Simplifier la fiscalité : limiter les taxes à faible rendement

Publié le 15/04/2019

Les recommandations de la Cour des comptes pour supprimer les taxes d’un rendement inférieur à 150 M€ par an.

Dans un référé publié le 16 février dernier, la Cour des comptes recommande de poursuivre l’effort commencé par le gouvernement pour les taxes à faible rendement. Le gouvernement a annoncé un programme pluriannuel de suppression et de simplification de ces taxes. Et dans le cadre de la loi de finances pour 2019, la suppression de plusieurs petites taxes a déjà été actée : taxe sur les farines, taxe sur les céréales, taxe de chaptalisation, contribution au poinçon de garantie des métaux précieux et taxe sur les produits de la pêche maritime. Pour trois taxes sur la publicité télévisée, affectées au budget de l’État, des mesures d’harmonisation de l’assiette et des obligations déclaratives ont été votées. En outre, la collecte des taxes sur les boissons non alcoolisées a été simplifiée. Ce projet a été commencé dès mars 2018, via une circulaire du Premier ministre fixant un objectif de réduction du nombre de ces petites taxes. Si ces réformes sont saluées par les sages de la rue Cambon, ils appellent à prolonger et à structurer, dans la lignée de leurs précédentes recommandations, émises dans les rapports publics annuels de 2014 et 2018 à l’occasion de deux insertions consacrées aux missions fiscales de la douane et, d’autre part, des observations formulées au cours de l’enquête menée en 2018 sur les taxes à faible rendement collectées par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

Un inventaire délicat

Dans le cadre du programme « Action publique 2022 », un inventaire de ces taxes est en cours. Un rapport de l’IGF daté de 2014 listait de son côté 192 taxes de faible rendement. La Cour des comptes regrette cependant qu’aucun inventaire exhaustif des impôts et taxes à faible rendement ne soit établi ni mis à jour par l’administration française. Les impôts et taxes en vigueur trouvent leur fondement légal dans des dispositions législatives très diverses : le Code général des impôts en rassemble un nombre important mais, d’autres sont régis par d’autres codes ou par des dispositions non codifiées de lois de finances ou de lois ordinaires. Compte tenu des études antérieurement réalisées sur ce thème par d’autres institutions, la Cour a délimité le champ de son enquête à un ensemble d’impôts et de taxes d’un rendement annuel ne dépassant pas 150 M€. Elle a ainsi identifié 125 impôts et taxes collectés par la DGFiP ou la douane, pour un produit annuel de l’ordre de 3,5 Md€. En raison de l’hétérogénéité et du manque de fiabilité des données prises en considération, cette évaluation est probablement sous-estimée, en ce qui concerne le nombre de taxes comme l’évaluation de leur rendement. Nombre de ces taxes, le plus souvent de faible montant, sont collectées par les organismes auxquels elles sont affectées, ce qui complique leur inventaire, peut entraîner des coûts de collecte élevés et rendre moins efficace le contrôle de leur recouvrement.

La comparaison de la situation française avec celle des autres États membres de l’Union européenne est malaisée. En effet, la France est le seul État membre à ne pas fournir à la Commission européenne un inventaire de ses taxes mineures. Elle ne participe donc pas à la constitution de la base de données, établie par la Commission européenne (Direction générale de la fiscalité et union douanière-DG TAXUD), principalement consacrée aux impôts dont le produit est supérieur à 0,1 % du produit intérieur brut de chaque État membre, soit environ 2,2 Md€ pour la France. Cette base de données contient des informations sur les taxes dites « mineures », dont le produit est inférieur à ce seuil. Les données actuellement disponibles montrent que le nombre de taxes à faible rendement est beaucoup plus réduit dans les autres États européens. La Cour recommande donc la réalisation d’un inventaire annuel et public exhaustif des taxes à faible rendement, quel que soit le texte qui les a instituées, l’organisme collecteur et le bénéficiaire. Dans sa réponse à ce référé le Premier ministre rappelle à cet égard que le travail d’inventaire commencé en 2018 se poursuivra en 2019, mais qu’il s’avère complexe à effectuer.

