objectif : apporter aux contribuables sous le coup d’une plainte pénale, la garantie d’un examen individualisé et impartial de leur situation par un organisme qui est indépendant, à la fois de l’administration et de l’autorité judiciaire, et filtrer, parmi les dossiers dont elle est saisie, ceux justifiant effectivement des poursuites pénales, au-delà des sanctions administratives pécuniaires déjà encourues par les contribuables concernés. Ce rôle de filtre s’exerce également à l’égard du juge pénal dont le prétoire est déjà très encombré et qui ne doit être saisi que des affaires les plus importantes », précise le rapport 2017 de la CIF.

L’intervention de la CIF dans la sélection des dossiers devant être déférés au pénal s’inscrit en effet dans le cadre d’une politique globale des pouvoirs publics visant à réserver l’engagement des poursuites aux affaires qui présentent un degré certain d’exemplarité. La mission confiée à la Commission consiste à s’assurer que la démarche de l’administration est objectivement justifiée à la fois au regard de la démonstration de la fraude, de l’établissement de son caractère intentionnel et des circonstances de l’affaire. Au niveau de la procédure, si les textes excluent tout débat contradictoire devant la Commission avec le contribuable mis en cause, celui-ci, informé de la saisine, dispose néanmoins de la faculté de présenter des observations écrites dans un délai de 30 jours, afin de faire valoir ses arguments en défense, sur sa perception du déroulement du contrôle et les conséquences fiscales qui en ont été tirées ainsi que sur les circonstances de la cause. Ces éléments font l’objet d’une analyse attentive qui éclaire les débats. Le processus de décision comporte un examen préalable du dossier par un rapporteur qui présente l’affaire en séance en analysant le bien-fondé des redressements, la démonstration du caractère intentionnel des infractions incriminées et la portée des arguments en défense éventuellement présentés par le contribuable. Les décisions rendues prennent traditionnellement en compte le quantum de la fraude, le caractère délictueux marqué des procédés mis en œuvre et l’intention frauduleuse révélée par les agissements du contribuable. La pratique de la Commission est désormais encadrée par les décisions du Conseil constitutionnel n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 (AlecW et Jérôme C) relatives au cumul des sanctions fiscales et pénales. Dans ces affaires, le Conseil constitutionnel a estimé que les deux types de sanctions pouvaient se cumuler dans les cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l’impôt, cette gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. L’insuffisance de l’un ou de plusieurs de ces éléments est susceptible de conduire à l’émission d’un avis défavorable à l’engagement d’une action pénale. Elles sont également individualisées par l’attention portée aux circonstances propres à chaque dossier telles que : les antécédents et la situation personnelle du contribuable, le contexte notamment économique de la réalisation de la fraude ainsi que tout élément de nature à atténuer la responsabilité des personnes incriminées.

Le fonctionnement de la CIF

Présidée par un conseiller d’État, la Commission était, jusqu’au 31 décembre 2014, composée de vingt-quatre membres – douze titulaires et douze suppléants – choisis en nombre égal parmi les conseillers d’État et les conseillers-maîtres à la Cour des comptes. L’article 13 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a modifié la composition de la Commission. Le nombre de conseillers d’État et de conseillers-maîtres à la Cour des comptes a été ramené à huit membres titulaires et quatre suppléants par corps, désormais élus par leurs pairs. S’y sont ajoutés douze magistrats honoraires à la Cour de cassation également élus au sein de cette institution ainsi que quatre personnalités qualifiées désignées par les présidents des deux assemblées parlementaires, ces élections et désignations devant respecter le principe de parité entre les femmes et les hommes. Pour son fonctionnement, la Commission a recours à une quarantaine de rapporteurs, en charge de la présentation des dossiers en séance, choisis parmi des fonctionnaires dotés de compétences juridiques et fiscales adaptées à leurs missions.

La Commission est saisie par le ministre du Budget qui peut déléguer sa signature à des fonctionnaires des services centraux de la Direction générale des finances publiques ayant au moins le grade de chef de bureau. Dans une optique de renforcement de la lutte contre la fraude fiscale et de raccourcissement des délais de saisine de la justice, une partie des propositions de poursuites pénales pour fraude fiscale fait, depuis 2000, l’objet d’une procédure d’examen déconcentrée. Les propositions ainsi formulées sont transmises à la Commission par le bureau de la Direction générale des finances publiques chargé des affaires pénales, sans révision préalable au fond du dossier reçu des directions territoriales. Les dossiers soumis à la Commission concernent des personnes physiques ou morales susceptibles d’avoir commis des infractions relevant du délit de fraude fiscale défini à l’article 1741 du Code général des impôts (CGI), à savoir, la soustraction frauduleuse à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés au CGI. Ces infractions peuvent consister en l’omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits, la dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt, l’organisation d’insolvabilité, la mise en place de manœuvres mettant obstacle au recouvrement de l’impôt ou toute autre manœuvre frauduleuse. La Commission est susceptible d’être concomitamment saisie de faits relevant des dispositions de l’article 1743 du CGI, à savoir l’omission de passation d’écritures et/ou la passation d’écritures inexactes ou fictives dans les documents comptables obligatoires. Lorsque la Commission est saisie, elle en informe le contribuable par lettre recommandée avec accusé de réception lui indiquant les principaux griefs formulés à son encontre et l’invitant à fournir par écrit, dans un délai de trente jours, les informations qu’il estime nécessaires. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas dans le cadre de la procédure judiciaire d’enquête fiscale : la Commission des infractions fiscales se prononce, dans ce cas, sans que le contribuable en soit averti, sur des présomptions caractérisées d’une infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves (LPF, art. L. 228).

