Mécénat d’entreprise : quel bilan pour des dispositions fiscales d’exception ?

Publié le 25/09/2018

En 2013, les pouvoirs publics célébraient l’anniversaire de la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations. Bilan de quinze ans d’action.

Les dispositions issues de la loi du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite loi Aillagon, du nom du ministre de la Culture et de la Communication, initiateur du texte, ont permis au mécénat d’entreprise de prendre son essor grâce à un régime fiscal particulièrement attractif. Dans son rapport sur les niches fiscales de 2011, l’Inspection générale des finances a d’ailleurs jugé la réduction d’impôt sur les sociétés au titre des dons aux œuvres ou organismes d’intérêt général « relativement efficiente » (Rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, juin 2011).

Des entreprises mécènes plus nombreuses

D’après les chiffres des pouvoirs publics, on dénombre a minima, 65 000 entreprises mécènes (Enquête Recherches et solidarités, mécénat – Déclarations fiscales des entreprises, janvier 2018). « Le nombre d’entreprises déclarant une action mécénale a augmenté de 120 % en six ans. Le montant des réductions d’impôt a, quant à lui, augmenté de 60 % pour atteindre 952 M€ en 2015, ce qui correspond à un minimum de 1,59 milliards de dons pour la même période », déclare François Debiesse, président d’Admical. Ces chiffres doivent être revus à la hausse dans la mesure où une entreprise sur trois ne déclare pas les dons qu’elle effectue sur le plan fiscal (Enquête Admical-CSA Le mécénat d’entreprise en France, mai 2016). C’est donc vraisemblablement plus de 100 000, voire 120 000 entreprises mécènes en France qu’il faut recenser pour un montant de dons entre 2,3 Mds € et 2,5 Mds €. Ce calcul inclue les dons en nature, les dons financiers et le mécénat de compétence dès lors qu’ils peuvent faire l’objet d’une valorisation pour le calcul de la réduction d’impôt. D’après les projections réalisées, ces chiffres pourraient atteindre le nombre de 150 000 entreprises pour un montant de dons avoisinant les 3 Mds € en 2018. Les sondages réalisés auprès des entreprises par le secteur du mécénat aboutissent d’ailleurs à des chiffres bien supérieurs à ceux de Bercy. Ainsi, le baromètre 2016 de l’Admical constate que le taux de mécénat des entreprises à partir de 1 salarié progresse : les entreprises mécènes en France passent de 12 % (en 2014) à 14 %. Le budget du mécénat progresse lui aussi et passe de 2,8 à 3,5 Mds €, soit une augmentation de 25 % en deux ans. Ce budget est porté par les ETI/GE qui représentent 60 % du budget mécénat en France. « L’investissement croissant des entreprises dans des initiatives d’intérêt général, malgré un contexte économique déprimé, montre qu’un vrai changement sociétal est en marche. De plus en plus de patrons sont conscients du potentiel d’innovation que le mécénat représente pour l’entreprise et ses salariés : l’entreprise de demain sera engagée ou ne sera pas », déclare François Debiesse.

Le régime de droit commun

Le régime de droit commun mis en place en 2003 destiné à favoriser le mécénat d’entreprise est assorti de mécanismes spécifiques dédiés à l’action des entreprises dans le domaine de l’art et de la culture. Il correspond à une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) ou d’impôt sur le revenu (IR) égale à 60 % des sommes données (CGI, art. 238 bis). Les dons effectués par les entreprises doivent être adressés à un organisme d’intérêt général tel qu’une fondation ou une association, un établissement d’enseignement, une collectivité publique ou locale, etc. L’association est généralement le bénéficiaire privilégié des dons, choisie par 83 % des sociétés entreprises mécènes, suivie à la deuxième place à part égale par l’établissement public et la fondation (Enquête Admical-CSA, Le mécénat d’entreprise en France, octobre 2010). La loi n’impose aucun montant minimal de chiffre d’affaires. De même, aucun montant minimal n’est requis pour le don effectué par l’entreprise. En revanche, le dispositif est plafonné. En effet, les dépenses ne sont retenues que dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. En cas de dépassement de ce seuil ou si le résultat de l’exercice en cours est nul ou négatif, il est cependant possible de reporter l’excédent sur les cinq exercices suivants.

