Lancement d’une consultation publique sur la réforme de l’impôt sur les sociétés

Publié le 07/05/2018

Afin de faire évaluer le régime fiscal des brevets, de l’intégration fiscale et de la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunts, Bercy consulte les parties prenantes sur le contenu des trois réformes envisagées.

La direction de la législation fiscale du ministère de l’Économie et des Finances lance une consultation publique du 24 avril au 11 mai 2018 sur la réforme de l’impôt sur les sociétés. Du fait des évolutions du droit européen et des travaux de l’OCDE relatifs à la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), plusieurs mesures de réforme de l’impôt sur les sociétés (IS) sont envisagées par le gouvernement. Il s’agit de la réforme du régime fiscal des produits de la propriété industrielle, qui concerne essentiellement les brevets, des règles de l’intégration fiscale et de la déductibilité des charges financières (intérêts d’emprunt). Ces trois mesures auraient vocation à figurer en loi de finances pour 2019. Dans le cadre de leur préparation, le gouvernement organise donc une consultation en ligne sur le contenu des trois réformes envisagées. Il suffit de se connecter sur le site de Bercy (https://www.economie.gouv.fr). Vous pouvez accéder aux formulaires en ligne pour transmettre votre avis sur chacun des trois sujets. Pour le régime fiscal des brevets : comment modifier le régime fiscal français applicable aux brevets et aux droits incorporels assimilés, afin d’intégrer les prescriptions de l’OCDE et de l’Union européenne ? Pour le régime d’intégration fiscale : comment réduire l’insécurité juridique perçue par les différents acteurs concernés ? Enfin, concernant la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunts : comment transposer l’article 4 de la directive ATAD 1 qui limite les charges financières nettes à 30 % du résultat avant impôts, intérêts, provisions et amortissement, lorsque ce montant excède 3 millions d’euros ?

Aménager le régime fiscal des brevets

Afin d’encourager l’innovation technologique de ses entreprises, la France a mis en place, depuis 1965, un régime de taxation réduite des produits tirés de l’exploitation des droits de propriété industrielle. Actuellement, les produits, qu’il s’agisse de redevances de concession et de plus-values de cession, tirés des brevets et des droits de la propriété industrielle assimilés (inventions brevetables, certificats d’obtention végétale, procédés de fabrication industriels, perfectionnements apportés aux inventions) bénéficient du taux réduit d’imposition applicable aux plus-values à long terme, soit 15 % pour les entreprises passibles de l’impôt sur les sociétés et 12,8 % pour les entreprises relevant de l’impôt sur le revenu. Afin de lutter contre les pratiques fiscales dommageables, l’OCDE puis l’Union européenne ont consacré l’approche du lien ou « nexus », consistant à conditionner l’application d’un régime favorable d’imposition des profits d’une entreprise tirés de l’exploitation et de la cession d’un brevet à la réalisation, sur le territoire national, des dépenses de R&D engagées par cette entreprise pour développer ce brevet ou cet actif. En pratique, cette approche repose sur l’idée que l’avantage fiscal afférent aux revenus de la propriété industrielle doit être corrélé avec l’importance des dépenses de R&D engagées en amont sur le territoire. En pratique, elle consiste à déterminer la quote-part des profits éligibles à un régime fiscal favorable sur la base du ratio d’éligibilité suivant la proportion des dépenses de R&D directement engagées par le titulaire de l’actif sur le territoire national ou, quel que soit le lieu de leur localisation, par des parties non liées (dépenses éligibles) par rapport au total des dépenses de R&D qui incluent également les coûts d’acquisition et les dépenses de R&D supportées par des parties liées (dépenses non éligibles).

Il apparaît nécessaire de modifier le régime fiscal français applicable aux brevets et autres droits incorporels assimilés afin d’intégrer ces prescriptions. La réforme a pour objet de proportionner les revenus bénéficiant du taux réduit d’imposition au niveau de dépenses de R&D réalisées par le titulaire de l’actif générant lesdits revenus. L’avantage fiscal sera ainsi mieux corrélé aux externalités positives que produisent les entreprises sur le sol national. Les prescriptions de l’OCDE laisse à l’appréciation des États un certain nombre de paramètres de leur régime de propriété industrielle (champ d’application, modalité de calcul du ratio « nexus », entrée en vigueur du nouveau régime). La consultation a pour objet d’analyser l’opportunité d’utiliser les marges de manœuvre ainsi laissées par le cadre offert par l’OCDE. Par ailleurs, certaines évolutions concernant les modalités pratiques de mise en œuvre du nouveau régime, comme son articulation avec le régime de l’intégration fiscale ou la possibilité de maintenir dans le champ d’application du nouveau régime les inventions brevetables non brevetées, devront être précisées. Elles feront l’objet d’une analyse spécifique en marge de la consultation.

