Les recommandations de la Cour des comptes sur l’IFI

Publié le 23/02/2024
Les recommandations de la Cour des comptes sur l’IFI
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Dans son rapport sur l’impôt sur la fortune immobilière, la juridiction financière recommande de mieux accompagner les redevables dans leurs démarches d’évaluation de leurs biens immobiliers et de paiement de l’IFI et de renforcer les dispositifs de contrôle et de détection de la fraude.

Six ans après la création de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) par le budget 2018 (L. n° 2017-1837, 30 déc. 2017 de finances pour 2018, art. 31), la Cour des comptes publie ses observations définitives sur l’impôt patrimonial (Cour des comptes, Observations définitives, L’impôt sur la fortune immobilière, exercices 2018-2022, S2023-1489). La juridiction recommande de mieux accompagner les redevables dans leurs démarches, de simplifier certains aspects de la gestion de l’IFI et de renforcer les dispositifs de contrôle et de détection de la fraude.

Un impôt sur l’immobilier concentré

Pour mémoire, l’IFI impose les biens immobiliers détenus directement ou indirectement par les personnes physiques lorsque leur valeur nette dépasse 1,3 million d’euros. Toutefois, le calcul commence à 800 000 €. Les personnes qui ont leur foyer fiscal en France sont imposées sur une base mondiale, c’est-à-dire sur les biens situés en France et à l’étranger. Les personnes qui ont leur foyer fiscal à l’étranger ne sont imposées que sur leurs immeubles situés en France.

Le barème est le suivant (CGI, art. 977) :

– entre 0 et 800 000 € : 0 %

– entre 800 000 € et 1 300 000 € : 0,5 %

– entre 1 300 000 € et 2 570 000 € : 0,7 %

– entre 2 570 000 € et 5 000 000 € : 1 %

– entre 5 000 000 € et 10 000 000 € : 1,25 %

– au-delà de 10 000 000 € : 1,5 %

L’IFI est concentré sur un petit nombre de contribuables. En 2022, l’obligation a concerné 164 000 foyers, soit 23 % de foyers en plus entre 2018 et 2022 en partie en raison de l’absence d’actualisation du seuil d’entrée dans l’impôt, qui est resté inchangé depuis sa création malgré l’augmentation des prix de l’immobilier. Le montant total de l’impôt s’est élevé à 1,8 milliard d’euros, ce qui représente une faible part de la fiscalité pesant sur le patrimoine des ménages, dont le total est estimé à 117 milliards d’euros en 2022. Les recettes de l’IFI progressent de façon continue depuis sa création, de + 14,2 % par an en moyenne.

L’enjeu de l’évaluation du bien immobilier

Les contribuables doivent procéder eux-mêmes à l’évaluation de leurs biens immobiliers et estimer la valeur vénale de chacun d’entre eux au 1er janvier de l’année d’imposition. Cette estimation dépend à la fois des caractéristiques du bien et de l’évolution des prix de l’immobilier, ce qui conduit à estimer la valeur d’un bien immobilier chaque année. Cet exercice n’est pas chose aisée pour les contribuables, il est même une source d’insécurité juridique car ils sont responsables de la valeur qu’ils déclarent. La Cour des comptes avait déjà pointé le manque d’accompagnement des contribuables dans son rapport de 2017, préconisant un renforcement des outils les aidant à évaluer leurs biens. Cependant, l’administration fiscale n’avait pas priorisé ce chantier en raison du coût du développement des services à la déclaration et de la faible consultation des services déjà accessibles. Ainsi, moins de 5 % des redevables de l’ISF dont le patrimoine comportait au moins un bien immobilier se connectaient en effet à l’application « Patrim » en 2014. Depuis, l’administration a renforcé son accompagnement. Désormais, les contribuables disposent de deux services en ligne « Patrim usagers » (Patrim) et « Demande de valeur foncière » (DVF). Ces deux services en ligne fournissent des données collectées à partir des mutations à titre onéreux de biens immobiliers, notamment le prix et la date de cession ainsi que la localisation du bien. Ils permettent ainsi au contribuable d’évaluer, par comparaison, la valeur vénale de ses biens. Toutefois, ils ne couvrent pas la totalité du territoire français, notamment l’Alsace-Moselle et certains territoires d’outre-mer. En tête des connexions : les requêtes relatives à la vente ou l’achat d’un bien immobilier (environ 90 % des connexions). Les requêtes relatives à l’IFI arrivent juste après, puis celles relatives aux donations et successions ou le contrôle fiscal. Il faut dire que la DGFiP a amélioré l’accès des contribuables aux services d’aide à la déclaration en plusieurs temps.