Petites et grandes entreprises

D’après les spécialistes du mécénat, ce seuil de 0,5 % pénalise l’action mécénale des TPE/PME. Une société avec un chiffre d’affaires de 1 M€ ne peut ainsi donner que 5 000 euros, une entreprise avec un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros peut donner quant à elle 25 000 euros. Dès 2008, le rapport Bethenod destiné à dynamiser le marché de l’art français proposait d’augmenter ce plafond. Il n’a été suivi d’aucun effet. Pourtant, parmi les plus petites entreprises qui représentent 87 % du total des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, un peu plus de 53 % d’entre elles déclarent une action mécénale. Si elles sont très nombreuses à s’engager dans cette voie, le montant de réduction d’impôt correspondant n’avoisine que 3,7 % du coût total de cette dépense fiscale. Les plus grandes entreprises (près de 500 en France en 2015), représentent 0,4 % de celles qui déclarent un don mais 58 % du montant du total des montants déclarés (Enquête Recherches et Solidarités, mécénat-Déclarations fiscales des entreprises, janvier 2018). Le baromètre 2016 de l’Admical, constate également que parmi les entreprises mécènes, on compte une large majorité de TPE (72 %) et de PME (25 %). Les entreprises de plus de 250 salariés sont les plus engagées : près de la moitié d’entre elles (47 %) sont désormais mécènes. 77 % des entreprises mécènes pratiquent le mécénat financier, 29 % des entreprises concernées, le mécénat en nature et 11 % le mécénat en compétences, qui consiste pour l’entreprise à mettre ses ressources, ses outils et son savoir-faire au profit de l’organisme à but non lucratif qu’elle souhaite aider.

Des dispositifs dédiés

Le législateur a prévu un ensemble de mécanismes fiscaux dédiés au secteur culturel et artistique. Les entreprises qui effectuent des versements afin d’acheter un « trésor national » pour le compte de l’État peuvent ainsi bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 90 % des sommes investies (CGI, art. 238 Bis – OA). La notion de trésor national vise des biens culturels qui, présentent un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l’histoire, de l’art ou de l’archéologie et ont, en conséquence, fait l’objet d’un refus temporaire de sortie du territoire. Plus d’une trentaine d’œuvres majeures étaient concernées par ces dispositions au moment du vote de la loi Aillagon. Le dispositif a été appliqué pour la première fois, en février 2003, quand l’entreprise PGA Holding a permis l’acquisition par l’État, d’un trésor national constitué par l’ensemble de neuf grands panneaux décoratifs de Jean-Baptiste Oudry, désormais exposés au Louvre. Si l’entreprise souhaite acquérir un trésor national et en rester propriétaire, la réduction d’impôt est alors limitée à 40 % des dépenses engagées (CGI, art. 238 Bis – O AB), ce dernier dispositif n’est quasiment jamais utilisé.

La réduction d’impôt pour mécénat s’applique également aux dons des entreprises destinés à des travaux de restauration et d’accessibilité du public des monuments historiques privés. Aux termes du dispositif adopté, les dons à la Fondation du patrimoine ou à toute autre fondation ou association agréée, ouvriront droit à une réduction d’impôt, pour les entreprises et les particuliers, sous réserve que le monument qui en bénéficie soit conservé par son propriétaire et ouvert au public pendant au moins dix ans.

Les entreprises qui achètent des œuvres originales d’artistes vivants peuvent également déduire dans certaines conditions, une somme égale au prix d’acquisition des œuvres concernées (CGI, art. 238 Bis AB). L’entreprise déduit les sommes investies de son résultat par fractions égales pendant cinq ans, l’exercice d’acquisition et les quatre années suivantes. L’avantage est plafonné et ne peut excéder, au titre de chaque exercice, la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. En contrepartie de cette déduction, l’entreprise doit présenter l’œuvre acquise au public. Cette dernière condition a été assouplie par le législateur (loi de finances rectificatives pour 2005 du 30 décembre 2005, n° 2005-1720). Et il suffit désormais que l’œuvre soit exposée dans un lieu ouvert aux salariés et aux clients comme les salles d’accueil, de réunion, les halls, les couloirs. Ce dispositif est très utilisé, notamment par des établissements comme le groupe Neuflize OBC, par exemple, qui a initié en 1997 une collection de photographies et vidéos contemporaines qui comporte désormais près de 800 œuvres. La même mesure s’applique à l’acquisition d’instruments de musique destinés à être prêtés à titre gratuit à des interprètes professionnels, à des étudiants des conservatoires nationaux supérieurs de Paris et de Lyon et à des étudiants en troisième cycle des autres conservatoires et écoles de musique. Des dispositions spécifiques ont été prises en faveur de la diffusion du spectacle vivant et des expositions d’art contemporain : elles concernent les organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée, et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ou l’organisation d’expositions d’art contemporain. Ces organismes peuvent bénéficier du mécénat d’entreprise même s’ils sont assujettis à la TVA et aux autres impôts commerciaux. Par ailleurs, la loi de finances rectificative pour 2007 a étendu le bénéfice du mécénat d’entreprise aux sociétés de capitaux dont le capital est entièrement détenu par l’État ou un ou plusieurs établissements publics nationaux, seuls ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales et qui ont pour activité principale la présentation au public d’œuvres dramatiques, lyriques, musicales, chorégraphiques, cinématographiques et de cirque, ou l’organisation d’expositions d’art contemporain.

