Les NFT dans le secteur de l’art

Publié le 12/10/2023
Les NFT dans le secteur de l’art
ArtemisDiana/AdobeStock

Les non fungible token (NFT) ont désormais toute leur place sur le marché de l’art. Pourtant la définition de ces actifs reste difficile. Un rapport de l’IGF prend position sur le sujet et précise que les NFT ne peuvent pas être considérés comme des œuvres d’art.

Les NFT, pour non fungible token, sont des fichiers de données non fongible situés sur une chaîne de blocs (« blockchain ») et destinés à garantir l’authenticité d’une œuvre originale ou de sa reproduction, voire à constituer l’œuvre originale elle-même. Ils peuvent en effet porter sur une création numérique unique ou constituer une version «tokenisée » de créations préexistantes, quel qu’en soit le genre. Les NTF dans le secteur de l’art posent un certain nombre d’interrogations spécifiques, notamment au regard de la titularité et de la gestion des droits patrimoniaux attachés à une œuvre d’art ou encore du régime fiscal qui leur est applicable. Pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) « Ce phénomène suscite des interrogations importantes et nouvelles sur le plan juridique relevant à la fois de la propriété intellectuelle et de la technologie utilisée, portant sur l’originalité de l’œuvre ainsi « tokenisée », sur la titularité des droits et leur mode de gestion, l’application de cette technologie aux collections publiques qui se caractérisent par leur inaliénabilité, le cadre financier à préconiser pour encadrer/limiter les risques de spéculation et de blanchiment d’argent, la fiscalité applicable, ou encore la traçabilité de l’œuvre et l’applicabilité de la rémunération pour copie privée ou du droit de suite, le recours à un système de smart contract sur la « blockchain » pour gérer le droit de suite et les conditions de revente, le risque de confusion possible dans le temps avec des œuvres originales ou de réutilisation frauduleuse ».

Des actifs en perte de vitesse ?

Ces actifs ont fait une percée fulgurante dans le marché de l’art en 2021 avec la vente en mars par Christie’s de l’œuvre d’un graphiste américain connu sous le nom de Beeple qui s’est s’envolée à 69 millions de dollars. Cette vente a fait de Beeple le troisième artiste vivant le plus cher après Jeff Koons et David Hockney. Un phénomène loin d’être isolé, puisqu’en 2021, cette même maison de vente a vendu plus de 150 millions de dollars d’œuvres NFT. Les NFT ont dopé la croissance du marché en 2021. En 2022, on a enregistré encore quelque vente record même si les prix ont été plus modestes, comme en témoigne la vente de Living Architecture Casa Batilo (2022) de Refik Anadol, chez Christie’s à New York le 10 mai 2022, pour 1,38 million de dollars. Le dernier rapport Hiscox sur le marché de l’art consacré à l’année 2022 pointe le déclin de ces actifs. « Si le marché d’art, comme le montre notre rapport, se digitalise, l’art lui-même n’a pas encore pris à ce jour le tournant du digital. Passé l’engouement initial, notre étude confirme que les NFT n’ont finalement pas convaincu la plupart des collectionneurs et amateurs d’art, repoussant à plus tard une véritable révolution artistique liée au numérique », souligne Julie Hugues, responsable marchés art et clientèle privée d’Hiscox France. Parmi les acheteurs d’œuvres d’art, seul un collectionneur sur cinq (20 %) a déclaré avoir acheté un NFT, un ratio pratiquement inchangé par rapport à l’an dernier (19 %). Ils sont en revanche nettement moins nombreux (12 %) à envisager d’acheter un NFT au cours des 12 prochains mois. L’an passé, ils étaient plus du double à envisager un tel achat (27 %).

Des œuvres d’art ?

