Les taxes affectées

Publié le 27/02/2019

Le Conseil des prélèvements obligatoires formule ses recommandations pour un meilleur encadrement des taxes affectées.

Une nouvelle fois la question des taxes affectées revient sur le devant de la scène. Les taxes affectées désignent les impositions de toutes natures affectées à des tiers autres que les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. À la demande de la commission des finances du Sénat, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) s’est intéressé à cet ensemble de 150 taxes représentant près de 30 Md€. Le Conseil des prélèvements obligatoires s’était déjà penché sur la question en 2013. Si des améliorations ont été constatées (stabilisation du nombre et du montant des taxes affectées, plafonnement d’un nombre croissant d’entre elles), des difficultés demeurent : manque de transparence, complexité, insuffisance des outils de pilotage… Après avoir décrit un dispositif durablement installé dans notre système fiscal et souligné les évolutions intervenues depuis 2013, qui ont permis d’en rationaliser l’usage, le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, procède à un bilan du dispositif, en s’appuyant sur des analyses de cas et des comparaisons internationales qui mettent en évidence les difficultés qui demeurent mais aussi l’intérêt d’un usage raisonné de la fiscalité affectée au service de certaines politiques publiques. Il dresse les orientations destinées à améliorer l’encadrement et la transparence d’un dispositif dont un renforcement de la maîtrise est la condition de la légitimité et de l’utilité et formule huit propositions à cet effet.

Des instruments à mieux encadrer

Les taxes affectées sont une spécificité du système fiscal français. Leur développement a correspondu au souhait des pouvoirs publics d’individualiser des ressources au profit de politiques publiques particulières, le plus souvent afin d’assurer une meilleure acceptation des prélèvements correspondants. Les comparaisons internationales montrent par ailleurs que la France n’est pas la seule à recourir aux taxes affectées. Ainsi, le système français de soutien au cinéma, fondé sur l’imbrication de taxes affectées avec un financement public, a été reproduit, avec des modalités variables, dans une dizaine d’autres pays européens. Les taxes affectées sont désormais un instrument installé dans la pratique dont l’expansion parfois mal maîtrisée avait inspiré en 2013 au Conseil des prélèvements obligatoires des orientations visant à en restreindre le périmètre et à en rationaliser l’usage. Cinq ans après ce premier rapport, les taxes affectées apparaissent globalement en voie de stabilisation. En effet, leurs recettes qui avaient fortement augmenté entre 2007 et 2011 (+ 27,6 %) se sont stabilisées depuis (+ 4,1 % entre 2011 et 2017). De manière générale, la progression des recettes de fiscalité affectée, qui était plus vive que celle des prélèvements obligatoires sur la période 2007-2011 est désormais devenue plus modérée. Le nombre de taxes reste toutefois élevé. Or la plupart de ces taxes ont un rendement limité : seules six d’entre elles ont un rendement supérieur à 1 Md€ tandis que 87 taxes ont un rendement inférieur à 150 M€. La plupart de ces taxes à fort rendement relèvent du domaine social : participation des entreprises de plus de 10 salariés et plus au développement de la formation professionnelle continue, contribution des employeurs au FNAL, fraction de la TSA versée par les assurés disposant d’une complémentaire santé, contribution de solidarité des employeurs du secteur public ou parapublic…

Comme en 2013, les taxes sont concentrées sur un petit nombre de secteurs bénéficiaires : la transition économique, la culture et l’agriculture. Malgré leur ancienneté (on peut faire remonter en France les premières taxes affectées à 1439, avec la création d’une « taille royale » affectée à la l’organisation de la première armée régulière française), les taxes affectées ne font l’objet d’aucune définition juridique précise. En revanche, l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 (LOLF) encadre leur création et prévoit cinq conditions. L’affectataire doit être un tiers, c’est-à-dire une personne morale autre que l’État. Il doit être chargé de missions de service public. La création de l’imposition qui peut être prévue par une loi ordinaire, doit être autorisée par la loi de finances de l’année. Si l’imposition concernée a été établie au départ au profit de l’État, alors c’est une loi de finances qui doit procéder à sa réaffectation. Le projet de loi de finances doit être accompagné chaque année d’une annexe explicative comprenant la liste et l’évaluation de ces impositions.

