La Cour des comptes fait le bilan de la cellule de régularisation des avoirs non déclarés

Publié le 04/01/2018

La Cour des comptes dresse le bilan de la cellule de régularisation des avoirs fiscaux étrangers qui fermera le 31 décembre 2017 et émet des recommandations pour son extinction et la mise en place d’un nouveau processus.

La cellule de régularisation des avoirs fiscaux étrangers, également appelée STDR (Service de traitement des déclarations rectificatives) est un dispositif d’exception dont la fermeture au 31 décembre 2017 a été annoncée le 15 septembre dernier par le ministre chargé du Budget.

Un dispositif d’exception

L’administration fiscale a, dans le contexte de la révélation des « listes HSBC », créé une première « cellule de régularisation » pour un laps de temps relativement court en 2009. Cette cellule a permis d’encaisser des recettes fiscales d’un montant de 1,2 Md€. En 2013, l’administration a renouvelé l’expérience avec le STDR, qui était rattaché à la direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF), service à compétence nationale placé sous l’autorité du service du contrôle fiscal de la DGFiP. Son intervention a été définie dans une circulaire du ministre délégué chargé du Budget, publiée le 21 juin 2013. La circulaire maintient inchangée l’obligation pour les contribuables révélant des avoirs non antérieurement déclarés de s’acquitter du paiement intégral des impositions éludées et non prescrites. Ces impositions sont calculées par application du droit fiscal en vigueur au moment de l’exigibilité et des intérêts de retard. En revanche, la circulaire « ne comporte aucune mention d’éventuelles poursuites pénales, souligne la Cour des comptes, dans un rapport daté d’octobre 2017. Ce silence étant à interpréter comme signifiant l’absence a priori de poursuites pénales du seul chef de la détention de ces avoirs non déclarés. Cette clause tacite est rendue possible par le monopole d’engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale dévolu à l’administration fiscale. Cette dispense de fait de poursuites pénales a vraisemblablement constitué une incitation forte à recourir à la procédure de régularisation », concluent les sages de la rue Cambon.

Modulation des pénalités

La circulaire prévoit également une atténuation des pénalités fiscales, majorations appliquées aux différents impôts dus (impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune, droits de mutation à titre gratuit, etc.), amendes prévues par le Code général des impôts en cas de non-respect de l’obligation annuelle de déclaration des avoirs détenus à l’étranger (comptes en banque, contrats d’assurance-vie, trusts). Cette modulation des pénalités n’est toutefois pas dérogatoire au droit fiscal, puisqu’elle s’inscrit dans le cadre de la procédure de transaction prévue par le Livre des procédures fiscales, dont tout contribuable est susceptible de bénéficier. Cette procédure a été utilisée dans le traitement des régularisations avec la même finalité que dans son usage courant en matière fiscale, c’est-à-dire préserver les intérêts de l’État en évitant des contentieux longs, coûteux et aléatoires et permettre un encaissement assuré et rapide de la plus grande partie de la dette fiscale exigible. Toutefois, les dispositions législatives du Code général des impôts ne prévoient que des possibilités de transaction individuelle. « En l’occurrence cette procédure a été utilisée pour mettre en œuvre un traitement de masse, par application d’un barème homogène à tous les contribuables concernés. Cette pratique exceptionnelle a été avalisée par le Comité du contentieux fiscal et douanier (CCFD) », précise la Cour des comptes. Ce barème comporte notamment une distinction entre fraudeurs « actifs » et « passifs », le fraudeur « passif », dont les avoirs dissimulés ont pour origine une succession ou une donation étant réputé moins coupable que le fraudeur « actif », une distinction, qui reprise de la pratique de la cellule mise en place en 2009, ne repose sur aucun fondement législatif ou réglementaire, même si l’administration fiscale est admise à apprécier la situation du contribuable dans le cadre des éléments de fait à prendre en compte lors de la conclusion d’une transaction.

Des pénalités qui ont varié

L’échelle des pénalités applicables a été modifiée à plusieurs reprises. La décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 2016 déclarant non conforme à la Constitution l’amende proportionnelle en cas de non-déclaration d’un compte bancaire, au motif qu’elle constituait une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits que le législateur avait entendu réprimer n’a pas eu de portée rétroactive. En revanche, elle a interdit l’application de l’amende proportionnelle à tous les dossiers non réglés à sa date d’entrée en vigueur, soit le 24 juillet 2016. Cette décision a entraîné une modification du barème de transaction avec un relèvement du taux minoré de la majoration d’impôts appliqué par l’administration fiscale qui a fait l’objet d’une nouvelle circulaire publiée au mois de septembre 2016. Le Code général des impôts (CGI) a ensuite été modifié par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 afin d’instituer un régime unique et forfaitaire de majoration des impôts dus en cas de régularisation, cette pénalité se substituant à celles précédemment en vigueur. Ces variations intervenues dans un laps de temps de quatre années « ont provoqué des différences de traitement des contribuables, en fonction de la date de dépôt des dossiers, des exercices fiscaux en cause et de la date de règlement », souligne la Cour des comptes. « L’utilisation de la procédure de transaction a permis à l’exécutif de définir seul les modalités de la régularisation (à la seule exception de la modification législative du CGI susmentionnée), analyse la Cour des comptes. Le Parlement est toutefois tenu informé du déroulement et des résultats de ce processus à l’occasion de l’examen des lois de finances et est destinataire chaque année d’un rapport spécifique sur l’application de ce dispositif durant l’année écoulée.

