L’importance du recours hiérarchique

Publié le 05/01/2018

Le recours hiérarchique constitue une des garanties substantielles dont la méconnaissance entache d’irrégularité la procédure, précise  le Conseil d’État dans un récent arrêt.

La Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, rendue opposable à l’administration par l’article L. 10 du Livre des procédures fiscales (LPF), assure au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l’interlocuteur départemental. Quelle est la portée de cette obligation ? Le Conseil d’État vient de se prononcer dans une affaire où conformément à la Charte du contribuable vérifié, une société vérifiée a demandé un entretien explicatif avec le chef de brigade ce qui lui a été refusé avant la mise en recouvrement des impositions (CE, 9 nov. 2015, n° 374884). La cour administrative d’appel de Versailles considère que ce refus n’entache pas la procédure d’irrégularité (CAA Versailles, 21 nov. 2013, n° 11VE03275). Dans un arrêt de principe, le Conseil d’État annule l’arrêt rendu par le juge de première instance, la procédure étant entachée d’irrégularité.

Une décision d’appel de rejet

L’affaire portée devant le Conseil d’État a trait à une société DRT, exerçant une activité de collecte de déchets et ayant fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices clos en 2003, 2004 et 2005. À la suite de cette vérification de comptabilité, des cotisations supplémentaires d’impôts sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités, ont été mis à la charge de la société. Sa réclamation auprès des services fiscaux étant restée infructueuse, elle s’est en conséquence pourvue devant le juge administratif. La société DRT a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge, d’une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des majorations et pénalités correspondantes, qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005 et, d’autre part, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution sur cet impôt, ainsi que les majorations et pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2003 et 2005. Le tribunal administratif de Montreuil, auquel la demande a été transférée, a substitué les pénalités de mauvaise foi aux pénalités pour manœuvres frauduleuses appliquées par l’administration aux rectifications portant sur la taxe sur la valeur ajoutée déductible au titre de la période correspondant à l’année 2004, a déchargé la société de la différence et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande (TA Montreuil, 1er juill. 2011, n° 0903908). La société DRT a formé appel contre ce jugement. La cour administrative d’appel de Versailles a rejeté cet appel (CAA Versailles, 21 nov. 2013, n° 11VE03275).

Déductibilité refusée pour deux provisions

Les rappels d’impôt ont pour origine le rejet de la déductibilité de la provision inscrite au titre de l’exercice 2003 pour prime de la gérante. La société DTR soutient que ce rejet de la déductibilité de la provision inscrite au titre de l’exercice 2003 implique une double taxation dans la mesure où elle a bien été assujettie à l’impôt sur les sociétés en 2005 lors de la reprise de cette provision. Conformément à l’article 39 du Code général des impôts selon lequel le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel ou encore les frais de main-d’œuvre, les dépenses de personnel, mêmes si elles n’ont pas été encore réglées à la clôture d’un exercice, peuvent être déduites des résultats de cet exercice à la condition que l’entreprise ait pris à l’égard des salariés des engagements, quant au principe et au mode de calcul des sommes dues, qui rendent certaine l’obligation de leur versement. Il n’est pas contesté que la décision d’attribuer une prime à la gérante de la société n’a été prise qu’au cours de l’assemblée générale de l’exercice 2005. Ainsi, conclut le juge d’appel, c’est à bon droit que l’administration n’a pas admis la provision inscrite au titre de l’exercice 2003 à raison de cette prime et des charges sociales sur celle-ci. En effet, si la société invoque le versement de cette prime en 2005 et une double imposition, elle n’établit, en tout état de cause, pas que la somme n’aurait pas été inscrite au passif de son bilan au titre de l’exercice 2005.

Les rappels d’impôt sont également relatifs à une provision pour travaux pour laquelle la société DTR produit des factures, précisant que les travaux n’ont pas eu pour but d’accroître la valorisation du patrimoine de l’entreprise. S’agissant du passif fiscal à hauteur de 41 920 euros, elle produit la liasse fiscale de 2003. En application de l’article 39 du Code général des impôts les charges déductibles du résultat imposable comprennent notamment les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu’elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l’exercice. Il résulte de ces dispositions qu’une entreprise peut valablement porter en provisions et déduire des bénéfices imposables d’un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu’ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d’être évaluées avec une approximation suffisante, qu’elles apparaissent probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l’exercice, qu’elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées, à cette date, par l’entreprise, et enfin, si la provision tend à permettre ultérieurement la réalisation de travaux d’entretien ou de réparation, que ceux-ci excèdent par leur nature et par leur importance, sans pour autant procurer à l’entreprise une augmentation de ses valeurs d’actif, les travaux d’entretien ou de réparation dont le coût entre dans les charges annuelles normales de l’entreprise. En l’espèce, il résulte des devis et factures produits par la société DRT que les travaux pour lesquels la provision de 20 000 euros a été inscrite consistent en la construction d’un local destiné à l’usage de sanitaires, précise la cour administrative d’appel de Versailles. Ces travaux, qui auraient pu faire l’objet d’un amortissement, procurent à l’entreprise une augmentation de ses valeurs d’actif et ne peuvent dès lors pas constituer une provision déductible au sens des dispositions du 5° du 1 de l’article 39 précité.