Des impôts ou des taxes inadaptées au contexte du marché intérieur européen

Deuxième recommandation : abroger les impôts ou taxes inadaptés au contexte du marché intérieur européen, comme les taxes sur les farines, sur les céréales et sur les huiles végétales destinées à la consommation humaine. Ces deux taxes ont été supprimées dans le cadre de la loi de finances pour 2019. Il s’agissait de taxes de création ancienne, qui s’appliquent lors de la mise à la consommation de certains produits, notamment alimentaires. En l’absence de contrôle aux frontières intra-européennes, leur application aux produits en provenance d’un autre État européen est souvent complexe et, en pratique, aléatoire : de nombreux opérateurs sont susceptibles d’éluder ces taxes, faute de connaître leur existence. Leur maintien dans un espace européen créé pour permettre la libre circulation des biens et des marchandises apparaît peu cohérent, comme le souligne la Cour des comptes. De surcroît, le coût de collecte est disproportionné pour des taxes qui s’appliquent à quelques grandes entreprises et à de petits redevables pour de très faibles montants.

Un effort de rationalisation

Dans sa troisième recommandation, la Cour des comptes préconise de remplacer les taxes, dont les objectifs pourraient être atteints par d’autres moyens, comme la taxe de balayage et les taxes communales sur les opérations funéraires. Le législateur a déjà commencé la mise en œuvre de ce programme via la suppression de la taxe de chaptalisation et de la contribution au poinçon de garantie des ouvrages de métaux précieux au programme du projet de loi de finances pour 2019. La suppression de ces deux impôts, dont le produit s’est élevé à 1,6 M€ et 0,60 M€ en 2017, devrait permettre de redéployer les moyens de la douane vers des missions plus proches de son cœur de métier. Par ailleurs, le gouvernement a lancé, à l’automne 2018, une mission sur les objectifs et sur le financement des centres techniques et des comités de développement industriels, actuellement assuré par 13 taxes, pour un produit de 154,60 M€ en 2017 dont 10,90 M€ ont été collectés par la douane. Un réexamen pourrait être envisagé pour d’autres taxes, dont la réforme ou le remplacement permettrait d’alléger les tâches des administrations financières, sans remettre en cause les objectifs pour lesquels elles ont été instituées. C’est le cas de la taxe de balayage ou des taxes funéraires. Rarement mise en œuvre, la taxe de balayage peut être instituée par les communes. Le tarif de la taxe est fixé par le conseil municipal, qui a la possibilité de le moduler selon la largeur de la voie. Acquittée par les propriétaires fonciers riverains de ces voies, elle est assise sur la moitié de la surface des voies au droit de la façade de chaque propriété, dans la limite de six mètres. Elle peut s’appliquer à des propriétés bâties ou non bâties. Bien que son assiette ne repose pas sur la valeur locative cadastrale des immeubles, la taxe de balayage est recouvrée par voie de rôle en même temps que les taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties. À l’inverse des taxes foncières, le redevable peut, le cas échéant, en répercuter le montant sur son locataire au titre des charges locatives. Le produit de la taxe de balayage en 2017 s’est élevé à 113 M€. Elle n’était alors mise en œuvre que par quatre communes, dont Paris, auxquelles s’est ajoutée une cinquième commune en 2018. Son remplacement par une augmentation à due concurrence des taxes foncières permettrait de réduire les coûts de collecte et de simplifier la fiscalité directe locale, tant pour les administrations communales que pour la DGFiP. Une autre solution serait sa transformation en redevance pour service rendu. Son remaniement pourrait trouver sa place dans la réforme prochaine de la fiscalité locale crée un contexte propice à des ajustements de diverses dispositions fiscales aux enjeux budgétaires modestes, comme la taxe de balayage. Effectivement, répond, le Premier ministre, la loi de finances pour 2019 prévoit la transformation de cette taxe en un produit local régi par le Code général des collectivités territoriales à effet au 1er janvier 2019. Une mesure logique pour une taxe qui n’est rien d’autre qu’une redevance locale pour service rendu.

Autre piste de réforme : les taxes funéraires des ressources qui pourraient être collectées autrement. En effet, les convois, les inhumations et les crémations peuvent donner lieu à la perception de taxes collectées par les trésoriers communaux auprès des entreprises exploitant un service extérieur de pompes funèbres. Normalement destinées à permettre aux communes de financer l’inhumation des personnes indigentes, elles sont comptabilisées comme des recettes de fonctionnement communales et leurs tarifs sont votés par le conseil municipal. Ces taxes funéraires ont été instituées par 400 communes en 2017 pour un montant global de 5,80 M€, dont plus du quart par une seule commune. Elles s’ajoutent, en pratique, pour les familles, aux prix des concessions dans les cimetières, qui sont des redevances d’occupation du domaine public. Elles pourraient être remplacées par d’autres ressources, par exemple en augmentant le prix des concessions funéraires et cinéraires. Cette solution présenterait le double avantage de supprimer un prélèvement obligatoire, d’alléger la tâche des trésoriers communaux et de simplifier la législation. Un projet retoqué par le gouvernement pour qui une telle fusion du recouvrement de ces produits soulèverait des difficultés puisque les débiteurs de ces taxes ne sont pas les mêmes et que les règles de recouvrement ne sont pas identiques.

