Les aviseurs fiscaux : quel bilan ?

Publié le 16/09/2019

Le dispositif institué pour les aviseurs fiscaux fait ses preuves. Les premiers résultats très positifs démontrent qu’ils sécurisent l’utilisation par l’administration fiscale des informations transmises et qu’ils constituent un outil efficace dans la lutte contre la fraude fiscale internationale.

Une mission d’information parlementaire dresse un bilan positif du dispositif institué à l’article 109 de la loi de finances pour 2017 (A.N. Rapport d’information n°1991, du 5 juin 2019). La réforme des aviseurs fiscaux répond à un réel besoin en matière de lutte contre les pratiques de grande fraude fiscale internationale. Il sécurise l’utilisation par l’administration fiscale des informations transmises par les aviseurs, et permet leur indemnisation, dans des cas précisément énumérés par la loi. Il entoure la procédure de garanties satisfaisantes, même si celles-ci peuvent être encore renforcées. Les premiers résultats du dispositif témoignent de son positionnement équilibré et de sa réelle efficacité, puisque les premiers redressements ont permis la mise en recouvrement de plus de 90 millions d’euros de droits et pénalités, et ont conduit à l’indemnisation de deux aviseurs.

Avant 2014

Jusqu’en 2004, l’indemnisation des aviseurs était possible, dans des conditions opaques, et sur des bases juridiques peu assurées. En France, l’indemnisation des aviseurs de l’administration fiscale a longtemps existé, mais reposait sur des bases juridiques peu assurées. La pratique était alors encadrée par des circulaires confidentielles et avait été partiellement codifiée. Selon l’administration fiscale, ce dispositif avait alors pour objectif de « rechercher de petites fraudes, avec à l’origine une forte déconcentration dans le traitement des données ». Le dispositif était principalement mis en œuvre par les directions déconcentrées, et les montants versés étaient faibles : entre 1990 et 2002, 419 affaires ont été menées, conduisant à une indemnisation totale de 13,5 millions de francs, soit un peu plus de 2 millions d’euros. Les résultats étaient donc limités, et selon l’administration, les dossiers apportés ne présentaient « pas d’enjeux fiscaux importants ». Ce dispositif avait finalement été supprimé en 2004.

La mise en place du nouveau dispositif

Créée par voie d’amendement, à la suite de révélations concernant plusieurs affaires de fraude fiscale internationale de grande ampleur, la possibilité pour l’administration fiscale d’indemniser les informateurs en matière de fiscalité internationale, ou « aviseurs fiscaux », a été inscrite à l’article 109 de la loi de finances pour 2017. Le texte de loi permet d’indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement à certaines règles et obligations relatives à la fiscalité internationale. Il peut notamment s’agir de cas de fausse domiciliation fiscale d’une entreprise exploitée en France, de transfert de bénéfices à l’étranger, de non-déclaration de comptes bancaires ou de contrats d’assurance ouverts ou souscrits à l’étranger ou de trusts. Les mesures d’application ont été prises entre la fin du mois d’avril et le début du mois de mai de l’année 2017. Initialement prévu à titre expérimental pour une durée de deux ans, ce dispositif a ensuite été pérennisé en 2018 à l’occasion de l’examen de la loi relative à la lutte contre la fraude. La possibilité d’indemniser les aviseurs fiscaux ne constitue pas une spécificité française. L’étude comparative réalisée par la mission parlementaire relève en effet que plusieurs grandes démocraties ont mis en place des dispositifs d’essence comparable, parfois très anciens. En France, l’indemnisation des sources est d’ailleurs pratiquée au sein d’autres administrations (douane, police, gendarmerie), essentiellement à des fins de lutte contre le banditisme, les trafics, la criminalité sérielle et les homicides, et de lutte contre le terrorisme. Le terme d’ « aviseur », provient ainsi d’une coutume de l’administration des douanes.

Protection de l’anonymat

Pour la mission parlementaire, le dispositif entoure la procédure suivie pour le recueil des informations et l’indemnisation des aviseurs de garanties satisfaisantes, mais qui restent à parfaire, en matière de protection de l’anonymat notamment. Le dispositif institué organise la protection juridique des agents de l’administration fiscale, en particulier lorsque ceux-ci ont recours à des documents obtenus irrégulièrement. L’administration peut « recevoir et exploiter » les renseignements transmis dans le cadre des procédures de contrôle de l’impôt, même si leur origine est irrégulière, à l’exception des visites domiciliaires, mentionnées à l’article L. 16 B du LPF. Cette rédaction règle la question de la réception et de l’exploitation par l’administration fiscale des documents détenus par les aviseurs, mais pas celle de leur opposabilité au contribuable rectifié. L’administration fiscale doit protéger l’anonymat des aviseurs, et ne peut donc pas révéler au contribuable concerné que les éléments utilisés dans le cadre d’une procédure de rectification lui ont été transmis par des tiers les ayant potentiellement obtenus irrégulièrement. L’articulation de ce dispositif avec le droit d’information et de communication du contribuable rectifié portant sur les informations transmises à l’administration par des tiers pose donc une difficulté, du moins en théorie. En pratique, cependant, les documents transmis par l’aviseur ne sont jamais utilisés directement pour asseoir une rectification. Ils ne sont pas communiqués au contribuable et ne lui sont pas opposés. L’administration conduit une enquête, qui a pour but de s’assurer, d’une part, de la fiabilité de l’information et, d’autre part, de valider et recouper par d’autres moyens les informations de l’aviseur. In fine, les preuves conduisant à la rectification du contribuable sont donc obtenues régulièrement par l’administration fiscale.

