Le nouveau visage du mécénat

Publié le 28/02/2020

La loi de finances pour 2020 recadre le mécénat d’entreprise. Le texte précise le champ d’application du mécénat d’entreprise, réduit le taux de la réduction d’impôt à 40 % pour la fraction des dons excédant 2 M€, porte le plafond alternatif de 10 000 € à 20 000 € et redéfinit les modalités du mécénat de compétences.

Les dispositions issues de la loi du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture et de la Communication initiateur du texte ont permis au mécénat d’entreprise de prendre son essor. D’après le rapport de la Cour des comptes de novembre 2018, sur le sujet, cette réforme a contribué à multiplier par dix le nombre d’entreprises recourant à ce dispositif fiscal, lequel constitue l’un des mécanismes parmi les plus incitatifs sur le plan international. Le régime du mécénat d’entreprise comprend en effet un volet fiscal particulièrement attractif. Les magistrats de la Cour des comptes se sont montrés très critiques dans leur revue du régime de mécénat au motif que la dépense fiscale est en constante augmentation sans que l’intérêt et l’utilité du régime ne fassent l’objet d’une évaluation.

Un dispositif avantageux pour les grandes entreprises

Au fil des années, les entreprises ont su se saisir de ce dispositif. En 2005, 6 500 entreprises y ont eu recours. 12 ans, après en 2017, elles étaient 68 930 entreprises à bénéficier de ce dispositif d’exception. La dépense fiscale, qui a été multipliée par dix, passant de 90 millions d’euros en 2004 à environ 900 millions d’euros en 2017, profite essentiellement aux grandes entreprises. En 2016, 24 d’entre elles ont totalisé 64 % de la dépense fiscale. La pertinence de cette dépense fiscale ne peut être appréciée, car l’État est dans l’incapacité de quantifier l’apport de son soutien, et plus largement du mécénat des entreprises, aux différents secteurs d’activité. L’analyse, le suivi et le pilotage de cette dépense fiscale restent lacunaires. Et les dons qui déclenchent cette dépense fiscale, ne font en pratique pas l’objet de vérifications, souligne la Cour des comptes, qui s’alarme d’une « gestion trop passive de cette dépense fiscale par les services de l’État ».

Encadrement de la réduction d’impôt

Le régime de droit commun mis en place pour les entreprises correspond à une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) égale à 60 % des sommes données (CGI, art. 238 bis). Les dons effectués par les entreprises doivent être adressés à des œuvres ou des organismes d’intérêt général tel qu’une fondation ou une association, un établissement d’enseignement, une collectivité publique ou locale, etc. La loi n’impose aucun montant minimal de chiffre d’affaires. De même, aucun montant minimal n’est requis pour le don effectué par l’entreprise. En revanche, le dispositif est plafonné. En effet, les dépenses ne sont retenues que dans la limite de 10 000 € pour les versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2019 ou de 5 ‰ du chiffre d’affaires de l’entreprise donatrice lorsque ce dernier montant est plus élevé. En cas de dépassement de ce seuil ou si le résultat de l’exercice en cours est nul ou négatif, il est cependant possible de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants. La réforme ouvre le dispositif à certaines formations musicales. En effet, le dispositif du mécénat d’entreprise est élargi aux dons en faveur de Radio France affectés au financement des activités des formations musicales dont elle assure la gestion et le financement (Orchestre national de France, Orchestre philharmonique de Radio-France, Chœur et Maîtrise de Radio France). Par ailleurs, elle prend acte de la doctrine administrative prévoyant le transfert de la réduction d’impôt aux associés des sociétés de personnes (BOI-BIC-RICI-20-30-30 nos 90 à 110). À l’exception de ces deux mesures favorables, le texte consiste essentiellement en un durcissement de la fiscalité du mécénat.