Améliorer le régime de l’intégration fiscale

Le régime français de l’intégration fiscale vise à assurer la neutralité de l’impôt sur les sociétés au regard des choix d’organisation des entreprises, en assimilant les membres d’un groupe à un redevable unique de l’impôt sur les sociétés. L’activité d’un groupe comprenant plusieurs filiales est donc appréhendée fiscalement d’une manière analogue à celle qui aurait résulté d’une organisation reposant sur une société unique comprenant plusieurs établissements. Le régime de l’intégration fiscale, dans lequel la société mère doit détenir directement ou indirectement au moins 95 % du capital des filiales pour pouvoir les intégrer à son groupe, repose à la fois sur un mécanisme de compensation des bénéfices et des déficits individuels des membres du groupe et sur plusieurs retraitements visant à neutraliser certaines opérations intragroupe ou atténuer la charge fiscale correspondante. Le régime de l’intégration fiscale ne concerne que les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés en France. La cohérence de ce régime a récemment été mise à mal par plusieurs arrêts de la CJUE, qui a jugé comme étant contraire à la liberté d’établissement le fait de réserver la neutralisation de la quote-part de frais et charge afférente aux dividendes provenant de filiales membres du groupe, à l’exclusion des dividendes distribués par des filiales établies dans un autre État membre de l’Union européenne qui, si elles avaient été établies en France, auraient rempli les conditions pour être membres du groupe. Cette neutralisation a donc été supprimée en y substituant une quote-part de frais et charge à un taux réduit de 1 % sur les seuls dividendes intra-groupe éligibles au régime « mère-fille ». Les autres dividendes, non éligibles à ce régime, continuent en revanche d’être neutralisés lorsqu’ils sont versés entre sociétés membres du groupe. Au regard de la potentielle non compatibilité des différents mécanismes de neutralisation prévus par le régime de l’intégration fiscale avec les principes du droit communautaires, le Conseil des prélèvements obligatoires a souligné l’insécurité juridique qui en résultait pour les acteurs concernés. Si le mécanisme de compensation des bénéfices et déficits des membres du groupe fiscal ne soulève pas de critique sur le plan juridique, des doutes subsistent quant à la compatibilité des différents retraitements opérés sur le résultat d’ensemble du groupe au regard du droit de l’Union européenne ou du droit constitutionnel. Dans ce contexte, il paraît nécessaire de conduire une réflexion d’ensemble sur le devenir du régime de l’intégration fiscale de manière à réduire l’insécurité juridique perçue par les différents acteurs concernés, tant du point de vue des entreprises que des finances publiques.

Première piste de réforme : modifier le périmètre d’intégration. Cependant, celui-ci a déjà été réformé à deux reprises pour tenir compte de la jurisprudence de la CJUE concernant les contraintes pesant sur le choix du périmètre d’intégration fiscale. Tout d’abord, le refus d’intégrer fiscalement des sous-filiales françaises détenues par l’intermédiaire d’une filiale étrangère a été jugé comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’établissement (CJUE, 27 novembre 2008, Papillon), ce qui a conduit à autoriser la formation d’un groupe fiscal dans ce type de situation. Par la suite, le refus d’autoriser l’intégration de sociétés sœurs françaises détenues par une société mère établie dans un autre État membre a conduit le législateur à permettre aux sociétés sœurs filiales d’une société mère européenne de constituer entre elles un groupe intégré et former un groupe horizontal. En outre, dans la mesure où la CJUE n’a pas remis en cause le principe de non intégration des filiales étrangères (CJUE, 25 février 2010, X Holding BV), les règles applicables concernant le choix du périmètre d’intégration fiscale paraissent ne plus soulever de difficultés au regard de leur compatibilité avec le droit de l’Union européenne. Ce n’est donc pas nécessairement un axe de réforme à privilégier. Deuxième piste de réforme : baisser le seuil de détention minimal aujourd’hui fixer à 95 %. Le caractère élevé du seuil de détention à 95 % exigé pour former un groupe fiscal est parfois considéré comme une contrainte trop importante. Le Conseil des prélèvements obligatoires a, par exemple, envisagé une évolution qui pourrait consister en une diminution du seuil de détention du capital à 50 % des droits de vote et 75 % du capital. Dans le même temps, le seuil de 95 % constitue une protection offerte aux groupes, notamment en limitant les situations où les intérêts des actionnaires minoritaires pourraient se trouver lésés du fait, par exemple, des modalités de répartition de l’économie d’impôt entre les membres. Troisième axe de réforme : les retraitements intragroupe. Dans son rapport de décembre 2016 consacré à l’impôt sur les sociétés, le Conseil des prélèvements obligatoires envisageait deux scénarios d’évolution possibles consistant, d’une part, en une mise en conformité a minima de l’IS en modifiant les dispositifs qui s’écartent le plus manifestement des règles internationales ou, d’autre part, en un scénario de recentrage de l’intégration fiscale sur la compensation des pertes et profits entre les sociétés d’un même groupe.