La mise en pratique du dispositif

Les informations adressées à l’administration fiscale doivent l’être « de façon spontanée et non anonyme ». Les aviseurs se font connaître de manière volontaire, et l’administration fiscale a clairement rappelé à la mission parlementaire qu’elle ne « démarchait » aucun aviseur, précise le rapport. Les informations communiquées à l’administration fiscale doivent porter sur « des faits graves et décrits avec précision ». Surtout, elles doivent être « susceptibles de justifier un début d’enquête permettant de les corroborer et de vérifier la véracité des faits allégués, afin d’identifier le procédé de fraude et les enjeux fiscaux ». Préalablement à toute décision d’attribution, les agents de la DNEF sont chargés de l’examen de « l’intérêt fiscal pour l’État des informations communiquées » et du « rôle précis de l’aviseur ». Enfin, les pièces permettant « d’établir l’identité de l’aviseur, la date, le montant et les modalités de versement de l’indemnité » sont conservées « de façon confidentielle » par la DNEF. L’anonymat de ce dernier est préservé. « Le dispositif finalement mis en œuvre est rigoureux et structuré, et permet un examen approfondi et de qualité des dossiers, tout en assurant la confidentialité », conclut la mission d’information. Les éléments transmis par l’administration fiscale à la mission lui permettent d’affirmer que le dispositif mis en œuvre est rigoureux et structuré. En effet, la procédure de contact est exclusivement mise en œuvre par le Service des investigations élargies (SIE) de la Direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF), service à compétence nationale de la DGFiP. Et elle permet un examen approfondi et de qualité des dossiers, tout en assurant la confidentialité, le nombre de services impliqués étant limité.

Des résultats prometteurs

Les résultats témoignent d’une montée en puissance progressive du dispositif. Deux aviseurs ont été indemnisés à ce jour. Le nombre de demandes d’indemnisation formulées par de potentiels aviseurs a augmenté entre 2017 et 2019, mais reste raisonnable. Ainsi, du début de l’année 2017 au 1er mars 2019, 92 demandes d’indemnisation ont été formulées : 27 demandes ont été faites en 2017, et 56 en 2018, soit un doublement du flux entrant, mais cette augmentation doit être nuancée par le fait que le dispositif est pleinement entré en application lors de la signature des textes réglementaires d’application, soit à partir de la fin du mois d’avril 2017. Sur les deux premiers mois de l’année 2019, les résultats sont en ligne avec ceux constatés l’année précédente. Sur ces 92 demandes, 50 ont été classées sans suite (22 en 2017, 26 et 2018, 2 en 2019). 29 enquêtes sont toujours en cours (22 depuis 2018, 7 en 2019). 13 dossiers ont conduit à un contrôle fiscal (5 en 2017, 8 en 2018). Seuls 2 dossiers ont été indemnisés à ce jour. Si, sur la période considérée, plus de la moitié (54 %) des demandes a été classée sans suite, les résultats présentés suggèrent néanmoins une amélioration de la qualité des demandes transmises à l’administration, puisque le taux de classement sans suite semble reculer au fil du temps : de 81 % en 2017 (22 sur 27) à 46 % en 2018, et 22 % sur les deux premiers mois de l’année 2019. Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’une demande soit classée sans suite. La demande peut ne pas entrer pas dans le champ d’application du texte, car l’information concerne un cas de fraude au niveau national, ou une imposition non mentionnée à l’article 109 de la LFI pour 2017, en matière de TVA, notamment. La demande peut entrer dans le champ de d’application du texte, mais l’information être trop imprécise ou trop peu argumentée sur le mécanisme de fraude utilisé, porter sur des faits prescrits, ou encore être déjà connue du SIE. Enfin, le comportement de la source peut conduire le SIE à écarter la demande. Lorsque celle-ci apparaît trop peu fiable, voire dangereuse, le SIE peut considérer que les informations transmises pourraient faire peser un risque sur les agents du service ainsi que sur l’institution. Ainsi, concernant les demandes classées sans suite en 2017 et 2018, 40 % portaient sur des fraudes à l’IS et à la TVA (12 sur l’IS, 7 sur la TVA). 1/3 portait sur des informations trop imprécises ou anciennes. Et 15 % portaient sur des informations déjà connues par l’administration. Enfin, 29 enquêtes sont toujours en cours, soit 32 % des demandes transmises, et 13 dossiers sur 92, soit 14 % des demandes transmises, ont donné lieu à l’ouverture d’un contrôle fiscal : le filtrage et l’enrichissement des informations reçues par les services fiscaux restent donc nécessaires.