Un avis qui lie l’administration fiscale

Conformément à l’article R 228-6 du LPF, les décisions rendues par la CIF sur l’opportunité des poursuites, au vu de l’ensemble des éléments du dossier et par un avis conforme à la proposition de l’administration, n’ont pas à être motivées. Dès lors, chaque dossier fait l’objet d’un examen spécifique, ce qui ne permet pas de dégager une jurisprudence de la Commission quant aux motifs susceptibles de justifier un avis défavorable au dépôt de plainte. Cet avis est notifié au ministre qui est alors tenu de déposer la plainte en cas d’avis favorable et se trouve dans l’impossibilité de le faire dans le cas contraire. En 2017, 973 dossiers ont été transmis à la Commission, un niveau légèrement supérieur au volume transmis en 2016 (944), mais très en deçà des chiffres qu’on pouvait recenser lors des années 2005 à 2014. À titre d’exemple, 1 155 dossiers ont été ainsi transmis à la CIF en 2014 et 1061 dossiers en 2015. Le recours à la procédure de saisine déconcentrée a représenté 54 % des dossiers transmis, un chiffre en augmentation. En revanche, les dossiers transmis dans le cadre d’une enquête fiscale ont été moins nombreux (27 dossiers contre 70 en 2016). La Commission donne un avis favorable aux poursuites pénales dans 90 à 95 % des cas, ce qui montre que l’administration fiscale tient compte des critères opérant de la CIF lorsqu’elle sélectionne les dossiers qu’elle lui transmet. « Cette sélectivité, conforme aux principes constitutionnels de proportionnalité des sanctions à la gravité des infractions et d’individualisation des peines, est également corroborée par le fait que dans 80 % des cas le juge pénal sanctionne les personnes qui lui sont ainsi déférées après avis de la Commission », souligne le rapport.

Une nette progression des droits fraudés

La fraude à la TVA reste prépondérante. Elle représente 54 % des dossiers en 2017, contre 60 % en 2016 et 66 % en 2014. L’impôt sur le revenu représente 29 % des dossiers en 2017, contre 22 % en 2016. La part de l’impôt sur les sociétés (12 %) est cohérente avec les autres périodes (12 % à 17 %). Le montant des droits fraudés est exceptionnellement élevé en 2017 en raison de deux affaires à fort impact financier, une affaire de 10 M€ ayant trait à une remise en cause d’une exonération de retenue à la source sur des dividendes et une affaire de 5 M€ concernant une exonération de la taxe sur les véhicules de société. Surtout, l’année 2017 se caractérise par une progression significative de la moyenne, tous impôts confondus, des droits fraudés par affaire poursuivie : 413 528 €, contre 350 494 € l’année précédente (+ 18 %), renfonçant la constante évolution relevée depuis 2013 (+ 54 % sur la période). L’analyse de la répartition socio-professionnelle des plaintes autorisées en 2017 fait apparaître, comme les années précédentes, un très large éventail d’activités économiques. « Une diversité qui est aussi la preuve qu’aucun secteur économique ne peut se considérer à l’abri de la répression pénale de la fraude et de l’exemplarité de la sanction », souligne le rapport. Cependant, comme par le passé, le secteur du BTP (20 %) constitue le premier des secteurs visés par les projets de plaintes, devant les services (13 %), l’industrie automobile (8 %) et la filière immobilière (7 %). Les plaintes relatives à la mise en cause de la responsabilité pénale des dirigeants de sociétés se maintiennent à un niveau élevé (15 %). Enfin, la Commission signale également de nombreux dossiers à dominante patrimoniale qui tendent à une soustraction totale ou partielle à l’ISF ou à une exonération indue de droits de succession ou de donation. La CIF a également eu à connaître de plusieurs affaires visant à éluder l’impôt sur les plus-values de cession de valeurs mobilières au moyen de montages sophistiqués reposant sur des opérations préalables à la cession de titres comme des démembrements de propriété ou des donations-partage. « Ces fraudes particulièrement difficiles à détecter, dès lors qu’elles concernent fréquemment une opération unique assortie d’un respect apparent des obligations déclaratives, portent généralement sur des sommes très importantes (supérieures à un million d’euros). La nature fortement répréhensible de tels agissements, ainsi que l’ampleur de la soustraction à l’impôt qu’ils induisent, justifient une répression exemplaire à l’origine d’un accroissement notable du nombre de plaintes déposées à ce titre », souligne la CIF.

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