Mobilisation des Pélicans

Le collectif budgétaire modifie le taux pour certains dons ainsi que le plafond alternatif de 10 000 €. Au moment du vote de la loi de finances pour 2020, dans une tribune publiée en septembre dernier une dizaine de dirigeants d’associations et de fondations investies dans le mécénat ont dénoncé le projet de baisse du taux de réduction d’impôt du mécénat des entreprises de 60 % à 40 % à partir d’un seuil de 2 millions d’euros de dons. Rappelant qu’après une décennie de croissance, le secteur a vécu, en 2018, une baisse historique de 4,2 % des dons des particuliers, précisément imputés aux réformes fiscales (transformation de l’ISF en IFI, hausse de la CSG et passage au prélèvement à la source), ils se sont inquiétés de cette nouvelle fragilisation fiscale du mécénat, qui représente un coup supplémentaire porté aux bénéficiaires des actions d’intérêt général. Les entreprises contribuent à hauteur de 3 milliards d’euros sur les 7,5 milliards d’euros du total de dons. Le projet gouvernemental a comme objectif d’économiser 80 millions d’euros en 2021 au détriment des actions d’intérêt général, souligne cette tribune publiée dans Le Parisien. La réforme devrait concerner près de 80 entreprises et 400 millions d’euros de dons aux projets d’intérêt général, soulignent les signataires. Ces 400 millions correspondent à 25 % des dons déclarés. Ils représentent 10 000 emplois dans le secteur associatif. En octobre 2019, 119 associations et fondations, signent une tribune dans Les Échos, intitulée : « Monsieur le président, la France a besoin de générosité », qui rappelle le poids du secteur de la philanthropie : 75 milliards de dons des particuliers et des entreprises. En clin d’œil au mouvement des Pigeons, les dirigeants du secteur associatif ont créé le mouvement des Pélicans, un symbole tout trouvé, cet oiseau étant le symbole de l’altruisme. Ils dénoncent un risque d’asphyxie pour le secteur déjà impacté par une baisse des subventions de 10 milliards d’euros depuis 2005 et une baisse des dons des particuliers de 210 millions d’euros en 2018.

Les dons les plus importants visés par la réforme

En dépit de cette mobilisation et de vives discussions lors de l’examen du texte en commission des finances de l’Assemblée nationale, les dispositions de l’article 50 réduisant l’avantage fiscal ont été adoptées avec une courte majorité. L’article 50 a été supprimé au Sénat. Il a été réintroduit en deuxième lecture à l’Assemblée nationale et voté tel qu’il avait été adopté en première lecture. L’article 50 a été adopté avec 41 voix contre 18. Ce texte ramène le taux de la réduction d’impôt de 60 à 40 % pour les dons dépassant 2 millions d’euros. Seule la partie du don excédant ce seuil est concernée par cette réduction de taux. Certains versements ne sont pas pris en compte pour l’application de cette réforme. Il s’agit des versements effectués au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, de ceux qui contribuent à favoriser leur logement ou qui procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite à des personnes en difficulté de soins, de meubles, de matériels et ustensiles de cuisine, de matériels et équipements conçus spécialement pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite, de fournitures scolaires, de vêtements, couvertures et duvets, de produits sanitaires, d’hygiène bucco-dentaire et corporelle, de produits de protection hygiénique féminine, de couches pour nourrissons, de produits et matériels utilisés pour l’incontinence et de produits contraceptifs. La liste de ces prestations et produits est fixée par décret. En pratique, les versements effectués au cours des exercices clos avant le 31 décembre 2020 et restant à reporter conservent le bénéfice de la réduction d’impôt au taux de 60 %. Pour France Générosités, qui représente le secteur auprès des pouvoirs publics, « ce marathon législatif entérine une modification substantielle de la philosophie de la loi Aillagon en créant une hiérarchie entre les causes et les mécènes et en apportant une complexité sur un dispositif dont la grande force résidait dans sa lisibilité et sa simplicité ».

Modification du seuil alternatif de 10 000 €

Le seuil de 10 000 € a été introduit notamment pour répondre aux revendications des acteurs du mécénat, pour qui le seuil de 5 ‰ pénalisait l’action mécénale des TPE/PME. Une société avec un chiffre d’affaires de 1 million d’euros ne pouvait ainsi donner que 5 000 euros, une entreprise avec un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros pouvant donner, quant à elle, 25 000 euros. Le plafond alternatif initialement fixé à 10 000 € est porté à 20 000 €. Les entreprises peuvent donc, au choix, appliquer le plafond de 20 000 € ou celui de 5 ‰ du chiffre d’affaires lorsque ce dernier montant est plus élevé. Les dons excédant le plafond peuvent faire l’objet d’un report en avant sur les cinq exercices suivants celui au cours duquel les versements ont été effectués, après prise en compte des versements effectués au titre de chacun de ces exercices. Si ce mécanisme de report en avant est conservé, le texte prévoit que le taux de la réduction d’impôt applicable aux dons excédentaires en report soit celui auquel ces dons ont ouvert droit, 60 % ou 40 % selon les cas.

