Les QPC fiscales de l’automne (2/2)

Publié le 24/01/2018

Dans le lot de questions prioritaires de constitutionnalité de cet automne 2017, le Conseil constitutionnel poursuit son œuvre de régulation de l’article 123 bis du Code général des impôts, invalidant le caractère irréfragable de la présomption de fraude et d’évasion fiscales. En revanche, il valide le dispositif excluant, du bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu, la plus-value de cession de la résidence principale lorsque son titulaire transfère son domicile hors de France.

Pour la troisième fois de l’année 2017, le Conseil constitutionnel a eu à se pencher sur le dispositif de l’article 123 bis du Code général des impôts (CGI).

I – Article 123 bis du CGI

La décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., 6 oct. 2017, n° 2017-659 QPC) vise à imposer les personnes physiques à raison des revenus réalisés par l’intermédiaires de structures établies hors de France, dont les actifs sont principalement financiers, et soumises à un régime fiscal privilégié. Selon des règles dérogatoires au droit commun, les bénéfices et les revenus positifs de cette entité sont réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient dans cette entité. Ils sont alors imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (RCM).

Dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1998, l’article 123 bis 1 d du CGI prévoit que « lorsqu’une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable, établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu’elle détient directement ou indirectement lorsque l’actif ou les biens de la personne morale, de l’organisme, de la fiducie ou de l’institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. Pour l’application du premier alinéa, le caractère privilégié d’un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l’article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l’article 206 ».

Une présomption irréfragable de fraude et d’évasion fiscales

Le couple N. de contribuables a fait l’objet d’une procédure d’examen de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2009 et 2010 et d’un contrôle sur pièces de certaines de leurs déclarations de revenus et d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). À cette occasion, l’administration fiscale a constaté qu’une société enregistrée au Panama dont Monsieur N. avait déclaré être le détenteur économique, avait perçu la somme de 2,25 millions d’euros. Estimant que cette opération entrait dans le champ d’application de l’article 123 bis du CGI, l’administration fiscale avait taxé cette somme en tant que revenus de capitaux mobiliers entre les mains de Monsieur N.

Suite au rejet de leurs réclamations, les requérants ont saisi le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté leur demande. Devant la cour administrative d’appel de Marseille, ils ont soulevé une QPC relative à la conformité de l’article 123 bis du CGI, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1998.

Le premier grief des requérants portait sur le caractère irréfragable de la présomption de fraude et d’évasion fiscales. En effet, le 1 de l’article 123 bis du CGI ne permet pas au contribuable de prouver que l’interposition d’une entité juridique établie hors de France n’a pas pour seul objet l’appréhension de bénéfices soumis à l’étranger à un régime fiscal privilégié. Ils estimaient cette présomption irréfragable de fraude et d’évasion fiscales contraire aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Sur ce point, le Conseil constitutionnel a reconnu que le texte porte atteinte aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Si le but de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales de personnes physiques revêt bien un objectif de valeur constitutionnelle, « les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d’être exempté de l’application de l’article 123 bis, que la participation qu’il détient dans l’entité établie ou constituée hors de France n’a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d’évasion fiscales, la localisation de revenus à l’étranger ». Sous cette réserve, le Conseil en conclu à la constitutionnalité du dispositif

Les tempérances du dispositif apportées par les Sages

Cette disposition s’inscrit dans la droite ligne de sa précédente décision relative à l’article 123 bis du CGI. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel avait statué en mars dernier (Cons. const., 1er mars 2017, n° 2016-614 QPC) sur l’article 123 bis du CGI, dans sa rédaction postérieure. Il s’était prononcé indirectement sur la présomption instaurée par ce 1, en statuant sur certaines dispositions du 4 bis, introduit par la loi de finances rectificative pour 2009 (L. 30 déc. 2009, n° 2009-1674). Le 4 bis instaurait une clause de sauvegarde permettant d’échapper à l’application du 1 en cas d’absence de montage artificiel visant à contourner la législation fiscale française au seul cas où l’entité est localisée dans un État de l’Union européenne. « Or, aucune autre disposition législative ne permet au contribuable d’être exempté de cette application en prouvant que la localisation de l’entité dans un autre État ou territoire n’a pas pour objet ou pour effet un tel contournement. Ce faisant, le législateur a porté une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques », avait estimé le Conseil constitutionnel.

Cette décision avait également conduit à tempérer le caractère forfaitaire de l’imposition lorsque l’entité juridique est localisée soit dans un État ou territoire n’ayant pas conclu de convention d’assistance administrative avec la France en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, soit dans un État ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI. Ce montant forfaitaire est calculé en multipliant l’actif net ou la valeur nette des biens de l’entité, dans la proportion des actions, parts ou droits financiers détenus par le contribuable, par un taux d’intérêt fixé par voie réglementaire, en l’occurrence le taux admissible au titre des intérêts de comptes courants d’associés. Le Conseil constitutionnel avait jugé que cette disposition ne portait pas une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant les charges publiques, sous réserve que le contribuable puisse apporter la preuve « que le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité juridique concernée est inférieur au revenu défini forfaitairement en application de ces dispositions ».