Les causes les plus soutenues

22 % du budget mécénal est consacré à des causes sociales et 29 % des entreprises choisissant de s’y engager. Deuxième sur le podium, le budget consacré à la culture (choisi par 24 % des entreprises mécènes) constitue 15 % du budget total. En troisième place, on retrouve l’éducation qui représente 14 % du budget total alloué au mécénat. Le sport occupe une place particulière. Il est le domaine le plus prisé par les entreprises mécènes (48 % d’entre elles, notamment les TPE) mais pour un budget plus modeste (12 % du budget total du mécénat). Le mécénat environnemental, est toujours impulsé et porté majoritairement par les ETI/GE qui en sont les précurseurs. Il représente 6 % du budget mécénat, soit environ 200 millions d’euros. Les actions soutenues se situent à proximité des entreprises mécènes et portent majoritairement sur les questions de protection des espaces naturels et sur la sensibilisation du public au développement durable. Ce mécénat se caractérise par un engagement à long terme des entreprises soucieuses de connaître l’impact de leur soutien. Viennent ensuite les domaines de la santé, de la solidarité internationale ou encore de la recherche. « Le mécénat irrigue désormais tous les secteurs de l’intérêt général, ce qui est une preuve importante de sa maturité. Ce qui compte, pour l’entreprise, c’est avant tout de soutenir un projet local ou régional (81 %) dans lequel elle pourra vraiment s’impliquer et apporter une aide qui fera la différence, analyse François Debiesse. Par exemple, les actions de la fondation Groupe ADP se concentrent sur les territoires d’Orly, de Roissy et du Bourget, là où connaître le terrain social et économique fait vraiment la différence pour aider les projets ».

Une tendance à structurer l’action mécénale

Les perspectives annoncées par les entreprises sont très optimistes : 79 % des mécènes pensent stabiliser ou augmenter leur budget mécénat d’après le dernier baromètre d’Admical. En outre, elle tendent à structurer de plus en plus leurs actions. « La fondation SNCF, par exemple, est devenue récemment la fondation de toutes les entreprises du groupe et propose à chaque salarié de mener des actions auprès d’associations, afin que le mécénat irrigue véritablement la culture de toute l’entreprise, observe François Debiesse. Des PME se rassemblent dans des clubs de mécènes comme Prisme, à Reims, pour dynamiser la création artistique locale et stimuler l’attractivité de leur territoire en offrant à l’espace public des œuvres originales ». Clubs de mécènes locaux, fondation abritées, événements, autant de façon pour l’entreprise de fédérer ses salariés autour d’une même cause. Le chantier du canal du Midi en est un bon exemple. Cette ligne d’eau qui relie l’océan Atlantique à la mer Méditerranée constitue une prouesse technique inouïe, datant de 1880, inscrite par l’Unesco au patrimoine mondial. Au XXIe siècle, plus de 10 000 essences sont présentes dans le canal du Midi, dont 42 000 platanes. Cette protection végétale joue un rôle majeur, puisque sans elle, 80 % de l’eau du canal s’évaporerait. Un champignon microscopique, le chancre coloré ou Ceratocytis platani, fait des ravages sur les platanes du canal. En 2017, sur les 241 km du canal du Midi, 157 km étaient gagnés par ce champignon. Pour sauver la voûte végétale du canal du Midi, le programme d’abattage des arbres doit impérativement se doubler d’un programme de replantation. Une opération qui représente un coût total de 220 millions d’euros sur 20 ans. Plus de 4,7 millions d’euros ont été apportés sous forme de dons. C’est la deuxième source de financement du projet, après l’État et avant les collectivités. Dès le lancement du club des entreprises mécènes du canal du Midi en décembre 2013, les acteurs économiques locaux du territoire se sont massivement mobilisés. Les salariés participent à cet effort de sauvegarde du patrimoine. Un effort qui se traduit notamment par leur engagement dans la course solidaire « 1, 2, 3, canal ! » organisée chaque année à Toulouse dont les droits d’inscriptions sont entièrement reversés pour les opérations de replantage. Ils peuvent également participer aux opérations de mécénat ouvertes au grand public, comme la campagne de dons « Canal du Midi : sauvons-le aujourd’hui », lancée début décembre 2017. Ils peuvent notamment répondre à l’appel à participation lancé sur la plate-forme de financement participatif Ulule avec une contribution minimale d’un faible montant : 5 euros. « Ces démarches exemplaires, auxquelles nous incitons les entreprises sur tout le territoire, prouvent que le mécénat est un levier majeur d’avancées vers une société harmonieuse, solidaire et équitable », analyse François Debiesse.