Menace sur le régime du mécénat
Le secteur du mécénat se mobilise pour défendre le régime de faveur des entreprises qui exercent une action philanthropique. Critiqué l’an passé par la Cour des comptes, ce régime pourrait subir le coup de rabot du législateur.
Les dispositions issues de la loi du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture et de la Communication initiateur du texte, ont permis au mécénat d’entreprise de réaliser une véritable expansion. Cette réforme a « contribué à une multiplication par dix du nombre d’entreprises recourant à cet avantage fiscal », d’après le dernier rapport de la Cour des comptes sur le sujet (Le soutien public au mécénat des entreprises, nov. 2018, https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-11/20181128-rapport-soutien-public-mecenat-entreprises.pdf.). Le régime français du mécénat constitue un des dispositifs fiscaux « parmi les plus incitatifs sur le plan international », ont rappelé les magistrats financiers, saisis de ce sujet par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Le régime du mécénat d’entreprise comprend en effet un volet fiscal particulièrement attractif. Dans son rapport sur les niches fiscales de 2011, l’inspection générale des finances a d’ailleurs jugé la réduction d’impôt sur les sociétés au titre des dons aux œuvres ou organismes d’intérêt général « relativement efficiente » (Rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011). Pourtant les magistrats de la Cour des comptes se sont montrés très critiques dans leur revue du régime de mécénat au motif que la dépense fiscale est en constante augmentation sans que l’intérêt et l’utilité du régime ne fassent l’objet d’une évaluation.
Un dispositif de droit commun
Le régime de droit commun mis en place pour les entreprises correspond à une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) égale à 60 % des sommes données (CGI, art. 238 bis). Les dons effectués par les entreprises doivent être adressés à un organisme d’intérêt général tel qu’une fondation ou une association, un établissement d’enseignement, une collectivité publique ou locale, etc. La loi n’impose aucun montant minimal de chiffre d’affaires. De même, aucun montant minimal n’est requis pour le don effectué par l’entreprise. En revanche, le dispositif est plafonné. En effet, les dépenses ne sont retenues que dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. En cas de dépassement de ce seuil ou si le résultat de l’exercice en cours est nul ou négatif, il est cependant possible de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants. D’après les spécialistes du mécénat, ce seuil de 5 % pénalise l’action mécénale des TPE PME. Une société avec un chiffre d’affaires de 1 million d’euros ne peut ainsi donner que 5 000 euros, une entreprise avec un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros peut donner quant à elle 25 000 euros.
Des dispositifs spécifiques
Ce mécanisme est assorti de dispositifs spécifiques dédiés à l’action des entreprises dans le domaine de l’art et de la culture. Les entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un « trésor national » pour le compte de l’État peuvent ainsi bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies (CGI, art. 238 Bis). La notion de trésor national vise des biens culturels qui, présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont en conséquence fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire. Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposé au Louvre. Si l’entreprise souhaite acquérir un trésor national et en rester propriétaire, la réduction d’impôt est alors limitée à 40 % des dépenses engagées (art. 238 Bis – O AB du CGI), ce dernier dispositif est très peu utilisé.
La réduction d’impôt pour mécénat s’applique également aux dons des entreprises destinés à des travaux de restauration et d’accessibilité au public des monuments historiques privés. Aux termes du dispositif adopté, les dons à la Fondation du patrimoine ou à toute autre fondation ou association agréée, ouvrent droit à réduction d’impôt, pour les entreprises et les particuliers, sous réserve que le monument qui en bénéficie soit conservé par son propriétaire et ouvert au public pendant au moins dix ans.
Les entreprises qui achètent des œuvres originales d’artistes vivants peuvent également déduire dans certaines conditions, une somme égale au prix d’acquisition des œuvres concernées (CGI, art. 238 Bis AB). L’entreprise déduit les sommes investies de son résultat par fractions égales pendant cinq ans, l’exercice d’acquisition et les quatre années suivantes. L’avantage est plafonné et ne peut excéder au titre de chaque exercice la limite de 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. En contrepartie de cette déduction, l’entreprise doit présenter l’œuvre acquise au public. Cette dernière condition a été assouplie par le législateur (L. finances rectif. pour 2005, 30 déc. 2005, n° 2005-1720). Et il suffit désormais que l’œuvre soit exposée dans un lieu ouvert aux salariés et aux clients comme les salles d’accueil, de réunion, les halls, les couloirs. La même mesure s’applique à l’acquisition d’instruments de musique destinés à être prêtés à titre gratuit à des interprètes professionnels, à des étudiants des conservatoires nationaux supérieurs de Paris et de Lyon et à des étudiants en IIIe cycle des autres conservatoires et écoles de musique.