Un tel scénario de recentrage présenterait certes des avantages en termes de sécurité juridique puisqu’il couperait court à la plupart des incertitudes juridiques pouvant peser sur les divers retraitements intragroupe. Pour autant, la logique de consolidation très aboutie qui caractérise le régime de l’intégration fiscale français est parfois considérée comme un facteur d’attractivité incontournable pour les groupes français. Dès lors, il peut aussi paraître important de maintenir tout ou partie des retraitements visant à neutraliser certaines opérations intragroupe, de manière à préserver l’attractivité du régime français d’intégration fiscale, tout en gardant à l’esprit l’objectif de sécurité juridique. Dans le cas où certains retraitements intragroupe s’avéreraient incompatibles avec le droit européen, ils pourraient alors être étendus à l’ensemble des filiales établies dans les autres États membres de l’Union européenne qui rempliraient les conditions pour être membres d’un groupe fiscal français si elles étaient établies en France. Une telle extension aurait toutefois un coût pour les finances publiques et conduirait, par voie de conséquence, à devoir les rendre moins avantageux, voire à en supprimer certains.

Réformer les règles relatives à la limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunt

En matière d’impôt sur les sociétés, il existe cinq dispositifs de limitation de déduction des charges financières, quatre dispositifs anti-abus et un mécanisme de plafonnement général. Il s’agit de la limitation des intérêts versés à des entreprises liées en cas de sous capitalisation (CGI, art. 212-II), de celle des intérêts versés à des entreprises liées en fonction d’un taux de référence ou s’il est supérieur, dans la limite du taux qu’aurait accordé une banque indépendante (CGI, art. 212-I a), de la non-déductibilité des charges financières afférentes à l’acquisition de titres de participation lorsque le pouvoir de décision sur les titres ou le contrôle de la participation ne sont pas exercés par la société acquéreuse ou par une société du même groupe établie en France ou dans l’Union européenne (CGI, art. 209-IX), et de la la non-déductibilité des charges financières versées à une société qui n’est pas assujettie à raison de ces charges financières à un impôt au moins égal à 25 % de l’impôt sur les sociétés français (CGI, art. 212-I b). Quant au mécanisme de plafonnement général, il limite à 75 % le montant déductible des charges financières nettes déductibles afférentes aux sommes laissées ou mises à disposition, lorsque ce montant est supérieur ou égal à 3 millions d’euros (CGI, art. 212 bis). La directive (UE) 2016/1164 du Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur prévoit cinq mesures issues des recommandations du projet BEPS mené par l’OCDE. L’article 4 de cette directive établit une règle de limitation des charges financières nettes à 30 % du résultat avant impôts, intérêts, provisions et amortissements lorsque ce montant excède 3 millions d’euros. La transposition de l’article 4 de la directive ATAD 1 implique en principe de revoir la législation française sur les charges financières avant le 1er janvier 2019. Les États membres ont cependant la possibilité de différer cette transposition à une date qui ne peut être postérieure au 1er janvier 2024 si les règles de limitation de la déductibilité des charges financières actuellement applicables sont considérées comme aussi efficaces que la nouvelle règle prévue par la directive. La France a demandé à bénéficier de cette possibilité, mais est dans l’attente de l’accord de la Commission européenne. Dans l’hypothèse où ce délai supplémentaire serait accordé, il demeure possible de transposer la nouvelle règle avant 2024. Une transposition avant la date butoir du 1er janvier 2024 peut être perçue comme permettant aux groupes concernés de disposer de manière anticipée d’un cadre lisible et stabilisé sur une période prolongée, afin de mieux anticiper les règles fiscales qui régiront le financement de leur développement et de leurs opérations futures.

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