Des décisions juridictionnelles récentes ont toutefois précisé le régime juridique des taxes affectées. Dans une décision rendue le 29 décembre 2014, le Conseil constitutionnel a reconnu la constitutionnalité du plafonnement des taxes affectées. Ce mécanisme, créé par l’article 46 de la loi de finances pour 2012, prévoit la possibilité de fixer une limite au-delà de laquelle les sommes collectées par un organisme affectataire doivent être reversées au budget général de l’État. Par ailleurs, des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne sont venues préciser les conditions dans lesquelles les ressources issues des taxes affectées sont compatibles avec le régime européen des aides d’État ou avec d’autres règles de droit européen, notamment les directives relatives aux accises.

 

De nettes améliorations

Le rapport du CPO de 2013 avait souligné l’augmentation du nombre et du montant des taxes affectées à des agences publiques, les difficultés de gouvernance et de gestion rencontrées par ces dernières, les défauts de transparence et de pilotage politique du système avaient alors justifié une série de 14 propositions visant à mieux connaître et quantifier la fiscalité affectée, en améliorant l’information à destination du Parlement et des administrations à restreindre le recours aux taxes affectées en limitant strictement les cas où ces dispositifs apparaissent justifiées, à rebudgétiser les taxes dont l’affectation ne se justifie pas et à supprimer les « micro-taxes » ou les taxes les plus inefficientes d’un point de vue économique. La loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2012 à 2017 a posé le principe d’une participation des affectataires de taxes à la maîtrise des finances publiques. La LPFP pour 2014-2019 s’appuie sur le rapport du CPO pour afficher un objectif de rebudgétisation des taxes affectées. Enfin, la LPFP pour 2018-2022 se concentre sur la définition de critères de création des taxes affectées, abandonnant l’objectif de rebudgétisation affirmé par la LPFP pour 2014-2019. Le plafonnement des taxes a également évolué. Créé en 2012, ce dispositif a progressivement pris de l’ampleur : il ne concernait en 2013 qu’un périmètre de 5,2 Md€ de taxes affectées pour des reversements au budget général de l’État de 218 M€. En 2018, il porte sur plus de 9 Md€ de taxes pour des reversements au budget général de l’État de 1 Md€. Ces reversements, également appelés écrêtements, sont aujourd’hui contestés, des amendements parlementaires de plus en plus nombreux ayant pour objet d’accroître un plafond ou de le supprimer. Pour autant, les dérives constatées dans le rapport de 2013 ont été atténuées. Ainsi, les indicateurs de gestion des affectataires de taxes faisant l’objet d’un plafonnement se sont améliorés. Leurs dépenses, qui avaient augmenté plus vite que celles des opérateurs non affectataires de taxes pendant la période 2007-2011, ont progressé moins vite que celles de ces derniers pendant la période 2012-2017. Ces résultats valent tant pour les affectataires qui sont opérateurs de l’État que pour ceux qui, comme les chambres de commerce et d’industrie, ne le sont pas. Par ailleurs, la situation financière des opérateurs affectataires de taxes a été rationalisée, leur fonds de roulement, surabondant pendant la période 2007-2011, ayant été significativement réduit entre 2012 et 2017.

