Le rapport à l’impôt des Français
Un récent sondage de novembre 2018 analyse le rapport des Français aux impôts et au système fiscal et met en évidence une baisse du civisme fiscal et une perception négative de la politique fiscale actuellement menée. Seule la réforme du prélèvement à la source échappe aux critiques.
Une politique fiscale perçue comme inégalitaire, des montants d’impôts jugés excessifs, une érosion du consentement à l’impôt : le constat qui se dégage du nouveau sondage Ipsos pour la Fondation internationale de finances publiques et le quotidien Le Monde apparaît assez négatif (Sondage Ipsos – Le Monde, « Le rapport des Français aux impôts et au système fiscal, novembre 2018 »). Le précédent sondage datait de 2013. Ses résultats étaient déjà peu favorables. En 2018, la situation s’est aggravée.
Le consentement à l’impôt décroît
Seule une faible majorité de Français juge faire un acte citoyen en payant des impôts (54 %), un chiffre en baisse de – 3 points par rapport à la précédente édition. Ce sont les plus aisés qui ont l’impression la plus forte d’accomplir un acte de civisme fiscal (68 %), les diplômés de l’enseignement supérieur (plus de 60 %), et les habitants des villes de plus de 100 000 habitants (59 %). L’affaiblissement de consentement à l’impôt est particulièrement manifeste chez les moins de 45 ans, chez les habitants des communes de moins de 20 000 habitants, dans les catégories socio-professionnelles des employés et ouvriers et chez les contribuables non assujettis à l’impôt sur le revenu où moins d’un sondé sur deux a le sentiment d’accomplir un acte citoyen en s’acquittant de sa dette fiscale. Si on considère les réponses en fonction des appartenances politiques des sondés, le clivage est encore plus saisissant. Seul un sympathisant du Rassemblement national (RN) sur quatre adhère à la notion de civisme fiscal alors que cette notion concerne 86 % des sympathisants de La République en marche (86 %), 66 % de ceux du partis de gauche et 57 % de ceux du parti Les Républicains (LR, 57 %).
67 % des sondés jugent que le montant des différents impôts qu’ils payent (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, TVA) est excessif, 31 % jugent que le montant des impôts qu’ils acquittent est élevé, un chiffre en hausse de + 6 points par rapport à la précédente édition. Plus inquiétant encore, ils ne sont que 2 % à juger que le montant des taxes et impôts acquittés est peu élevé. Les Français estiment très majoritairement qu’ils contribuent trop au système fiscal en regard des avantages sociaux qu’ils en tirent. À la question « de manière générale, quand vous pensez aux différents impôts et taxes que vous payez (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, TVA…) et à ce dont vous pouvez bénéficier de la part de l’État (école, sécurité sociale, infrastructures, aides pour les enfants, allocations chômage…), avez-vous le sentiment que vous contribuez plus que vous ne bénéficiez du système, 74 % des sondés répondent positivement. Cette réponse atteint 81 % pour les plus aisés et 82 % pour les retraités. Seuls 21 % de la totalité des sondés ont la sensation de contribuer autant qu’ils bénéficient du système et 5 % de bénéficier plus du système que d’y contribuer.
Fonction sociale de l’impôt
L’impôt semble moins perçu comme un des fondements de la démocratie, que pensé comme le prix à acquitter pour les services rendus par l’État et les collectivités locales. Les sondés ont ainsi été invités à choisir parmi un certain nombre de raisons susceptibles de justifier un haut niveau d’imposition en France. Plusieurs réponses étaient possibles. Parmi celles-ci, on trouvait la volonté de maintenir un service public significatif dans des domaines comme l’éducation ou la santé, la nécessité de maintenir un haut niveau de protection sociale, la nécessité de redistribuer les richesses des plus riches vers les plus pauvres, la nécessité de baisser les déficits publics ou encore la nécessité d’assurer l’entretien et d’investir dans les infrastructures collectives (transports…). Sans surprise, la volonté de maintenir un service public significatif dans des domaines comme l’éducation ou la santé remporte un maximum de suffrages. Elle est citée par 37 % des sondés, juste au dessous de la volonté de maintenir un haut niveau de protection sociale (32 %). La nécessité de redistribuer les richesses des plus riches vers les plus pauvres ne convainc, quant à elle, que 23 % des sondés. Plus inquiétant, pour 27 % des sondés aucune de ces raisons ne justifie un haut niveau d’imposition, un chiffre en augmentation de deux points par rapport à la précédente édition.