Des dispositions spécifiques ont été prises en faveur de la diffusion du spectacle vivant et des expositions d’art contemporain : elles concernent les organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée, et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ou l’organisation d’expositions d’art contemporain. Ces organismes peuvent bénéficier du mécénat d’entreprise même s’ils sont assujettis à la TVA et aux autres impôts commerciaux.
Par ailleurs, la loi de finances rectificative pour 2007 a étendu le bénéfice du mécénat d’entreprise aux sociétés de capitaux dont le capital est entièrement détenu par l’État ou un ou plusieurs établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ou l’organisation d’expositions d’art contemporain.
Des dispositifs très utilisés
Au fil des années, les entreprises ont su se saisir de ces dispositions. En 2005, 6 500 entreprises y ont eu recours. 12 ans après, en 2017, elles étaient 68 930 entreprises à bénéficier de ce dispositif d’exception. La dépense fiscale a quant à elle été multipliée par dix, souligne la Cour des comptes, passant de 90 millions d’euros en 2004 à environ 900 millions d’euros en 2017. Le dispositif profite essentiellement aux grandes entreprises. Et en 2016, 24 d’entre elles ont totalisé 64 % de la dépense fiscale. Surtout, l’efficacité du dispositif n’est pas évaluée. En effet, l’État est actuellement « dans l’incapacité de quantifier l’apport de son soutien, et plus largement du mécénat des entreprises, aux différents secteurs d’activité ». L’analyse, le suivi et le pilotage de cette dépense fiscale restent lacunaires. Les dons qui déclenchent cette dépense fiscale, ne font en pratique pas l’objet de vérifications, souligne la Cour des comptes. Au final, les Sages de la rue Cambon s’alarment d’une « gestion trop passive de cette dépense fiscale par les services de l’État ». Et au regard des fortes retombées médiatiques, la distinction entre mécénat et opérations de parrainage tend à s’estomper.
Quelles réformes ?
La loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 a apporté un certain nombre de modifications au régime du mécénat. Afin de lever les obstacles au développement du mécénat par les TPE et PME qui atteignent plus rapidement la limite de versements fixée à 5 % du chiffre d’affaires que les autres entreprises, une limite alternative en valeur absolue de 10 000 euros de versements a été créée. Afin de tenir compte des observations de la Cour des comptes et mieux encadrer le régime du mécénat, une nouvelle obligation déclarative a été mise en place. Initialement envisagée pour les structures bénéficiaires des dons ou versements d’entreprises, cette obligation est in fine à la charge des entreprises qui effectuent au cours d’un exercice plus de 10 000 euros de versements. Elles doivent déclarer à l’administration fiscale le montant et la date de ces dons et versements, l’identité des bénéficiaires ainsi que le cas échéant, la valeur des biens et services reçus, directement ou indirectement, en contrepartie. En outre le bénéfice du mécénat a été étendu aux festivals de séries.
Un coup de rabot ?
Les acteurs du secteur se sont mobilisés à l’annonce d’un projet de rabot sur un ensemble de niches fiscales réservées aux entreprises, parmi lesquelles le dispositif de mécénat a été évoqué. Dans une tribune cosignée par les représentants de ADMICAL, de l’AFF, du Centre français des fonds et fondations, de France générosités de Les entreprises pour la Cité et du Mouvement associatif se sont mobilisés pour défendre un dispositif à qui ils dénient le caractère de niche fiscale. Précisons à cet égard que lorsqu’à l’automne 2010, le gouvernement a affiché son objectif de réduire les niches fiscales, à l’aube de la préparation du projet de loi de finances pour 2011, le ministre du Budget, François Baroin, avait alors rappelé que le don constitue un lien de la politique sociale dépourvu en outre de retour sur investissement. Il avait en outre ajouté que « le don n’est pas tout à fait un élément d’une niche fiscale ». « Nous ne pouvons laisser dire que le mécénat d’entreprise est une niche fiscale. Il s’agit pour les entreprises avant tout d’une dépense volontaire et désintéressée au profit de l’intérêt général, que l’État encourage par une compensation partielle au travers d’une réduction d’impôt. À l’inverse des niches fiscales qui permettent de réduire son impôt tout en effectuant des dépenses directement utiles à l’entreprise ou au particulier », précisent quant à eux les principaux acteurs du secteur. « Le projet de réduire le soutien de l’État au mécénat, basé sur une logique purement comptable, revient à nier le caractère philanthropique de la démarche de ceux qui s’engagent. Les dons des particuliers et des entreprises représentent 7, 5 milliards d’euros. Sans les dons, il reviendra à l’État de reprendre à sa charge nombre de projets portés par les associations et fondations et auxquels contribue la générosité : servir des repas aux plus démunis, leur trouver un logement, financer les jeunes chercheurs et les projets de recherche en santé publique, accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi, aider les jeunes déscolarisés, sans formation, sans compter les projets dans le champ de la solidarité internationale, de la culture ou de l’environnement », poursuivent-ils.