L’existence d’un recours hiérarchique

Enfin, la société DRT fait valoir que conformément à la Charte du contribuable vérifié, elle a demandé un entretien explicatif avec le chef de brigade ce qui lui a été refusé avant la mise en recouvrement des impositions. Les avis de mise en recouvrement en date des 21 et 28 janvier 2008 ont été émis alors qu’elle avait présenté un recours hiérarchique par courrier daté du 2 janvier 2008. Elle précise que le rendez-vous du 6 mai 2008, consécutif au recours hiérarchique du 2 janvier 2008, a été postérieur à l’émission des avis de mise en recouvrement. La Cour administrative d’appel de Versaille rejette cet argument au motif qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la possibilité d’un recours hiérarchique suspensif. Pour le juge d’appel, la société requérante n’était donc pas fondée à invoquer l’irrégularité de la procédure d’imposition. La société DRT se pourvoit donc en cassation auprès du Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de cet arrêt. Elle demande également que le Conseil d’État, réglant l’affaire au fond, fasse droit à son appel et que soit mise à la charge de l’État la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

La position du Conseil d’État

Conformément à l’article L. 10 du Livre des procédures fiscales, quatrième alinéa : « avant l’engagement d’une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l’administration des impôts remet au contribuable la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l’administration ». Aux termes de cette charte, dans sa version de l’année 2006 remise à la société DRT avant l’engagement de la vérification de comptabilité, il est précisé que « Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les rectifications envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l’inspecteur départemental ou principal. Si, après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l’interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur… ». Ces dispositions assurent aux contribuables la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur et, le cas échéant, avec l’interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend ce dernier, précise le Conseil d’État. Il en résulte que lorsque le contribuable sollicite régulièrement, avant la mise en recouvrement des impositions, un entretien en application de ces dispositions, l’administration ne peut, sans entacher la procédure d’irrégularité, procéder au recouvrement de ces impositions avant d’avoir satisfait à cette demande. Par suite, en jugeant qu’aucune disposition ne prévoyait la possibilité d’un recours hiérarchique suspensif, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit. La société DRT est donc fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État le versement à la société DRT de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative, conclut le Conseil d’État.

Des jurisprudences favorables

Dans de précédentes affaires, le juge administratif a eu l’occasion de préciser l’importance du recours hiérarchique. Lorsque la demande de rendez vous intervient avant que le visa du comptable ne soit porté sur l’avis de mise en recouvrement (AMR) et ne lui donne ainsi force exécutoire conformément à l’article L. 256 du LPF. Il appartient donc à l’administration de suspendre la mise en recouvrement jusqu’à l’examen par l’interlocuteur départemental de la situation du contribuable. La procédure d’imposition est irrégulière dans le cas où l’avis de mise en recouvrement a été revêtu du visa du comptable public huit jours après que le contribuable a été reçu, à sa demande, par l’interlocuteur départemental. La saisine du chef de brigade doit être préalable, a précisé le Conseil d’État dans un arrêt de 2015 (CE, 21 oct. 2015, n° 369803). La demande de saisine de l’interlocuteur départemental n’est recevable que si elle est présentée après l’entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur. Cette demande doit être réitérée si elle a été exprimée plus tôt (CAA Lyon, 23 juin 2011, n° 10LY01133). Enfin, un contribuable qui n’a, à aucun moment de la procédure de vérification, manifesté son intention de demander à bénéficier de la garantie, offerte par la Charte du contribuable vérifié, d’obtenir un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur sur tous les points où persiste un désaccord avec ce dernier, ne saurait soutenir utilement devant le juge de l’impôt qu’il aurait été privé de cette garantie et que la procédure d’imposition serait, pour ce motif, irrégulière. Toutefois, a précisé le Conseil d’État en 2016, il peut utilement soutenir que, compte tenu des circonstances de fait, et notamment des informations que l’administration a portées à sa connaissance dans la proposition de rectification ou dans la réponse à ses observations, l’administration l’a induit en erreur sur la possibilité d’obtenir un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, alors même qu’elle n’était pas légalement tenue de faire connaître au contribuable, à ce stade de la procédure, sa faculté d’obtenir un tel débat (CE, 21 sept. 2016, n° 383857).

 

 

 

 

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