Le collectif budgétaire dope les moyens d’action de Bercy en matière de contrôle fiscal

Publié le 15/03/2024
Le collectif budgétaire dope les moyens d’action de Bercy en matière de contrôle fiscal
Nuthawut/AdobeStock

Afin de mieux lutter contre la fraude et de faciliter la recherche de renseignements fiscaux, la loi de finances pour 2024 renforce les pouvoirs de l’administration fiscale.

En mai 2023, Gabriel Attal alors ministre des Comptes publics, avait annoncé donner la priorité aux contrôles fiscaux des particuliers qui doivent augmenter de 25 % d’ici 2027, avec un effort tout particulier à porter sur les plus gros patrimoines. On estime qu’il s’agit vraisemblablement des patrimoines d’environ deux millions d’euros. Pour parvenir à cet objectif, la recherche de renseignement fiscal s’avère particulièrement stratégique. La loi de finances pour 2024 (loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024) offre à cet égard de nouvelles possibilités à l’administration.

Un nouveau délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude

La mesure phare de la loi de finances pour 2024 en matière de contrôle fiscal concerne tout d’abord les professionnels de la fiscalité et leurs clients. En effet, elle met en place un nouveau délit de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale, conformément au Plan de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière publié en juin 2023. Ce délit vise les personnes physiques ou morales qui mettent à disposition de tiers des moyens, services, actes ou instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers leur permettant de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel des impôts. Grâce à ce nouveau dispositif, il sera possible de sanctionner pénalement de manière autonome les personnes physiques ou morales qui facilitent la fraude fiscale, sans qu’il soit besoin que la fraude soit caractérisée, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire que les clients aient utilisé les instruments proposés en causes ou que la fraude ait été repérée à l’occasion de contrôles fiscaux. Les poursuites peuvent être engagées directement par l’autorité judiciaire, sans dépôt préalable d’une plainte de l’administration fiscale. Dans la mesure où il s’agit d’un texte pénal, donc non rétroactif, il s’applique pour les prestations de services postérieures à la date de publication du texte de loi au Journal officiel, c’est-à-dire le 31 décembre 2023.

Des perquisitions fiscales pour lister les clients en cause

Jusqu’alors, les professionnels ne pouvaient être inquiétés que lorsqu’ils intervenaient dans la promotion de schémas frauduleux au titre de la complicité de fraude fiscale ou du blanchiment de fraude fiscale. Désormais, s’ils facilitent la fraude fiscale, ils peuvent être sanctionnés de façon autonome, sans qu’il soit nécessaire de caractériser la fraude fiscale elle-même. Ce nouveau dispositif permettra de mobiliser rapidement des moyens d’investigation judiciaire de nature à circonscrire le schéma frauduleux concerné et connaître l’ensemble des clients concernés. Il est en effet possible de recourir à l’utilisation de l’article L. 16B du LPF, qui permet d’organiser des visites domiciliaires fiscales chez un prestataire de services afin de saisir les dossiers de ses clients, lesquels peuvent être poursuivis pénalement. Si ce nouveau délit pénal vise avant tout les montages internationaux (ouverture de comptes à l’étranger, interposition d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales ou toute entité établie à l’étranger, fourniture d’une fausse identité ou de faux documents, domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger), le cinquième alinéa, laissé très large par le législateur puisqu’il vise « la réalisation de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration », inquiète davantage les professionnels du droit et du chiffre, d’autant plus que les sanctions à la clé sont très lourdes. Pour les professionnels mis en cause, le législateur a prévu trois ans d’emprisonnement et une amende de 250 000 € pour les personnes physiques. La peine d’emprisonnement peut être portée à cinq ans et l’amende à 500 000 € lorsque le délit a été commis à l’aide d’un service de communication au public en ligne. L’amende est portée au quintuple pour les personnes morales soit 1 250 000 € ou 2 500 000 € en cas d’utilisation d’un service de communication au public en ligne. La liste des peines possibles là encore est étendue : affichage et diffusion de la décision, dissolution, interdiction d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle le délit a été commis, placement sous surveillance judiciaire, fermeture de l’établissement, exclusion des marchés publics, interdiction de procéder à une offre au public de titres financiers ou à une introduction en Bourse, ou encore interdiction de percevoir des aides publiques peuvent être prononcées. Une large gamme de peines complémentaires est également mise en place.