Le nouveau visage du mécénat
Richard Villalon / AdobeStock

Le mécénat de compétence est précisé

D’après une enquête réalisée par Admical et Pro Bono Lab, les deux tiers des entreprises mécènes font du mécénat de compétence. Le mécénat de compétence fait l’objet d’un intérêt croissant de la part des entreprises et est appelé à se développer dans les années à venir. 36 % des entreprises répondantes ne pratiquant pas le mécénat de compétence, pense l’initier dans les trois prochaines années. L’article 50 encadre les conditions d’exercice du mécénat de compétences. Conformément à l’article 238 bis, 1 du CGI, les entreprises peuvent effectuer des dons en nature, qui lorsqu’ils prennent la forme d’une prestation non rémunérée, doivent être valorisés à leur coût de revient correspondant aux rémunérations et charges sociales y afférentes. Le collectif budgétaire prévoit désormais que lorsque le don en nature prend la forme d’une mise à disposition de salariés de l’entreprise, le coût de revient à retenir dans la base de calcul de la réduction d’impôt correspond, pour chaque salarié mis à disposition, à la somme de sa rémunération et des charges sociales y afférentes dans la limite de trois fois le montant du plafond mentionné à l’article L. 241-3 du Code de la sécurité sociale (soit 10 284 € mensuels pour 2020). Ces dispositions s’appliquent aux versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2020. Ainsi, ces nouvelles règles s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020 s’ils portent sur une durée de 12 mois.

Collections d’entreprises

Les entreprises qui acquièrent des œuvres originales d’artistes vivants et les inscrivent à un compte d’actif immobilisé peuvent déduire du résultat imposable de l’exercice d’acquisition et des quatre années suivantes, par fractions égales, une somme égale au prix d’acquisition, la déduction ainsi effectuée au titre de chaque exercice ne pouvant excéder la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires, minorée des versements effectués au titre du mécénat d’entreprise (CGI, art. 238 bis AB). Les œuvres originales d’artistes vivants sont en outre exclues de l’assiette de la taxe professionnelle. Pendant toute la période de déduction, les œuvres ainsi acquises doivent être exposées dans un lieu ouvert au public ou simplement aux salariés et/ou aux clients de l’entreprise, à l’exclusion des bureaux. La même mesure s’applique à l’acquisition d’instruments de musique destinés à être prêtés à titre gratuit à des interprètes professionnels, à des étudiants des conservatoires nationaux supérieurs de Paris et de Lyon et à des étudiants en IIIe cycle des autres conservatoires et écoles de musique. L’entreprise doit inscrire à un compte de réserve spéciale au passif du bilan une somme égale à la déduction opérée. Cette somme est réintégrée au résultat imposable en cas de changement d’affectation ou de cession de l’œuvre ou de l’instrument ou de prélèvement sur le compte de réserve. L’entreprise peut constituer une provision pour dépréciation lorsque la dépréciation de l’œuvre excède le montant des déductions déjà opérées. Le collectif budgétaire met fin progressivement à ce régime dérogatoire et le limite aux seules entreprises qui achètent, à compter du 1er janvier 2002 et avant le 31 décembre 2022, des œuvres originales d’artistes vivants. L’impact de cette réforme sur le marché de l’art n’a pas été documenté.

Achat de trésors nationaux

L’entreprise qui souhaite agir dans le domaine de l’art bénéficie en outre de dispositifs dédiés. Le premier d’entre eux consiste à effectuer des versements afin d’acheter un « trésor national » pour le compte de l’État, permettant de bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies (CGI, art. 238 bis OA). La notion de trésor national vise des biens culturels qui présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont en conséquence fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire. Ces dispositions ont été appliquées pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposés au Louvre. Si l’entreprise souhaite acquérir un trésor national et en rester propriétaire, la déduction d’impôt est alors limitée à 40 % des dépenses engagées (CGI, art. 238 bis O AB). Ce dernier dispositif n’a jamais été utilisé. Le collectif budgétaire y met fin. Il s’agit, ce faisant, pour le législateur de « simplifier la législation fiscale » et de supprimer un dispositif jugé aujourd’hui « inefficient » ou « sous-utilisé ».