Les donations réalisées par les personnes morales sont assujetties aux droits de mutation à titre gratuit
Pour la première fois, la Cour de cassation a affirmé que la vente à un prix minoré par une société anonyme d’un élément d’actif à son dirigeant peut caractériser une libéralité ouvrant droit à paiement de droits de donation, au taux de 60 % applicable entre personnes non parentes.
Dans un arrêt du 7 mai dernier, la Cour de cassation (Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-15621), a jugé pour la première fois que la vente à un prix minoré d’une société à son dirigeant peut constituer une libéralité soumise aux droits de mutations à titre gratuit au taux de 60 % applicable entre personnes non parentes. Elle écarte ici la qualification de revenus distribués retenue par la jurisprudence administrative.
Avantage occulte ou donation indirecte ?
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, une société anonyme (SA) H. avait cédé, par un acte authentique du 7 janvier 2003, une parcelle de terrain au président de son conseil d’administration Monsieur V. L’administration fiscale avait constaté qu’au moment de cette acquisition, un immeuble à usage d’habitation, construit par une société civile immobilière (SCI) administrée par la société H., était implanté sur le terrain vendu. Elle avait alors considéré que la vente du terrain nu constituait une donation indirecte de la valeur de l’immeuble construit. Prenant en compte l’évaluation de celle-ci faite par la commission départementale de conciliation, l’administration fiscale avait rehaussé la valeur du bien et notifié à Monsieur V. une proposition de rectification au titre des droits de mutation à titre gratuit et de la publicité foncière. Monsieur V. avait réglé ces droits et avait vu sa réclamation rejetée. Il avait alors assigné le directeur régional des finances publiques des Pays de la Loire en restitution du surplus d’imposition versé.
La cour d’appel de Rennes (31 janvier 2017) avait constaté que Monsieur V. avait acquis de la SA H. une parcelle de terrain décrite dans l’acte de vente comme une parcelle à bâtir moyennant la somme de 2 744 euros, alors que cette parcelle était déjà construite au jour de la vente. Elle en avait conclu que la société venderesse s’était irrévocablement dépouillée au profit de son dirigeant de la différence de valeur entre la valeur vénale du bien cédé et le prix de cession.
Elle avait jugé l’administration fondée à assujettir Monsieur. V. à des rappels de droits d’enregistrement prévus aux articles 677, 750 ter et 777 du Code général des impôts (CGI) et de la taxe de publicité foncière, au motif que la vente à prix minorée ainsi intervenue entre la société H. et son dirigeant s’analysait comme une libéralité.
Dans son pourvoi devant la Cour de cassation, Monsieur V. faisait valoir que la vente d’un bien immobilier à un prix minoré par rapport à sa valeur vénale réelle contractée par une société commerciale au profit de son dirigeant était constitutive, à hauteur de la minoration de prix constatée par le service, d’un avantage occulte au sens de l’article 111 c) du Code général des impôts (CGI). Cet avantage était taxable, en tant que revenu distribué, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers par application de l’article 158 du CGI.
De plus, Monsieur V. soutenait que cette qualification de revenu distribué, avec le régime d’imposition qui lui est associé, est exclusive de l’application de l’article 677 du CGI, qui ne soumet à des droits de mutation les transmissions entre vifs de propriété ou d’usufruit de biens meubles ou immeubles que « sous réserve de dispositions particulières ».
Pour écarter l’application des droits de mutation à titre gratuit, Monsieur V. reprenait la thèse selon laquelle les articles 677 et 750 ter du CGI, qui soumettent les transmissions d’immeubles à titre gratuit intervenues entre vifs à des droits de mutation dont les taux, fixés par l’article 777 du même code, dépendent du lien de parenté entre le donateur et le donataire, ne sont applicables qu’aux libéralités consenties par des personnes physiques.
Capacité à disposer des personnes morales
La Cour de cassation a rejeté son pourvoi. Elle a tout d’abord écarté comme irrecevable, faute d’avoir été présenté devant les juges du fond, l’argument selon lequel Monsieur V. avait soutenu que « la donation litigieuse constituait en réalité un avantage occulte ».
Surtout, la Cour de cassation a rappelé la capacité de disposer ou de recevoir par donation entre vifs ou par testament des personnes morales, posée par l’article 902 du Code civil : « toutes personnes, sauf celles déclarées incapables, peuvent disposer par donation entre vifs ou par testament ». Elle a indiqué que cette capacité « n’exclut pas les personnes morales ».
Par conséquent « l’article 777 du Code général des impôts, qui vise notamment les dons et legs faits aux établissements publics ou d’utilité publique pour les soumettre aux tarifs fixés pour les successions entre frères et sœurs et qui prévoit un taux pour les personnes non-parentes, est également applicable par nature aux personnes morales ». Ce taux s’élève à 60 %.
Intention libérale
Si l’apport de l’arrêt réside dans son affirmation à reconnaître la possibilité d’une libéralité réalisée par une personne morale à une personne physique, et le régime fiscal correspondant, la Cour de cassation écarte aussi l’imposition des revenus distribués. La frontière entre les deux qualifications repose sur l’intention libérale, présente dans le premier cas, tandis que la notion de rémunérations occultes sous entend une contrepartie, donc une absence d’intention libérale.
Rappelons que les rémunérations et avantages occultes sont soumis à l’impôt sur le revenu sur 125 % de leur montant. La majoration de 25 % prévue par l’article 158 7 2° du CGI, vient en effet d’être validée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 28 juin 2019, n° 2019-793 QPC).
S’appliquent également les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %, et les pénalités de 40 % pour manquement délibéré.
Abus de droit rampant ?
Selon le cabinet Bornhauser, le contribuable aurait pu invoquer l’argument de l’abus de droit rampant. « Dans ce type d’opérations où il n’y a guère de place pour l’erreur d’appréciation, puisque l’acquéreur contrôle le cédant (ou l’inverse pour les cessions à prix majoré), on se trouve généralement en présence d’une donation déguisée en vente. Or la différence entre donation indirecte et donation déguisée est procédurale mais fondamentale : la seconde relevant de l’abus de droit, l’administration doit, sous peine de nullité de la procédure, octroyer au contribuable les garanties dont cette procédure particulière est assortie ».
Il semble donc qu’en présence d’une opération de ce type réalisée au détriment d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés, l’administration ait le choix des armes entre :
– la taxation de la libéralité aux DMTG à 60 % (majorés de 80 % de pénalités, soit un taux réel de 108 % de l’insuffisance de prix) ;
– l’imposition des revenus distribués taxés à l’impôt sur le revenu sur 125 %, soit un taux pour la dernière tranche du barème de 56,25 %, majoré des prélèvements sociaux (17,2 %) et, éventuellement, de la Contribution sur les Hauts Revenus (3 puis 4 %), l’ensemble étant assorti de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré (soit un total de 108,43 % d’un revenu égal à l’insuffisance de prix).
– « En revanche, toute velléité d’appliquer à la fois les DMTG et les revenus distribués se heurterait, selon nous, au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, un même contribuable ne pouvant subir au titre de la même opération une imposition totale excédant 100 % du revenu réalisé et/ou la libéralité perçue hors pénalités ».