En 2017, le service Patrim Usagers a été ouvert à l’ensemble des foyers fiscaux dans leur espace fiscal personnel. En 2018, la loi dite Essoc (L. n° 2018-727, 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance) a rendu l’application DVF en accès libre, sur le portail internet de la gestion publique. Cependant, la Cour des comptes relève que l’accès à Patrim est limité à cinquante consultations par trimestre, du fait des contraintes imposées par la Cnil en 2013, ce qui n’est pas le cas de DVF. Ces limitations sont contraires au mouvement d’open data engagé depuis plusieurs années. C’est pourquoi, la recommandation n° 1 adressée à la DGFiP propose de lever l’encadrement du nombre de connexions au service Patrim sous réserve de l’avis de la Cnil.

Renseigner les évolutions du marché immobilier

La Cour des comptes a identifié un autre axe d’amélioration de l’accompagnement des redevables dans leur exercice d’évaluation. Elle relève qu’en matière d’IFI cet accompagnement est très en-deçà des avancées en matière d’imposition sur le revenu, particulièrement avec la déclaration préremplie et le prélèvement à la source. Reconnaissant qu’un pré-remplissage de la valeur vénale des biens immobiliers n’est pas possible, la Cour des comptes invite l’administration fiscale à systématiser l’indication de la valeur vénale du bien déclarée l’année précédente dans l’espace personnel en ligne au moment de la campagne de déclaration.

De son côté, la DGFiP prévoit d’informer les déclarants, directement sur leur espace fiscal en ligne, de l’existence du service Patrim. Mais la Cour des comptes estime que l’administration pourrait devancer les difficultés des redevables en les sensibilisant sur la nécessité de réévaluer leurs biens, chaque année, pour tenir compte de l’évolution des prix de l’immobilier. Par exemple, l’administration pourrait fournir aux déclarants les informations qu’elle détient sur l’évolution des prix de l’immobilier à proximité du bien assujetti, sous forme de pop-up ou d’alertes. La recommandation n° 2 propose donc d’étudier un accompagnement plus proactif du déclarant en fournissant, au moment de la télédéclaration de l’IFI, des indications sur l’évolution du marché immobilier à partir des informations détenues par l’administration fiscale.

Faciliter le paiement de l’IFI

En matière de paiement de l’IFI, la Cour des comptes recommande d’ouvrir la possibilité pour les redevables de l’IFI d’opter pour un paiement par prélèvement automatique tacitement reconductible, selon les mêmes modalités que pour l’impôt sur le revenu (recommandation n° 3). Alors que les paiements directs en ligne sont prépondérants (86,7 % des paiements en 2021), et croissants (+ 18,8 % entre 2018 et 2021), le prélèvement automatique mensuel ou à l’échéance, qui ne nécessite pas de démarches supplémentaires les années suivant son activation, n’est toujours pas accessible pour payer l’IFI. Or cette fonctionnalité existe en matière d’impôt sur le revenu, ce qui peut être trompeur pour le contribuable de bonne foi. Croyant avoir a acquitté son IFI dans le même temps que son impôt sur le revenu, alors que ce n’est pas le cas, il s’expose à une majoration de 10 % pour retard de paiement et, en l’absence de régularisation, à une première relance suivie d’une procédure de recouvrement forcé. La Cour des comptes relève un nombre non négligeable de retards de paiement pour l’IFI : 7,05 % de retardataires rien qu’à Paris. Interrogée sur l’absence de ce service pour le paiement de l’IFI, la DGFiP a évoqué des charges de développement et un encombrement du calendrier de mise en œuvre des projets informatiques. « Pour autant, il paraît important d’aller au terme de l’intégration complète de l’IFI à la gestion de l’IR qui a été source de simplifications notables pour les contribuables ».