L’exploitation des données renforce l’efficacité du contrôle fiscal

Bercy mise de plus en plus sur l’exploitation des données pour cibler et renforcer ses contrôles. Les données qu’elle collecte sont utilisées dans le cadre des contrôles sur pièces. Ces opérations de routine pour les équipes du contrôle consistent à vérifier la cohérence des déclarations souscrites par le contribuable avec les éléments de son dossier (actes notariés, informations communiquées par les employeurs, banques, …). Ces données sont également utilisées pour sélectionner les dossiers. Les croisements des différentes données que l’administration fiscale peut recueillir lui permettent de mieux cibler ces dossiers. Elle n’hésite pas pour ce faire à tabler sur le datamining, une méthode innovante de recherche de la fraude fondée sur l’analyse prédictive et la détermination d’indicateurs statistiques grâce au recours aux techniques de l’intelligence artificielle. Bercy souhaite augmenter la part du datamining dans le ciblage des contrôles fiscaux des particuliers à 50 %. Dernier axe de l’utilisation des données collectées : la massification des contrôles fiscaux. Ainsi dans le cadre de la création par Bercy de nouveau service en ligne « Gérer mes biens immobiliers » accessibles pour les contribuables depuis leur espace personnel du site impots.gouv.fr, à l’été 2023, l’ensemble des propriétaires ont été invité à renseigner sur cette plateforme une nouvelle déclaration destinée notamment à préciser l’usage de leurs biens (résidence principale ou résidence secondaire) et le montant des loyers perçus pour leurs biens mis en location. Ces données permettent à la DGFiP de déterminer très aisément l’usage qu’un contribuable fait de son bien, résidence principale ou secondaire, avec à la clé des milliers de contrôles en matière de taxe d’habitation possible. Dans un de ses derniers rapports portant sur la prise en compte de la famille dans la fiscalité, la Cour des comptes souligne les multiples perspectives de nouveaux contrôles ouvertes par l’exploitation des données par le biais des techniques de l’intelligence artificielle : réalité de la situation de parent isolé, du versement effectif d’une pension alimentaire, de la qualité d’invalide ou d’ancien combattant, etc.

Renforcer l’accès aux données des contribuables sur internet

Dans le cadre de l’article 154 de la loi de finances pour 2020, le législateur a autorisé à titre expérimental les administrations fiscale et douanière à détecter certains manquements graves par le biais de la collecte et de l’exploitation de certaines données des plateformes en ligne comme Facebook, Le Boncoin, etc. Cette expérimentation d’une durée de trois ans devait prendre fin au mois de février 2024. La loi de finances pour 2024 prolonge l’expérimentation jusqu’au lendemain de la publication du décret d’application, dans ses modalités antérieures aux modifications apportées par la loi de finances pour 2024. Après la publication du décret, l’expérimentation se poursuivra pour deux ans pour se conclure au plus tard au 31 décembre 2026. En outre, le collectif budgétaire élargit le champ d’application de cette expérimentation. Le dispositif s’appliquait déjà à certaines fraudes douanières, certaines fraudes en matière de tabac ou d’alcools mais aussi à la découverte d’une activité occulte, faisant l’objet d’une majoration des droits dus de 80 % mais aussi à des manquements délibérés, abus de droit, manœuvres frauduleuses lorsqu’ils visent à une domiciliation fictive ou artificielle à l’étranger. Ce périmètre est désormais élargi à l’abus de droit et ou les manœuvres frauduleuses qui ont conduit à une minoration ou à une dissimulation de recettes mentionnés à l’article 1729 du CGI que ces procédés aient ou non permis une domiciliation fictive à l’étranger.

La recherche de renseignements sur internet s’amplifie

Désormais, les agents de l’administration et de la douane peuvent collecter non seulement les contenus librement accessibles sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne, mais également les contenus manifestement rendus publics y compris lorsque l’accès à ces plateformes requiert une inscription à un compte. En outre, le législateur autorise désormais les agents des finances publiques ayant au moins le grade de contrôleur des finances publiques et spécialement habilités à cet effet, à réaliser sous pseudonyme et sans être pénalement responsables à prendre connaissance de toute information publiquement accessible sur les plateformes en ligne et les interfaces en ligne y compris lorsque l’accès à ces plateformes requiert une inscription à un compte. Lorsqu’ils sont affectés dans un service à compétence nationale désigné par décret, ils peuvent participer à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs des manquements. Ils peuvent extraire ou conserver les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs des manquements et tout élément de preuve obtenu dans les conditions ainsi décrites. Les actes commis par les agents de la DGFiP dans ce cadre ne pourront pas, à peine de nullité, constituer une incitation à commettre un manquement. Cette possibilité est en outre réservée à la recherche ou la constatation de manquements graves comme la dissimulation d’une activité occulte, des manquements prévus à l’article 1729 du CGI et donnant lieu à des majorations de 40 % ou 80 %, la détention de comptes, contrats et actifs à l’étranger non déclarés et l’application de la majoration de 80 % prévue dans certains cas par les dispositions relatives à la taxation sur les éléments du train de vie.

Le régime d’indemnisation des informateurs est pérennisé

La loi de finances pour 2020 a mis en place un dispositif expérimental permettant d’indemniser les informateurs de l’administration fiscale. Ces aviseurs qui signalent à l’administration fiscale certains comportements sanctionnés par des amendes ou majorations fiscales, peuvent être indemnisés lorsque le montant des droits éludés en cause est supérieur à 100 000 €. Ce dispositif a déjà été prorogé pour deux ans par la loi de finances pour 2022. Il est désormais pérennisé.

Le périmètre des perquisitions fiscales est étendu

Le droit de visite et de saisie de l’administration fiscale, prévue par l’article L. 16 B du LPF est, quant à lui, étendu aux situations où il existe une présomption qu’un contribuable souscrit des déclarations inexactes en vue de bénéficier de crédits d’impôt prévus au profit des entreprises passibles de l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices. En cas d’obstacle à l’accès aux pièces ou documents sur support informatique, à leur lecture ou à leur saisie, le contribuable s’expose à l’évaluation d’office de ses bases d’imposition et encourt également une amende égale à 50 000 € ou 5 % des droits rappelés si ce dernier montant est plus élevé. Le collectif budgétaire a étendu cette règle à la fourniture du code d’accès à des données stockées sur un support informatique distant ou à des services en ligne.

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