Les actifs numériques dans le domaine de l’art posent plusieurs interrogations spécifiques, au sujet de la titularité et de la gestion des droits patrimoniaux attachés à une œuvre d’art comme du régime fiscal qui leur est applicable. En France, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a commencé une mission destinée à identifier, analyser et évaluer ce phénomène dans ses divers aspects juridiques sous le prisme de la propriété littéraire et artistique et dans l’intérêt des différents acteurs concernés et de son marché. Cette mission confiée à l’avocat Me Jean Martin, et à Pauline Hot, auditrice au Conseil d’État, a permis en juillet dernier de clarifier quelque peu la nature des NFT. Ce rapport a rappelé que le Code de la propriété intellectuelle, suppose, pour qu’un travail soit qualifié d’œuvre de l’esprit, que soient remplies des conditions d’originalité et de mise en forme. « Or le NFT ne constitue que la réunion, dans la mémoire d’un programme, de l’identifiant d’un détenteur, d’un lien vers l’emplacement du fichier numérique constituant l’œuvre, et d’éventuelles métadonnées. Le jeton doit donc être distingué de l’œuvre vers laquelle il pointe. Il ne peut pas davantage être qualifié de support de l’œuvre », souligne un rapport récent de l’Inspection générale des finances (IGF) (IGF, Les jetons à vocation commerciale dans l’économie française : cas d’usage et enjeux juridiques, mai 2023). En effet, le support constitue un bien matériel soumis aux règles de propriété du Code civil et dissocié de l’œuvre de l’esprit incorporelle soumise aux règles de la propriété intellectuelle. Dans ces conditions, conclut l’IGF, « les droits portés par des « NFT artistiques » sont limités et doivent inciter à la prudence. Contrairement à certaines présentations rencontrées au sein de la communauté des utilisateurs de NFT, ces derniers ne peuvent pas, en droit français, constituer des œuvres  d’art ».

Quelles garanties d’authenticité ?

En outre, le NFT ne saurait être regardé comme un certificat d’authenticité ou d’unicité de l’œuvre sur laquelle il porte. « En effet, souligne le rapport, aucun élément n’assure, en cas d’émission d’un NFT  « sur » une œuvre d’art, que seul un NFT a été émis, que l’œuvre vers laquelle il pointe est authentique et que le fichier ne sera pas altéré ultérieurement ». Les propriétés d’infalsifiabilité et d’unicité du jeton sur la blockchain ne doivent pas laisser penser que le sous-jacent en bénéficie aussi. « En effet, les caractéristiques techniques des blockchains apportent des garanties en matière d’intégrité des données mais pas de fiabilité de la signature puisqu’aucune vérification de l’identité des utilisateurs n’est opérée », souligne le rapport. Dès lors, les NFT ne peuvent qu’être « nus » ou constituer des titres de droits portant sur certains droits d’auteur afférents aux œuvres vers lesquelles ils pointent.

Une cession de droits patrimoniaux ?

Les droits d’auteur sont composés de droits moraux inaliénables et éternels et de droits patrimoniaux (droits d’exploitation, comme la reproduction ou la représentation), qui sont cessibles et ont une durée limitée. Ces droits peuvent être cédés par contrat écrit.

« Si les inscriptions sur blockchain peuvent être considérées comme des écrits parfaits, alors les NFT pourraient valoir contrat de cession de droits patrimoniaux sur des œuvres d’art », avance l’IGF. Cependant, selon la majorité de la doctrine, la loi doit être interprétée comme interdisant la sous-cession de droits (par  exemple, via une revente sur le marché secondaire du jeton) sans le consentement de l’auteur, par application extensive d’une prescription relative aux contrats d’édition.  « Pour permettre au NFT d’être le siège de droits portant sur une œuvre d’art, l’auteur de cette dernière devrait donc, dès l’émission du jeton, prévoir un contrat de licence stipulant qu’il concède un ensemble de droits d’exploitation à toute personne, sous réserve que le concessionnaire détienne le NFT au moment où a lieu cette exploitation. Cette possibilité doit toutefois être expertisée par le ministère de la Culture et validée par le juge », conclut le rapport. Pour l’IGF l’étendue des droits qui pourraient être ainsi associés à un NFT reste toutefois limitée. En effet, de nombreuses œuvres relèvent du domaine public ou ne sont pas protégées par le CPI. Même pour celles qui sont protégées, une telle licence ne procurerait que peu d’avantages supplémentaires, si ce n’est, le cas échéant, un droit d’exploitation publique ou commerciale, par rapport au droit à la copie privée.