Une marge de progression

Les efforts réalisés lors des dernières années pour mieux maîtriser la fiscalité affectée ont conduit le Conseil des prélèvements obligatoires à réévaluer l’intérêt de ces instruments. Certes, des difficultés demeurent. Ainsi, la liste des taxes affectées présentée dans l’annexe VII des voies et moyens n’est ni exhaustive ni exempte d’erreurs : leurs modalités de recensement sont entièrement déclaratives. Dans ces conditions, l’information communiquée au Parlement sur les taxes affectées ne crée pas les conditions d’une discussion globale sur les moyens alloués aux politiques publiques au moment de l’examen des lois de finances. Par ailleurs, les taxes affectées accentuent certaines caractéristiques du système fiscal français. Elles participent ainsi à son émiettement en un grand nombre de taxes, dont certaines ont un rendement modeste, voire très faible, ainsi qu’à son instabilité, les créations et suppressions de taxes étant nombreuses (respectivement 10 et 11 depuis 2014), de même que les modifications relatives à leur régime. L’assiette des taxes affectées est constituée essentiellement des revenus du travail lorsqu’on considère le nombre de ces taxes ; toutefois, en rendement, c’est le capital qui est la principale assiette sollicitée. Enfin, de nombreuses taxes affectées sont destinées à limiter certains comportements mais génèrent des effets externes négatifs : pollution, risques pour la santé… Le Conseil des prélèvements obligatoires a ainsi analysé les redevances affectées aux agences de l’eau pour en conclure que la répartition des redevances entre les usagers n’est pas proportionnelle aux dommages causés à l’environnement et que les redevances pour pollution d’eau d’origine domestique assises sur les volumes d’eau facturés à l’abonné s’inscrivent dans une logique de rendement fiscal plutôt que de modification des comportements, alors qu’elles représentent près de la moitié du montant des taxes affectées aux agences. Les redevances qui présentent un caractère plus marqué de fiscalité environnementale (notamment les redevances pour prélèvements sur les ressources en eau ou les redevances pour obstacles sur cours d’eau) restent insuffisamment utilisées dans cet objectif. Enfin, certaines taxes affectées sont motivées par la volonté de s’abstraire des contraintes de la procédure budgétaire de droit commun et de sécuriser des financements pluriannuels. Pour autant, l’utilité des taxes affectées pour certains secteurs ne doit pas être sous-estimée. De nombreux affectataires de taxes justifient ainsi ce mode de financement par une meilleure acceptation de l’impôt par les redevables qui auraient l’assurance que le produit de l’impôt finance des dépenses sectorielles dont ils peuvent bénéficier de manière directe ou indirecte.

Les propositions du Conseil des prélèvements obligatoire

Pour le Conseil des prélèvements obligatoire, « la dérogation au principe d’universalité que constitue l’affectation d’une taxe à un operateur ne se justifie que si elle est fondée sur un motif d’utilité et d’efficacité qui doit pouvoir être démontré et encadré. Elle implique en contrepartie des obligations de transparence vis-à-vis du Parlement, d’encadrement de la dépense et d’ajustement de la recette. Ces contreparties ne sont aujourd’hui qu’imparfaitement réunies ». Les propositions formulées par le Conseil des prélèvements obligatoire visent à rendre plus légitimes et plus efficaces les dispositifs d’affectations des taxes. Elles s’inscrivent dans la continuité de celles de 2013, avec des nuances dues aux évolutions intervenues depuis lors. En particulier, le rapport ne reprend pas en l’état les propositions de 2013 qui exposaient une stratégie globale de rebudgétisation des taxes affectées. On peut regrouper les propositions autour de trois axes : l’amélioration de l’information du Parlement, un encadrement plus efficace des taxes affectées, le renouvellement et l’enrichissement des outils de pilotage des taxes affectées. Ainsi, sur le premier axe, le Conseil des prélèvements obligatoire propose par exemple de soumettre les organismes affectataires à l’obligation de publier un rapport annuel sur l’emploi des taxes qui leur sont affectés. Ce compte d’emploi retracerait l’ensemble des actions financées grâce aux ressources fiscales qui leur sont affectées, en mettant en évidence le lien entre les recettes et les dépenses. Sur le deuxième axe, le Conseil des prélèvements obligatoire propose notamment de rendre plus contraignantes les conditions de création de nouvelles taxes affectées, en modifiant l’article 36 de la LOLF, qui encadre l’affectation de taxes à des tiers en disposant que celle-ci ne peut résulter que d’une loi de finances. Cet article est généralement respecté mais sa portée est limitée par le fait que la décision de création de la taxe correspondante a été prise dans la loi ordinaire. Afin de mieux encadrer la création des taxes affectées, il est proposé d’ajouter un alinéa à l’article 36 de la LOLF prévoyant que « la création d’une taxe affectée à un tiers autre que les collectivités locales ou les organismes de sécurité sociale ne peut résulter que d’une disposition de loi de finances ». Il est également proposé de supprimer certaines taxes affectées, notamment celles à faible rendement, à coûts de collecte élevés et celles qui pourraient être transformées en « contributions volontaires obligatoires » (CVO). Enfin, sur le troisième axe, le Conseil des prélèvements obligatoire propose de doter l’État de moyens de pilotage infra-annuels des taxes affectées lorsque celles-ci connaissent des augmentations importantes et imprévues. Une telle régulation peut être utile lorsque les ressources d’un organisme affectataire connaissent une évolution brusque et non anticipée, comme c’est le cas du CNC avec la taxe sur les services de télévision.

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