Une politique fiscale inégalitaire ?
Le système fiscal actuel est perçu comme inefficace. En effet, pour huit Français sur dix, l’argent des impôts est mal utilisé (83 %). Ils sont 35 % à estimer que cet manne financière est très mal utilisée. Seuls 17 % estiment que cet argent public est bien utilisé. Conséquence logique, une large majorité d’entre eux se dit favorable à une réduction des dépenses de l’État
Si la France devait réduire sa dette et ses déficits publics, ils sont 94 % à préférer qu’elle le fasse principalement en réduisant fortement ses dépenses, notamment en matière de santé, d’éducation ou de prestations sociales, plutôt qu’en augmentant fortement les impôts notamment la TVA, la CSG ou l’impôt sur le revenu.
La politique fiscale conduite depuis 2017 est massivement perçue comme inégalitaire : seuls 16 % la perçoivent comme « juste », et respectivement 81 % et 76 % pensent qu’elle demande « plus d’efforts » aux retraités (94 %) et aux classes moyennes (84 %) qu’à l’ensemble des Français, alors que les catégories privilégiées sont considérées comme épargnées : 73 % des Français estiment que la politique fiscale du gouvernement leur demande moins d’efforts qu’à la moyenne. À tel point que 67 % des Français estiment que cette politique fiscale aggrave les inégalités, contre 54 % en 2013. Pour 36 % des sondés, « les impôts baissent pour les plus riches, mais pas pour les plus modestes ». Pour 35 % d’entre eux, « il y a trop de gens qui profitent du système, c’est décourageant pour les personnes qui font des efforts ». Enfin « cela ne sert à rien d’augmenter les impôts si on ne réduit pas les dépenses publiques », estiment 32 % des participants à ce sondage et « l’argent des impôts est mal utilisé, c’est du gaspillage », concluent 27 %. En revanche, ils ne sont que 24 % à considérer que « il y a trop de gens qui fraudent, c’est décourageant pour les personnes honnêtes ». Dans ce contexte, l’exil fiscal est approuvé par 47 % des sondés qui disent « approuver la décisions de certains Français de s’installer à l’étranger pour payer moins d’impôt ». Le sujet divise cependant, puisque 53 % d’entre eux n’approuvent pas une telle décision.
De très fortes différences dans les perceptions des différents impôts
Concernant les différents impôts, leur perception varie fortement d’un impôt à l’autre. Les niveaux d’appréciation restent assez stables par rapport à 2013, à l’exception de la taxe d’habitation : seuls 41 % la jugent « justifiée », alors qu’ils étaient 59 % il y a 5 ans. Sur un continuum allant d’un impôt jugé tout à fait justifié à une dette fiscale considérée comme absolument injustifié, les réponses varient d’un impôt à l’autre. Ainsi à l’extrémité de ce continuum, 81 % des sondés considèrent l’impôt sur la fortune immobilière comme justifié (51 % le considèrent tout à fait justifié, 30 % le considèrent plutôt justifié). À l’autre extrémité, de ce continuum, figurent les droits de succession que seuls 17 % des sondés considèrent comme justifiés. Ils ne sont que 83 %, avec une progression de 3 points depuis la dernière édition de ce sondage, à considérer que ce type d’impôt se justifie. Ainsi parmi les impôts jugés justifiés et donc appréhendés positivement on trouve l’impôt sur les sociétés (79 %), les taxes sur l’alcool et le tabac (75 %) l’impôt sur le revenu (70 %), la TVA (55 %). En revanche, les autres impôts sont majoritairement considérés comme injustifiés. À cet égard, 50 % des sondés considèrent que la taxe d’habitation est injustifiée. Ce changement d’opinion vis-à-vis de cet impôt qui était relativement bien perçu dans l’édition précédente est sans doute dû au discours des pouvoirs publics qui ont conclu à la nécessité de supprimer cet impôt. 60 % des sondés considèrent que la taxe sur les produits pétroliers est injustifiée. 63 % d’entre eux expriment la même opinion vis-à-vis de la CSG. La contribution à l’audiovisuelle est, quant à elle, considérée comme injustifiée par 70 % des sondés.
