Legs : vers une réforme de la réserve héréditaire ?

Publié le 21/01/2020

Le gouvernement réfléchit à l’opportunité d’une réforme des règles du droit de succession pour favoriser les legs aux associations et aux fondations.

Convient-il de supprimer la réserve héréditaire afin d’augmenter les ressources du secteur associatif en facilitant les legs ? Le legs est un outil patrimonial grâce auquel un testateur peut prendre des dispositions pour transmettre tout ou partie de son patrimoine à l’organisme sans but lucratif (OSBL) de son choix. Transmettre son patrimoine à un OSBL permet d’avoir la certitude de donner du sens à sa succession. Bien qu’il n’existe pas aujourd’hui de recensement centralisé des legs, l’Association française des fundraisers (AFF) estime que le montant total annuel des legs au profit d’organismes d’utilité publique atteindrait 1 milliard d’euros. À titre de comparaison, le montant des dons ouvrant droit à des réductions fiscales s’élève environ à 2,4 milliards d’euros par an. Pour ces organismes, c’est un enjeu important car les legs portent souvent sur des sommes plus élevées qu’un don classique et leur permettent de sécuriser des financements pour organiser des actions dans la durée. D’après le  baromètre français sur le legs réalisé par Gustave Roussy en collaboration avec l’IFOP, la possibilité de faire un legs à un organisme d’utilité publique (institut, association, fondation, etc.) ou encore de le faire désigner comme bénéficiaire d’une assurance est connue par le grand public (86 %). Près d’1 senior sur 7 se dit prêt à faire un legs à une organisation caritative. Ce chiffre monte à 22 % quand les seniors n’ont pas de descendance, soit près d’un quart des interviewés. L’absence de descendants est mise en avant pour 30 % des répondants. 24 % souhaitent partager leur patrimoine entre leur famille et un organisme d’utilité publique.

Un contexte de réduction des dons

En 2018, en raison de deux grandes réformes fiscales : les réformes de l’ISF et de l’IFI combinées au passage du prélèvement à la source pour l’impôt sur le revenu, la collecte au profit du secteur associatif a fléchi. Les associations et fondations ont enregistré une réduction d’environ 4 % des dons. Le projet gouvernemental visant à encadrer davantage le dispositif du mécénat devrait contribuer encore à appauvrir le secteur associatif. La loi de finances pour 2020 prévoit qu’une quote-part des dons sera éligible à une réduction d’impôt de 40 % au lieu de 60 % comme c’est le cas actuellement. Cette réforme ne s’appliquera qu’aux plus grandes entreprises puisque le taux de la réduction d’impôt n’est abaissé que pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros. Cette mesure ne s’appliquera pas pour les entreprises effectuant des versements au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, contribuent à favoriser le logement des personnes en difficulté, ou qui fournissent gratuitement certains soins à des personnes en difficulté. Cette nouvelle réglementation est en partie inspirée par un rapport de la Cour des comptes de novembre 2018 qui a souligné la forte augmentation du coût pour l’État de ce dispositif fiscal. La dépense fiscale a quant à elle été multipliée par dix, a souligné la Cour des comptes, passant de 90 millions d’euros en 2004 à environ 900 millions d’euros en 2017.

Le dispositif profite essentiellement aux grandes entreprises. Et en 2016, 24 d’entre elles ont totalisé 64 % de la dépense fiscale. Surtout, l’efficacité du dispositif n’est pas évaluée. En effet, l’État est actuellement « dans l’incapacité de quantifier l’apport de son soutien, et plus largement du mécénat des entreprises, aux différents secteurs d’activité ». L’analyse, le suivi et le pilotage de cette dépense fiscale restent lacunaires. Les dons qui déclenchent cette dépense fiscale, ne font en pratique pas l’objet de vérifications, souligne la Cour des comptes. Au final, les sages de la rue de Montpensier s’alarment d’une « gestion trop passive de cette dépense fiscale par les services de l’État ». Le gouvernement est donc à la recherche de pistes de relais de financement du secteur associatif. C’est dans ce contexte que le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Gabriel Attal a lancé une mission parlementaire ayant pour objectif de déterminer l’opportunité d’une modification des règles de la réserve héréditaire pour favoriser les legs aux associations et aux fondations.