Améliorer la détection et l’évaluation de la fraude

Le contrôle de l’IFI monte en puissance depuis 2020, mais il reste encore peu fréquent et « des progrès sont encore nécessaires pour optimiser la programmation des contrôles ». Les requêtes nationales issues du data mining permettent d’identifier des dossiers à risque. Bercy s’est doté d’un service dédié : le bureau de programmation des contrôles et d’analyse des données (bureau 1 D au sein du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal), en liaison avec les pôles de programmation localisés dans les directions interrégionales de contrôle (Dircofi), et s’est donné comme objectif que 50 % des contrôles des particuliers en soient issus à l’horizon 2027. Les dossiers relatifs à l’IFI représentent 8 % des dossiers détectés sur les particuliers transmis en 2022 aux services locaux (12 850 sur un total de 158 788). Par ailleurs, un groupe de travail national consacré au contrôle patrimonial s’est réuni en 2020-2021 afin de dresser un état des lieux et proposer des pistes d’évolution. Ces travaux sont à l’origine de la création au 1er janvier 2023 du Pôle national de soutien au réseau dédié au contrôle patrimonial (PNSR CPat) au sein de la direction nationale des vérifications de situations fiscales.

Autre outil à disposition des services de contrôle : Tissufip, un outil d’analyse du tissu fiscal des particuliers. Il contient des données facilitant la détection des risques et la programmation des contrôles au niveau local, comme des informations sur les SCI patrimoniales. Toutefois, la Cour constate que l’outil pouvait être utile aux services dans leur programmation, essentiellement pour croiser des risques et identifier des dossiers devant faire l’objet d’une analyse par les pôles de contrôle revenus / patrimoine. La pertinence des ciblages reste limitée (contrôles conduisant à des redressements dans seulement 26 % à 33 % des cas pour les requêtes de l’outil). C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes préconise d’enrichir Tissufip de manière à couvrir l’ensemble du fichier des contribuables (recommandation n° 4).

Accentuer le contrôle des détentions indirectes

La Cour a surtout identifié le contrôle des biens détenus via des sociétés civiles immobilières comme levier d’amélioration du contrôle IFI. L’administration fiscale manque notamment d’informations pour contrôler les biens détenus via des sociétés civiles immobilières. Les informations manquent en particulier en cas de biens détenus par l’intermédiaire d’une société, sur les liens capitalistiques ou la part de détention. L’administration fiscale pourrait plus facilement croiser les informations déclaratives avec d’autres sources en disposant, dans la déclaration IFI, du numéro Siren de l’entreprise pour un bien détenu indirectement, en rendant obligatoire ces mentions, particulièrement pour les SCI. Bercy indique approfondir le profilage de la part des biens immobiliers détenus de manière indirecte par l’intermédiaire de sociétés ou de contrats d’assurance-vie : l’objectif étant de dresser une typologie des sociétés ou des contrats d’assurance-vie dont une part d’immobilier doit être déclarée à l’IFI et de l’appliquer ensuite à l’ensemble des associés ou des dirigeants pour s’assurer que les redevables, disposant de biens similaires (parts de sociétés ou contrats d’assurance-vie), ont bien déposé une déclaration d’IFI. Parallèlement, ces informations provenant de tiers pourraient être transmises à l’administration fiscale afin de fiabiliser la déclaration des biens détenus indirectement. C’est le sens de sa recommandation n° 5 : prévoir une obligation pour les sociétés et institutions financières de transmettre à l’administration fiscale les informations sur la composante immobilière des titres détenus, actuellement communiquées uniquement au redevable.

Par ailleurs, la Cour des comptes préconise de :

• dresser un bilan de l’utilisation des outils de data mining et comparer les résultats obtenus par les services selon les critères de ciblage (data mining, dossiers à forts enjeux, programmation locale (recommandation n° 6) ;

• procéder à l’évaluation de l’écart fiscal de l’IFI en exploitant les données statistiques relatives au patrimoine sur un panel représentatif (recommandation n° 7).

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