Un secteur fragilisé
Les contours de ce que les acteurs du secteur n’hésitent pas à qualifier de crash philanthropique ne sont pas encore précisément connus. Certains évoquent un abaissement du plafond de déduction de 60 % jusqu’à 40 % à partir de certains niveaux d’engagement.
Certes le 6 juin dernier, lors de l’événement « Philanthro… Quoi ? » réunissant entreprises, mécènes, fondations et associations, Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, a multiplié les annonces rassurantes réaffirmant sa volonté de « libérer le plus de formes possible de dons », envisageant la création d’un label pour les plate-formes de crowdfunding dédiées à l’intérêt général ainsi que la création d’une place d’action d’éducation à la générosité. Le 11 juin dernier, dans le cadre d’un événement organisé par le Crédit coopératif, « Quel paysage associatif aujourd’hui et demain », il a rappelé que le mécénat ne pouvait être considéré comme une simple niche fiscale. Cela ne suffit pas à rassurer un secteur déjà ébranlé par la réforme de l’impôt sur le revenu et la mis en place de la retenue à la source mais sur tout le remplacement de l’ISF par l’IFI. Les réformes fiscales de 2018 ont pesé sur la générosité des Français, d’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, réalisé par Apprentis d’Auteuil. Avec le passage de l’ISF à l’IFI et la mise en place du prélèvement à la source, l’élan philanthropique, traditionnellement soutenu par une fiscalité sur mesure tend à s’essouffler. Ainsi, en 2018, Apprentis d’Auteuil a enregistré une baisse de 19 % de sa collecte auprès du grand public, une constatation loin d’être isolée. Dès l’annonce de la mise en place du prélèvement à la source, les acteurs de la philanthropie se sont inquiétés de ses conséquences sur le dispositif IR-Don et sur la collecte. Et 27 % des sondés attribuent la baisse de la collecte observée cette année à cette réforme, d’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, ce alors même que les mécanismes de la déduction d’impôts pour don ont été préservés. Si le dispositif de réduction d’impôt pour don créé dans le cadre de l’ISF a été repris pour le nouvel impôt sur la fortune immobilière, cette réforme a eu des conséquences significatives sur la générosité des donateurs. Certes, le seuil d’entrée dans l’IFI est identique à celui d’entrée dans l’ISF : 1,3 million d’euros de patrimoine net taxable, mais seuls les actifs immobiliers entrent dans ce patrimoine taxable, y compris la résidence principale, qui bénéficie, comme dans le cadre de l’ISF, d’un abattement de 30 %. Le recentrage du dispositif sur les seuls actifs immobiliers, fait mécaniquement baisser le nombre de foyers concernés par l’impôt d’environ 350 000 à 150 000, diminuant d’autant les contribuables éligibles à la réduction d’impôt pour dons. D’après la 6e édition du baromètre annuel du don ISF-IFI, 22 % des sondés attribuent la baisse de la collecte observée cette année à la réforme de l’IFI. De facto, la proportion de donateurs parmi les anciens assujettis à l’ISF a diminué : 77 % ont effectué au moins un don à une fondation ou à un organisme caritatif au cours de l’année passée, contre 82 % l’année précédente. Les donateurs anciennement assujettis à l’ISF et qui n’ont pas payé l’IFI cette année n’ont pas transféré les sommes économisées vers des dons. Ce phénomène de désaffection n’avait pas été anticipé dans ces proportions par le secteur qui, l’an passé, avait envisagé près du double de transfert des sommes économisées vers le don (21 %) d’après le baromètre Dons ISF/IFI 2018 publié en avril 2018 par Apprentis d’Auteuil.