Le mécanisme du legs

Legs : vers une réforme de la réserve héréditaire ?
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La rédaction d’un testament est obligatoire car il s’agit du seul écrit reconnu et valable pour effectuer un legs. Ce testament peut être olographe ou notarié. S’il est olographe, il est rédigé à la main, daté avec l’indication du jour, mois et année, et signé à la main. Pour sécuriser ce document, il est préconisé de le faire relire au service legs du ou des OBSL choisis afin de s’assurer de sa validité. Une clause de legs mal rédigée peut être annulée. Pour être efficace, la clause de legs doit comporter plusieurs précisions. La désignation de l’OBSL gratifié doit être précise et comporter son nom et adresse. Dans le cas où plusieurs donataires coexistent, la répartition des différents legs doit être précisée. Afin d’éviter tout risque de perte ou de destruction, il est conseillé de confier ce testament à un notaire, qui le fera enregistrer au Fichier central des dispositions de dernières volontés (FCDDV). Autre solution, opter pour un testament notarié, rédigé par notaire conformément aux volontés du testateur, en présence de deux témoins ou d’un deuxième notaire. Cet acte est conservé au sein de l’étude notariale. Ces deux types de testament sont modifiables à tout moment. Portefeuilles de valeurs mobilières, assurance-vie, sommes d’argent, meubles, bijoux, œuvres d’art, maison, appartement, terrain, tous les biens peuvent être légués par legs. Il convient cependant de vérifier la capacité du futur bénéficiaire du ou des legs envisagés. En effet, certains OSBL n’ont pas la capacité de recevoir un legs. C’est le cas par exemple des fondations d’entreprises, qui ne peuvent recevoir de legs. Il en est de même pour les associations déclarées en préfecture depuis une durée de moins de trois ans ou pour les associations qui ne possèdent pas la qualité d’association d’intérêt général.

Il est possible de prévoir un certain nombre de charges qui pèseront sur l’OSBL, comme l’entretien d’une sépulture, par exemple. Le testateur peut également demander dans son testament que l’actif transmis soit utilisé par son bénéficiaire pour une affectation précise. Le respect de ces charges constitue une obligation corrélée à l’acceptation du legs. Ce type de clause ne permet donc pas à l’OSBL d’affecter librement le patrimoine transmis aux programmes de son choix. Il convient donc que le testateur veille à ne pas rédiger une charge qui limitera la liberté d’action et l’application de celle-ci réduisant ainsi l’efficacité de l’action de l’OSBL choisi. Si la charge ne peut être exécutée, l’OSBL peut renoncer au legs. L’OSBL peut également exercer une action judiciaire en interprétation du testament afin d’adapter la charge prévue ou une action judiciaire en révision de la charge si elle est impossible à réaliser. Si les charges ne sont pas exécutées, le legs peut également être révoqué. Cette action peut être exercée par les héritiers du testateur pendant une période de 30 ans à partir du jour où ils ont connaissance de l’inexécution de la charge.

Une fiscalité ad hoc

Les legs transmis aux OBSL jouissent d’une fiscalité spécifique. Les legs de droit commun sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit au taux de 35 % pour la fraction de leur part nette taxable inférieure à 24 430 € et au taux de 45 % pour la fraction au-delà de 24 430 €. Seuls les legs effectués à des OSBL entrant dans les critères de l’article 795 du CGI sont exonérés de ces droits de mutation à titre gratuit : établissements publics charitables, mutuelles, sociétés reconnues d’utilité publique ou assimilées dont les ressources sont affectées à des œuvres d’assistance, à la défense de l’environnement naturel ou à la protection des animaux, associations ou fondations reconnues d’utilité publique ou assimilées dont les ressources sont exclusivement affectées à des œuvres scientifiques culturelles ou artistiques à caractère désintéressé, aux associations d’enseignement supérieur reconnues d’utilité publique, sociétés d’éducation populaire gratuite reconnues d’utilité publique et subventionnées par l’État, associations cultuelles, unions d’associations cultuelles et aux congrégations autorisées, associations affectant les dons à l’édification de monuments aux morts ou encore fonds de dotation. Les legs effectués à des OSBL présentant les mêmes caractéristiques et situés dans l’Espace économique européen peuvent également bénéficier de cette exonération fiscale.