Le calcul de l’indemnité

L’indemnité, qui fait l’objet d’un examen au cas par cas, est versée lorsque les droits ont été notifiés ou recouvrés. La décision est prise par le Directeur général des finances publiques, qui en fixe le montant, sur proposition du directeur de la DNEF, par référence aux montants estimés des impôts éludés. L’indemnité n’est pas forfaitaire, mais constitue une forme d’indexation sur les résultats. Son montant reste fixé de manière discrétionnaire et ménage une certaine souplesse pour l’administration fiscale. Le montant de l’indemnisation est principalement fondé sur le rendement fiscal des informations mais également sur les risques encourus par l’aviseur. La nature et la complexité de l’affaire, le degré de précision des informations transmises, ainsi que la capacité de l’aviseur à fournir des informations sur le long terme sont également pris en compte. Aux termes d’une circulaire interne, le montant de l’indemnité est plafonné à hauteur d’un million d’euros par affaire. La mission considère que « l’existence d’un tel plafond n’est pas souhaitable. En effet, le Parlement a souhaité mettre en place un dispositif puissant, apte à recueillir des éléments sur des fraudes à fort enjeu financier. En limitant l’indemnité à un million d’euros, l’administration limite fortement l’attractivité du dispositif, et ainsi l’importance des informations apportées et des dossiers traités ».

Des montants très significatifs

Les montants recouvrés sont très significatifs et s’établissent à un montant supérieur à 90 millions à la fin de l’année 2018. Les informations transmises ont donné lieu à des opérations de contrôle fiscal importantes. Le rapport d’application du dispositif au titre de l’année 2018, relève ainsi que plusieurs demandes ont porté sur des opérations importantes, donnant lieu à la mise en place de plans nationaux de contrôle visant plus de 500 personnes physiques. À ce jour, les deux procédures ouvertes ont déjà permis de recouvrer plus de 90 millions d’€. Les deux affaires ayant donné lieu à indemnisation étaient relatives à des affaires de dissimulation d’actifs et de non-déclaration de comptes ouverts à l’étranger. L’essentiel des droits et pénalités concerne l’impôt sur le revenu, pour 95 millions d’euros, et, de manière très marginale, l’impôt sur les sociétés. Le premier dossier, indemnisé en 2017, continue à produire des effets. À la fin du mois de décembre 2018, les contrôles fiscaux engagés depuis l’obtention des informations ont permis la mise en recouvrement d’un montant en droits et pénalités égal à 91 265 240 € auxquels s’ajoutent 3 960 257 € notifiés et non encore mis en recouvrement. Au 15 mars 2019, ces opérations avaient rapporté 95 908 108 €. Concernant le second dossier, un aviseur s’est rapproché de la DNEF en mai 2017 afin de lui proposer une liste de personnes physiques disposant d’actifs à l’étranger, notamment sur des comptes anonymes numérotés. Un contrôle fiscal a permis de mettre en évidence la fraude dénoncée et au 6 décembre 2018, le montant des droits et pénalités notifiés était de 203 468 € pour les seules années 2008 à 2013. Le contrôle se poursuit pour les années 2014 à 2016, le dossier devant être terminé en 2019. L’administration relève qu’en fonction de la pertinence des éléments d’explication qui seront apportés par le contribuable sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs détenus à l’étranger, une taxation complémentaire de plus de 600 000 € pourrait intervenir, soit un peu plus de 800 000 € pour l’ensemble du dossier. L’administration souligne que du fait de la fiabilité de la source et la qualité potentielle de ses informations et des résultats déjà enregistrés, une première indemnité a été approuvée par le Directeur général des finances publiques le 3 janvier 2019, et a été versée. En outre, un versement complémentaire pourrait intervenir à l’issue de l’exploitation fiscale du dossier, toujours en cours de contrôle. Enfin, même si, en pratique, aucune indemnisation n’a été versée en 2018, l’année 2019 devrait donner lieu à plusieurs versements, compte tenu de la nature et des potentialités des dossiers en cours d’exploitation par l’administration fiscale.

Renforcer le dispositif ?

La mission relève qu’après deux ans d’application, le dispositif institué constitue un outil complémentaire et nécessaire à la disposition de l’administration fiscale dans sa mission de lutte contre les pratiques de grande fraude fiscale internationale. La mission formule six propositions pour en améliorer l’efficacité, sans porter atteinte à son esprit. La rapporteur, Christine Pires Beaune, s’interroge enfin sur l’opportunité de mettre en place un véritable service de renseignement au sein de l’administration fiscale, permettant le travail en commun de l’ensemble des services, en centrale et en réseau.

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