L’éligibilité d’un produit à la défiscalisation peut être une qualité substantielle de la vente

Publié le 09/02/2023
TVA, taxes
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Le caractère défiscalisant d’un investissement peut constituer expressément ou tacitement un élément substantiel de l’opération et ainsi encourir la nullité si l’avantage fiscal n’a pas été obtenu par l’investisseur. Telle est la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 juin 2022, laquelle, de façon tout à fait innovante, ordonne une mesure de médiation judiciaire pour clore le contentieux.

Les acquéreurs d’un produit de défiscalisation peuvent agir en nullité du contrat de vente de l’investissement s’ils n’obtiennent pas l’avantage fiscal auquel ils pensaient avoir droit. C’est sur le fondement de l’erreur sur une qualité substantielle de l’objet du contrat que la Cour de cassation vient de rendre un arrêt important (Cass. com., 22 juin 2022, n° 20-11846) publié au Bulletin.

Les quirats, cadeaux fiscaux de la loi Pons de 1986

Dans cette affaire, un couple d’investisseurs avait souscrit auprès de la société Réalisations économiques et industrielles (REI) des parts de copropriétés de navire, le Green Bird construit par la société Océa.

Cet investissement en quirats était assorti des avantages fiscaux prévus par la loi Pons du 11 juillet 1986 (article 9 de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986 de finances rectificative pour 1986) relative à la défiscalisation des parts de copropriété de navires dans les DOM TOM. Ce dispositif offrait aux investisseurs fortement imposés une économie d’impôt importante puisque ceux-ci pouvaient déduire de leurs revenus imposables l’intégralité du montant de la souscription.

La loi posait comme condition au bénéfice de l’avantage fiscal l’existence du navire à la date du 31 décembre 1995 ou au paiement d’au moins 50 % du prix à cette date. Or le navire a été livré dans le courant de l’année 1997 ; dès lors, il ne remplissait pas les conditions d’éligibilité au dispositif fiscal de faveur. L’administration fiscale avait donc refusé aux investisseurs le bénéfice de la réduction d’impôt qu’ils escomptaient de cette opération. Les investisseurs avaient alors assigné les sociétés Océa, REI et Financière du cèdre l’intermédiaire qui a commercialisé le produit, en annulation de la vente et en indemnisation.

Ils demandaient la restitution des sommes investies, soit 160 071,46 euros, les frais exposés pour la souscription du prêt bancaire d’un montant de 21 215,44 euros, une somme de 151 208 euros au titre des redressements fiscaux, ainsi qu’un préjudice moral de 15 000 euros.

Faute de preuve, le dol n’est pas constitué

L’affaire a été jugée plusieurs fois. Elle l’a tout d’abord été sur le terrain de la réticence dolosive. Sur ce fondement, la victime doit démontrer qu’une information déterminante de son consentement ne lui a pas été délivrée, sciemment, dans l’optique d’obtenir son consentement. Les juges du fond avaient donné raison aux investisseurs et la Cour de cassation avait cassé cette décision au motif que l’intention de tromper du vendeur n’avait pas été rapportée (Cass. com., 14 avril 2015, n° 13-26524 et 14-10951).

L’erreur sur la substance de la chose, cause de nullité de la convention

L’affaire s’est à nouveau présentée devant la Cour de cassation. La cour d’appel de renvoi a rejeté les demandes en annulation de l’acte d’acquisition des quirats et de condamnation des sociétés en restitution des sommes investies (CA Paris, 15 mai 2018). Selon elle, le dol n’était pas constitué au motif que les éléments relatifs à la déduction fiscale figurent sur la plaquette de présentation, dont il n’est pas établi qu’elle émane de la société Réalisations économiques et industrielles, mais comporte uniquement le logo de la société Financière du cèdre, de sorte que l’existence de manœuvres dolosives dont la société Réalisations économiques et industrielles serait l’auteur ou aurait participé n’est pas caractérisée.

Les investisseurs demandaient l’annulation de l’acte d’acquisition des quirats, soutenant qu’ils ne se seraient pas engagés dans l’investissement litigieux, et que, s’ils avaient été mieux informés, ils auraient pu se tourner vers un autre investissement qui leur aurait procuré un avantage fiscal au moins équivalent. La question qui était posée à la Cour de cassation est de savoir si le caractère défiscalisant de l’investissement en quirat peut constituer un élément déterminant dudit investissement, question à laquelle elle répond par l’affirmative.

Elle rappelle que l’erreur qui porte sur la substance même de la chose qui est l’objet de la convention peut entraîner la nullité de celle-ci. Elle se fonde sur les articles 1108, 1109 et 1110 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016. Surtout elle indique que « les parties peuvent convenir, expressément ou tacitement, que le fait que le bien, objet d’une vente, remplisse les conditions d’éligibilité à un dispositif de défiscalisation constitue une qualité substantielle de ce bien ».

Elle relève ensuite que la cour d’appel de renvoi (CA Paris, 15 mai 2018) n’a pas recherché « si l’éligibilité des quirats au dispositif de défiscalisation en cause ne constituait pas une qualité substantielle du bien vendu, convenue par les parties et en considération de laquelle elles avaient contracté, de sorte que, dès lors qu’il aurait été exclu, avant même la conclusion du contrat, que ce bien permît d’obtenir l’avantage fiscal escompté, le consentement (des acquéreurs) aurait été donné par erreur », privant sa décision de base légale.

L’avantage fiscal, un élément déterminant du consentement ?

Ainsi, l’aspect défiscalisant peut, et seulement peut, être déterminant dans un investissement. Faute de caractère automatique, la partie qui réclame la nullité d’une opération si l’avantage fiscal n’est finalement pas obtenu doit apporter la preuve que les conditions d’éligibilité au dispositif défiscalisant entrent bien dans le champ du contrat.

Elle pourra s’appuyer sur des documents de toute nature pour démontrer qu’elle recherchait une économie fiscale à travers l’opération, qu’elle ne l’aurait pas conclu si l’avantage fiscal était incertain voire inexistant que et, enfin, que le vendeur ne pouvait l’ignorer. Sur ce point, la Cour de cassation admet que ce puisse être le cas de façon tacite ou expresse.

Une première en cassation : renvoi vers une médiation judiciaire

Par ailleurs, plutôt que de renvoyer l’affaire à une nouvelle juridiction de renvoi, la Cour de cassation ordonne de façon inédite une mesure de méditation judiciaire sur le fondement de l’article 131-1 du Code de procédure civile pour clore ce long contentieux et trancher les points en suspens, la Cour de cassation ne s’étant pas prononcée sur la nullité de l’acte.

La cour applique pour la première fois la possibilité d’ordonner une médiation judiciaire en cassation, en application du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 (JORF n°0048 du 26 février 2022) favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire (JORF n°0298 du 23 décembre 2021).

L’article 1, 2° du décret prévoit que « le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, ordonner une médiation. Le médiateur désigné par le juge a pour mission d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ».

La médiation est ordonnée pour une durée de 3 mois, renouvelable, à compter de la première réunion entre le médiateur et les parties. Dans l’attente de la médiation, la Cour de cassation sursoit à statuer quant à un éventuel renvoi.

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