Quelles conséquences fiscales ?

La qualification juridique des jetons emporte des conséquences fiscales. « L’analyse des jetons porteurs de droits comme des objets accessoires par rapport à leur sous-jacent, considéré comme objet principal, devrait entraîner un traitement fiscal des NFT qui reste à clarifier, notamment en matière de fiscalité des particuliers », recommande l’IGF. En effet, une incertitude demeure sur le régime fiscal appliqué aux plus-values réalisées par des particuliers sur la revente de NFT. Ces actifs rentrent dans la catégorie des actifs numériques, définis à l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier (CMF). L’article 150 VH bis du Code général des impôts (CGI) prévoit un régime dédié aux plus-values réalisées sur les actifs numériques cédés contre un autre bien ou contre de la monnaie, qui sont imposées au prélèvement forfaitaire unique de 30 % (12,8 % d’impôt sur le revenu – IR – et 17,2 % de prélèvements sociaux). Les ventes d’actifs numériques contre actifs numériques sont en revanche exonérées. Ainsi, souligne le rapport « l’application de l’article 150 VH bis porte sur tous les actifs numériques de manière uniforme et est indifférente à leur sous-jacent (sauf si le jeton est assimilé à un instrument financier, auquel cas il est fiscalisé comme tel). Dans les faits, il est très rare que les plus-values sur NFT (comme sur l’ensemble des actifs numériques) soient imposées, puisque les NFT sont quasiment toujours échangés contre des cryptomonnaies, donc contre d’autres actifs numériques. L’imposition n’a lieu que lorsque les sommes détenues sous forme d’actifs numériques sont converties en monnaie ».

Les NFT ne peuvent pas être considérés comme des œuvres d’art en matière fiscale

La mission recommande de considérer les jetons utilitaires comme des objets accessoires en matière fiscale, donc d’appliquer aux cessions de tels jetons le régime fiscal de l’objet principal. Les ventes de ces jetons contre un autre actif numérique ne rentreraient donc pas dans le champ de l’article 150 VH bis  du CGI. Leur acquisition à l’aide d’un actif numérique emporterait imposition des plus-values réalisées sur ce dernier. Les plus-values de cession sur ces jetons seraient alors assujetties au régime des biens meubles, corporels ou incorporels : imposition des plus-values à hauteur du 36,2 % (19 % d’IR et 17,2 % de prélèvements sociaux), avec un abattement de 5 % sur la plus-value brute pour chaque année de détention du bien, au-delà de la deuxième année.

Pour l’IGF les NFT ne peuvent pas être considérés comme des œuvres d’art en matière fiscale. En effet, précise le rapport, la doctrine fiscale précise que les objets d’art visés par le CGI doivent être produits à douze exemplaires maximum, ce qui n’est pas possible pour un fichier numérique. Dès lors, le régime des objets précieux et œuvres d’art ne peut pas être applicable et seul le régime des biens meubles semble envisageable pour les cessions de NFT avec sous-jacent. Le périmètre d’application de l’article 150 VH bis du CGI ainsi redéfini pourrait être précisé par l’administration fiscale dans la doctrine afin d’en informer les acteurs économiques concernés. L’opportunité de modifier le droit doit être expertisée, selon la mission, dans la mesure où les NFT demeurent techniquement des actifs numériques pour lesquels un régime spécial a été conçu et dont il pourrait être difficile de s’extraire sans clarification du droit. Les définitions sur lesquelles repose ce régime fiscal ayant vocation à être amendées lors de l’entrée en vigueur du règlement européen MiCA, celle-ci pourrait constituer une bonne occasion pour procéder à la clarification du régime fiscal, conclut le rapport.

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