Des réformes mal comprises
Le gouvernement ne bénéficie même pas d’une image d’efficacité de sa politique fiscale : seuls 24 % pensent qu’elle est bénéfique pour la croissance et 23 % qu’elle permet de réduire les déficits et la dette. Les sondés ont également été invités à donner leur opinion sur les réformes fiscales déjà effectuées. La baisse de la taxe d’habitation et sa suppression pour 80 % des Français d’ici à 2020 est considérée comme positive par 68 % des sondés. À cet égard, une majorité relative de Français a remarqué une diminution de sa taxe d’habitation (41 %). Mais un Français sur quatre a constaté une augmentation de celle-ci. La baisse de l’impôt sur les sociétés de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022 convainc 55 % d’entre eux. En revanche, la baisse des cotisations chômage en échange d’une hausse de la CSG est considérée comme une mauvaise réforme par plus d’un sondé sur deux. Et 65 % des répondants estiment que la suppression de l’impôt sur la fortune et son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) constitue une mauvaise réforme. Le gouvernement a baissé, depuis janvier 2018, les taxes sur les revenus du capital (suppression de l’impôt sur la fortune, flat tax sur les revenus du capital). Les sondés s’y disent majoritairement défavorables (72 %). L’accélération de la hausse des prix du diesel, décidée afin de lutter contre le réchauffement climatique, est largement rejetée (73 % des sondés).
Le prélèvement à la source appréhendé positivement
En revanche, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu annoncé, à partir de janvier 2019, est globalement bien accepté. 68 % des sondés s’y disent favorables malgré des craintes liées à une augmentation cachée des impôts à l’occasion du changement de système (37 %) et aux complications causées lors des changements de situation familiale (mariage, enfant…) ou pour les crédits d’impôts (36 %) assez prégnantes. En revanche, les problème de confidentialité posé par le fait que les employeurs pourront connaître le taux d’imposition de leurs salariés (25 %) ou la possibilité que le système informatique national subisse un incident ou soit piraté (25 %) ou encore les complications que ce système va apporter pour les entreprises (19 %) n’inquiètent que modérément les sondés. En outre, un certain nombre d’aspects positifs du prélèvement à la source sont recensés par les sondés. 37 % d’entre eux estiment que cette réforme permettra aux contribuables d’avoir une perception plus précise de leur budget. 29 % d’entre eux pensent, quant à eux, qu’elle permettra à l’État de mieux lutter contre la fraude fiscale, 21 % qu’elle va simplifier le système de collecte de l’impôt pour l’État et lui faire faire des économies. Enfin, ils sont 21 % à estimer que le passage au prélèvement à la source va simplifier les démarches administratives pour les contribuables. En revanche, seuls 13 % d’entre eux voient dans cette réforme une opportunité pour que soient mieux prises en compte leurs changements de situation professionnelle (changement d’emploi, chômage, retraite) ou de revenu, alors même qu’il s’agit d’un des principaux motifs du passage au prélèvement à la source. En revanche, les sondés sont très partagés sur un projet éventuel d’extension de l’impôt sur le revenu aux foyers disposant de revenus modestes, même pour un impôt symbolique (45 % pour et 55 % contre). Si la taxation des transactions financières à l’échelle internationale apparaît comme un projet souhaitable pour une large majorité de sondés, ils sont également nombreux à ne pas juger ce projet réalisable (52 %). Enfin, les sondés se disent largement favorables au renforcement de la législation fiscale européenne, notamment afin de mieux imposer les GAFA, ces grandes entreprises du numérique (Google, Facebook, Amazon, etc.) qui échappent actuellement en partie à l’impôt en Europe en profitant des failles de la législation fiscale.