Enfin, en juillet 2017 (Cons. const. 7 juil. 2017, n° 2017-643/650 QPC), le Conseil constitutionnel avait confirmé, que la majoration de 25 %, qui s’applique aux revenus imposables en France sur le fondement de l’article 123 bis, du CGI n’est pas applicable pour la détermination de l’assiette des prélèvements sociaux additionnels.

Non résidents : plus-values de cession du logement et absence d’exonération après expatriation

Dans une décision d’octobre dernier (Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-668 QPC), le Conseil constitutionnel s’est penché sur la conformité avec la Constitution de la disposition qui réserve l’exonération de la plus-value de cession de sa résidence principale aux résidents français à la date de la cession. Le Conseil constitutionnel a donc été interrogé sur le point de savoir si cette distinction, selon que le cédant transfère son domicile en France ou hors de France, ne serait pas discriminatoire.

Selon l’article 244 bis A paragraphe I du CGI, les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l’article 4 B du CGI sont soumises, sous réserve des conventions internationales, à un prélèvement spécifique sur les plus-values résultant, notamment, de la cession de biens immobiliers. Le 1° du paragraphe II de cet article prévoit que, lorsque ce prélèvement est dû par des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu, les plus-values sont déterminées selon les modalités définies : « Au I et aux 2° à 9° du II de l’article 150 U, aux II et III de l’article 150 UB et aux articles 150 V à 150 VD ».

Le 2° du paragraphe II de l’article 150 U du CGI exonère d’impôt sur le revenu les plus-values réalisées : « Au titre de la cession d’un logement situé en France lorsque le cédant est une personne physique, non résidente de France, ressortissante d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et à la condition qu’il ait été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession. Cette exonération s’applique, dans la limite d’une résidence par contribuable et de 150 000 euros de plus-value nette imposable, aux cessions réalisées, au plus tard le 31 décembre de la cinquième année suivant celle du transfert par le cédant de son domicile fiscal hors de France. L’exonération peut s’appliquer sans condition de délai, lorsque le cédant a la libre disposition du bien au moins depuis le 1er janvier de l’année précédant celle de la cession.

Une discrimination pour les expatriés ?

En février 2014, un couple de propriétaire avait vendu, leur appartement situé en France qui constituait leur résidence principale jusqu’à leur installation à l’étranger, intervenue à la fin de l’année 2013. Il avait acquitté le prélèvement forfaitaire et les prélèvements sociaux, puis demandé la restitution de ces sommes, en réclamant le bénéfice de l’exonération prévue au 1° du paragraphe II de l’article 150 U du CGI. Il faisait valoir que le bien vendu constituait leur résidence principale jusqu’à leur départ à l’étranger.

Devant le tribunal administratif, les requérants ont soulevé une QPC contre les dispositions combinées du 1° du paragraphe II de l’article 244 bis A et du 2° du paragraphe II de l’article 150 U du CGI, estimant ces dispositions contraires aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Ces textes ne permettent pas l’application de l’exonération d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, de la plus-value de cession au titre de la résidence principale lorsque la cession est réalisée par un contribuable devenu non résident fiscal à la date de cession du bien.

Les requérants soutiennent que ces dispositions instituent une différence de traitement entre des contribuables cédant leur résidence principale selon qu’ils sont ou non toujours fiscalement domiciliés en France à la date de la cession.

Dans le premier cas, la plus-value de cession serait intégralement exonérée d’impôt sur le revenu, alors que dans le second cas, elle le serait seulement à hauteur de 150 000 euros par personne. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Validation lacunaire

Le Conseil constitutionnel a validé la conformité des textes à la Constitution : « Cette différence de traitement étant en rapport avec l’objet de la loi et fondée sur des critères objectifs et rationnels, les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques doivent être écartés. Partant de ce constat, le deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l’article 150 U du CGI, est déclaré conforme à la Constitution ».

Les commentateurs n’ont pas manqué de relever l’argumentation lacunaire des Sages. En effet, ni la décision, ni son commentaire ne précise « l’objet de la loi » évoqué. L’exonération est-elle destinée à favoriser l’acquisition par le cédant de sa nouvelle résidence principale ? Est-il « objectif et rationnel » de réserver cet avantage aux contribuables qui réinvestissent en France ?

Par ailleurs, il est reproché à cette décision de ne pas faire de distinction selon que les contribuables s’expatrient dans un État membre de l’Union européenne, ou dans un tiers. À cet égard, la conformité de cette discrimination au regard de la liberté de circulation des personnes est questionnée.

LPA 24 Jan. 2018, n° 132n3, p.4

Référence : LPA 24 Jan. 2018, n° 132n3, p.4

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