Un traitement homogène des dossiers

L’afflux de dossiers s’est vite révélé supérieur aux capacités de traitement du STDR : à la fin de l’année 2015, sur les 37 000 dossiers complets déposés depuis l’origine du service, 25 000 étaient encore en cours ou en attente de traitement. En conséquence, les capacités du service ont été augmentées avec la création en 2015, puis de nouveau en 2016, de 10 pôles de régularisation déconcentrés, dotés d’une compétence nationale ou régionale selon les cas, portant l’effectif total à 172 agents à la fin de l’année 2016, alors que le STDR central n’en comptait que 66 fin 2014. « Si la gestion des dossiers a été répartie entre plusieurs pôles, l’administration est parvenue à en assurer un traitement homogène au moyen de la formation, de l’uniformisation des méthodes, de la mutualisation des expériences et d’un pilotage serré », souligne la Cour des comptes. À cet égard, les sages de la rue Cambon ont pu vérifier l’homogénéité de traitement des dossiers sur la base des critères publiés. Les modalités de traitement des dossiers ont été organisées en fonction de la priorité donnée aux résultats budgétaires : les agents du STDR ont eu pour consigne constante de traiter en priorité les dossiers présentant les perspectives de recettes les plus élevées, évaluées à l’aune du montant des avoirs déclarés, auquel est a priori corrélé celui des sommes à recouvrer. L’application de ce principe a conduit à de grands écarts dans le délai de traitement des dossiers : alors que les dossiers portant sur des avoirs supérieurs à un million d’euros sont traités en moyenne en moins d’un an, les « petits » dossiers, peuvent rester en attente pendant plus de deux ans. C’est notamment l’accumulation de « petits » dossiers en attente de traitement au STDR qui a conduit à la mise en place des pôles déconcentrés, auxquels sont confiés les dossiers comportant des avoirs de moins de 600 000 €. « Le fonctionnement même du STDR n’appelle pas de critique et la DGFiP a su faire preuve de flexibilité pour l’assurer dans de bonnes conditions : le traitement des dossiers aurait pu être accéléré avec des effectifs accrus mais ces moyens supplémentaires auraient été prélevés sur ceux du contrôle fiscal dont sont issus la plupart de ses agents ; dès lors, un renforcement du STDR n’aurait pu se faire qu’au détriment de cette fonction », conclut la Cour des comptes.

Un bilan très favorable

En matière de lutte contre la dissimulation d’avoirs à l’étranger, les administrations fiscales ont longtemps rencontré d’importantes difficultés, dès lors qu’elles se heurtaient au secret bancaire et disposaient de peu de moyens d’enquête et de contrôle. Toutefois, depuis une dizaine d’années, la situation a sensiblement évolué. Les administrations nationales ont pu tirer parti de révélations d’origines diverses sur les comptes détenus dans certaines banques, notamment suisses. La coopération et les échanges d’informations entre États ont tendu à devenir plus systématiques. La voie a été ouverte par les États-Unis qui ont, de manière unilatérale et extraterritoriale, imposé aux banques étrangères de leur déclarer les comptes détenus par des résidents fiscaux américains. Un mécanisme multilatéral d’échanges automatisé de données entre États sur les comptes détenus par des non-résidents a été élaboré sous l’égide de l’OCDE. Il doit entrer en vigueur progressivement. Plus d’une centaine de pays se sont engagés à y participer. Ce contexte nouveau a rendu les titulaires d’avoirs non déclarés à l’étranger plus sensibles aux risques encourus et a facilité l’action de la cellule. Elle a de facto connu un grand succès puisque près de 51 000 demandes de régularisation ont été déposées à ce jour, portant sur environ 32 Md€ d’avoirs. Les avoirs déclarés sont, dans la majorité des cas, d’un montant relativement modeste. En effet, près des deux tiers des dossiers portent sur des avoirs inférieurs à 400 000 €. Une part prépondérante, de l’ordre de 90 %, de ces avoirs est détenue en Suisse. Le Luxembourg représente la deuxième localisation en terme d’importance pour ces avoirs. En revanche, très peu d’avoirs ont été déclarés en provenance de centres financiers ou paradis fiscaux. Les détenteurs de ces avoirs sont principalement des fraudeurs « passifs », qui ont vu dans l’instauration de ce dispositif un moyen de sortir d’une situation, souvent ancienne, dont ils n’étaient pas à l’origine. Les recettes encaissées par le STDR se sont élevées sur la période 2014-2016 à plus de 7 Md€, dont 1,80 Md€ en impôt sur le revenu, 2,28 Md€ en impôt de solidarité sur la fortune, 1,40 Md€ au titre des droits de mutation à titre gratuit, qu’il s’agisse de droits de successions et de donations et 816 M€ de prélèvement sociaux. Des recettes d’1 à 1,2 Md€ sont attendues en 2017, un peu moins en 2018.