Une liberté encadrée

Chacun peut librement disposer de son patrimoine que ce soit sous forme de donation ou par voie successorale. Cette liberté est toutefois limitée par la règle de la réserve héréditaire qui a pour objectif principal de protéger les héritiers. Les descendants et le conjoint constituent le groupe protégé d’héritiers réservataires. La règle de la réserve héréditaire est d’ordre public. Les personnes qui désirent effectuer un legs à un OSBL doivent donc calculer le montant qui peut être librement légué correspondant à la quotité disponible. En l’absence d’enfant et de conjoint, cette quotité disponible correspond à l’intégralité du patrimoine. En présence d’enfants ou de conjoints, le donateur doit calculer la réserve héréditaire. Il s’agit de la fraction du patrimoine dont il ne peut disposer car elle doit obligatoirement revenir à ses descendants ou au conjoint survivant en l’absence de descendants. Si le donateur a un enfant, la réserve héréditaire représente 50 % du patrimoine et la quotité disponible, l’autre moitié. Si le donateur a 2 enfants, la réserve héréditaire représente 66,67 % du patrimoine et la quotité disponible, les 33,33 % restants. Si le donateur a 3 enfants, la réserve héréditaire atteint 75 % du patrimonie et la quotité disponible est limitée à 25 %. En l’absence d’enfant mais en présence d’un conjoint la réserve héréditaire est égale à 25 % du patrimoine. La quotité disponible est égale à 75 % du patrimoine.

Sécuriser les legs

La mission parlementaire est pilotée par les députées Naïma Moutchou (LREM) et Sarah El Hairi (Modem). Il s’agit dans l’esprit du secrétaire d’État en charge des Associations, Gabriel Attal, de favoriser une philanthropie à la française, sur le modèle du giving pledge américain, en développant une nouvelle culture du don et en assouplissant les règles du droit successoral. La réserve héréditaire garantit aux héritiers directs une part importante d’une succession. Certains legs ou donations effectués à des associations ou fondations ont été contestés par les héritiers au moment de la succession et les OSBL concernés ont dû restituer les fonds litigieux après plusieurs années. La réserve héréditaire peut donc constituer un frein à la générosité des Français en constituant un facteur d’insécurité juridique pour les legs effectués au profit des acteurs du secteur associatif. Rappelons que ce principe souffre déjà quelques assouplissements. Aux termes de l’alinéa 1er de l’article L. 132-13 du Code des assurances, le capital ou la rente versés au titre d’une assurance-vie souscrite au bénéfice d’un tiers ne sont soumis ni aux règles du rapport à la succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. En effet, ils ne figurent pas dans les biens existant au décès de l’assuré dans la mesure où le bénéficiaire les acquiert directement contre l’assureur en vertu d’un droit propre né de la stipulation pour autrui sur laquelle repose l’opération d’assurance. Ainsi, l’assurance-vie n’est pas prise en compte lors du calcul de la quotité disponible et de la réserve héréditaire. Le mécanisme de l’assurance-vie est donc souvent perçu comme un moyen de contourner les règles de la quotité disponible et de la réserve héréditaire. En outre, le mécanisme de la renonciation anticipée à l’action en réduction prévu à l’article 928 du Code civil permet de sécuriser un don ou un legs. En effet cette procédure a pour objectif que les héritiers réservataires consentent à ce que la part qui leur est normalement dévolue soit réduite sans pouvoir être remise en cause par une action en réduction ultérieure. Un acte authentique signé par deux notaires matérialise le consentement des héritiers.

Des pistes de réforme

Il ne s’agit cependant pas pour le secrétaire d’État en charge des Associations de supprimer le principe de la réserve héréditaire. De son côté, le président du Conseil supérieur du notariat, Jean-Francois Humbert, s’est dit favorable à l’introduction de plus de souplesse dans les règles de la réserve héréditaire, notamment pour les patrimoines les plus importants. Le don effectué à une œuvre d’intérêt général pourrait ne pas être rapportable à la succession. Ce sujet pourrait être clarifié par le biais d’un pacte successoral, a indiqué le président du Conseil supérieur du notariat, lors d’un événement dédié à la philanthropie, en présence de Gabriel Attal, et de la députée Naïma Moutchou.

Rappelons dans les pistes de réforme possibles, qu’un rapport de l’Inspection générale des finances, en avril 2017, avait préconisé la mise en place d’un mécanisme de plafonnement de la réserve héréditaire à 30 % des biens du disposant afin de faciliter la transmission du patrimoine des entrepreneurs et dirigeants aux fondations actionnaires. Quelles que soient les orientations des conclusions de la mission parlementaire, les députés en charge de celle-ci ont affirmé que la réserve héréditaire n’était pas menacée en tant que telle et qu’il était nécessaire de garantir une transmission d’une part de patrimoine suffisante aux héritiers et de s’assurer que la cause bénéficiaire choisie par l’auteur du legs relève bien de l’intérêt général.

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