Un objectif de simplification

Quatrième axe de réforme : les sages de la rue Cambon recommandent une simplification de la législation fiscale rendue complexe par le cumul de taxes dont l’objet est identique ou proche, aux mêmes assiettes ou aux mêmes redevables, pour des opérations identiques comme celles portant sur les plus-values sur la cession de terrains devenus constructibles par une décision d’urbanisme et pour les taxes affectées au financement des contrôles de sécurité sanitaire de l’alimentation. De même, les sages de la rue Cambon préconisent une remise à plat de la taxation des plus-values de cession de terrains rendus constructibles par une décision d’urbanisme qui fait intervenir deux taxes différentes, dont l’assiette et la liquidation sont, cependant, presque identiques. L’une peut être instituée depuis 2006 par les communes ou les établissements publics locaux chargés de l’urbanisme, pour contribuer au financement de l’aménagement urbain de zones rendues constructibles. L’autre, créée en 2010 pour freiner la consommation de terres agricoles, est affectée à l’agence de services et de paiement, pour contribuer au financement de mesures en faveur de l’installation de jeunes agriculteurs. Là encore, leur fusion éventuelle nécessite une expertise approfondie compte tenu de leurs objets différents et de leurs affectations distinctes. Même difficulté pour des taxes destinées à financer les contrôles de sécurité sanitaire de l’alimentation, dont le produit annuel est d’environ 71 M€. Ces taxes constituent un paysage complexe, caractérisé par l’existence de nombreuses petites taxes, dont la collecte est confiée à plusieurs administrations : la DGFiP, la douane et l’opérateur FranceAgriMer. Leur fusion serait complexe à réaliser, précise le gouvernement. Autre sujet celui du financement des centres techniques industriels (CTI) et des comités professionnels de développement économique, des dispositifs validés par la Commission européenne, auxquels la Cour des comptes propose de substituer des contributions volontaires obligatoires (CVO). Une telle réforme supposerait une modification législative permettant  notamment aux organisations professionnelles de se constituer en interprofession, l’identification des actions collectives qu’elle souhaite financer, l’extension de ces accords à l’ensemble des entreprises du secteur et la notification de l’éventuel nouveau dispositif à la Commission européenne.

Réduire le coût de collecte

Enfin, la cinquième recommandation consiste à réorganiser la gestion de certains impôts ou taxes pour en réduire le coût de collecte, comme la taxe sur les passagers aériens et maritimes embarqués dans les départements d’outre-mer attribuée aux régions de Guadeloupe et de La Réunion, aux collectivités territoriales de la Martinique et de Guyane, au département de Mayotte et, pour 30 % de son produit, aux communes littorales de ces territoires érigés en stations classées de tourisme, au prorata de leur population. Elle est collectée par la douane selon une procédure non dématérialisée. Son produit s’est élevé à 11,4 M€ en 2017. Or cette taxe présente des caractéristiques proches de celles de la taxe sur les passagers aériens et maritimes embarqués et débarqués en Corse, recouvrée par la DGFiP, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), selon une procédure dématérialisée. Le produit de cette taxe, attribué à la collectivité de Corse, s’est élevé en 2017 à 34,9 M€. Afin d’en réduire le coût de gestion, la Cour des comptes propose de confier la collecte de la taxe sur les passagers aériens et maritimes embarqués dans les départements d’Outre-mer devrait être confiée à la DGFiP, pour être collectée comme la TVA dans les collectivités où cet impôt est applicable, c’est-à-dire en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. Le gouvernement attire l’attention de la Cour sur les difficultés liées au reversement de la taxe aux collectivités bénéficiaires qui devra faire l’objet d’une étude technique. Les sages de la rue Cambon reviennent également sur le coût de collecte très élevé du droit annuel de francisation et de navigation (DAFN) et du droit de passeport des navires de plaisance, qui atteint près de 20 % du rendement de ces deux impôts dont le produit annuel est d’environ 45 M€. Ils rappellent la recommandation de la Cour des comptes à ce sujet qui consiste à mettre en place un portail dématérialisé commun à la douane et à l’administration des affaires maritimes, permettant de simplifier la double procédure de l’immatriculation et de la francisation des navires, unique en Europe et incompréhensible pour l’usager. Elle contribuerait à moderniser ces deux taxes, dont le produit est tendanciellement en diminution, et d’en réduire le coût de gestion, aujourd’hui disproportionné. Un projet de réforme qui remporte l’approbation du gouvernement.