L’impact des remises de pénalités

Si le rendement du STDR est élevé, les remises de pénalités représentent près du quart des sommes totales dues avant transaction. Le taux de remise des pénalités, d’environ la moitié, constaté sur les dossiers traités par le STDR, est toutefois voisin de celui que la Cour des comptes a constaté en moyenne pour les transactions avant mise en recouvrement. « S’il est incontestable que l’État a renoncé à une partie des recettes théoriques, à hauteur du montant des atténuations de pénalités consenties, soit un peu plus d’1,8 Md€, ce moindre gain doit être mis au regard de l’effet incitatif probable de ces aménagements », précise les sages de la rue Cambon. Il n’est pas possible par définition de savoir si l’exemption des éventuelles conséquences pénales liées à la fraude fiscale, sans aménagement des pénalités, aurait, à elle seule, conduit au même volume de régularisations. « Il ne fait en revanche guère de doute qu’en l’absence de tout dispositif de régularisation, la plupart des contribuables défaillants n’auraient pas déclaré spontanément leurs avoirs. Le fisc aurait dû dès lors attendre la mise en œuvre des échanges automatiques de données pour obtenir des informations sur ces avoirs. Ces informations risquaient de n’être pas rapidement disponibles ni complètes ni facilement exploitables. Pour sanctionner les fraudeurs, l’administration aurait dû en tout état de cause lancer des procédures de contrôle fiscal, plus lourdes et plus aléatoires que les régularisations opérées dans le cadre du STDR », conclut le rapport de la Cour des comptes. Même sous l’hypothèse d’une application de la loi fiscale dans toute sa rigueur au terme de ces procédures, les recettes qui, de toutes façons, auraient été recouvrées plus tardivement, n’auraient pas forcément été in fine plus élevées que celles obtenues par le STDR. En outre, analyse la Cour des comptes, « les comparaisons internationales montrent que la formule choisie s’est située à mi-chemin des deux grandes catégories de solutions retenues dans d’autres pays notamment européens : soit une amnistie assortie du paiement d’une somme proportionnelle au montant des capitaux déclarés, soit une acceptation de la régularisation mais avec l’application des règles de droit commun sans atténuation. La voie choisie a évité à l’administration de déclencher des milliers de poursuites au coût élevé et au résultat aléatoire ». Quant à la modulation des pénalités, elle n’a pas excédé celle constatée en moyenne dans les transactions fiscales courantes dont s’inspire la procédure du STDR. Cette option a permis de percevoir des recettes substantielles sans délai et sans les aléas inhérents aux procédures contentieuses.

La suppression annoncée du dispositif

Plusieurs raisons ont conduit à procéder à la clôture de la procédure. Les contribuables concernés ont disposé d’une durée jugée suffisante de quatre ans pour y recourir. Le nombre de nouveaux dossiers a diminué fortement depuis 2016 tout comme les recettes fiscales qui en découlent. Parallèlement, la mise en œuvre des échanges automatiques de données à partir de 2017 va donner de nouveaux instruments à l’administration. La clôture a finalement été annoncée le 15 septembre 2017 par le ministre de l’Action et des Comptes publics. « L’annonce le 15 septembre 2017 de la clôture au 31 décembre laisse un intervalle de trois mois et demi aux contribuables pour bénéficier de la procédure, ce qui est convenable puisqu’il leur suffit à cet effet de déposer une simple déclaration d’intention, quitte à la compléter ultérieurement par des déclarations rectificatives. La cohérence impose en contrepartie de ne pas accorder de « période complémentaire » et de refuser tout nouveau dépôt au-delà du terme annoncé », estime la Cour des comptes. Précisons que la fermeture de la cellule ne prive pas les contribuables de la possibilité de déposer une déclaration rectificative après le 31 décembre 2017. Toutefois, ils ne bénéficieront plus des conditions offertes dans le cadre de cette procédure. Les majorations applicables seront celles de droit commun. Tout en procédant à l’extinction de la procédure de régularisation, les services fiscaux doivent d’ores et déjà planifier l’exploitation des données qu’ils vont recevoir via l’échange automatique. Les sages de la rue Cambon recommandent à cet égard de maintenir le STDR en activité jusqu’au règlement des derniers dossiers déposés. Précisons que 20 000 dossiers étaient encore en attente fin 2016. Ils préconisent également d’organiser une mise en extinction progressive du STDR. Enfin, la fermeture du STDR doit s’accompagner d’une intensification de la lutte contre la fraude par les services fiscaux, qui doivent notamment s’attacher à optimiser l’utilisation des possibilités de contrôle fournies par l’échange automatique de données bancaires. « Cette tâche s’impose d’autant plus que ce mécanisme ne sera pas d’emblée pleinement opérationnel et que les données « brutes » reçues par ce moyen devront faire l’objet d’actions de contrôle fiscal », précise la Cour des comptes.

 

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