Mécénat : les dépenses courantes sont déductibles
Une nouvelle jurisprudence fait le point sur la déductibilité des dépenses de mécénat du calcul de la valeur ajoutée. Ces dépenses, lorsqu’elles présentent un caractère récurrent pour l’entreprise, constituent des charges d’exploitation, déductibles pour le calcul de la valeur ajoutée.
Le Conseil d’État vient de rendre un arrêt décisif en matière de mécénat (CE, 9 mai 2018, n° 388209, Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne). Avec cette jurisprudence, les juges du Palais-Royal précisent le traitement à réserver aux dépenses de mécénat pour déterminer la valeur ajoutée servant d’assiette à la cotisation minimum de taxe professionnelle jusqu’en 2009 ou au plafonnement de ladite taxe professionnelle et d’assiette à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), même si les règles de calcul de la valeur ajoutée sont quelque peu différentes. Lorsqu’elles ont un caractère courant, les dépenses de mécénat constituent comptablement des dépenses de services extérieurs et donc des charges d’exploitation qui sont donc déductibles. En revanche, les dépenses de mécénat doivent être comptabilisées en charges exceptionnelles lorsqu’elles ne peuvent être regardées, compte tenu des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent, comme relevant de l’activité habituelle et ordinaire de l’entreprise. Dans cette dernière hypothèse, leur déduction est alors impossible. Lorsque les dépenses de mécénat présentent un caractère récurrent pour l’entreprise, elles constituent des charges d’exploitation, déductibles pour le calcul de la valeur ajoutée, sans qu’il y ait lieu de rechercher si elles présentent ou non une contrepartie. Il n’est donc pas nécessaire de rechercher si ces charges correspondent à l’acquisition d’un bien ou d’un service.
La notion de mécénat
Il n’existe pas de définition précise du mécénat en raison de la diversité des opérations qu’il peut concerner. La loi du 23 juillet 1987 qui a mis en place un dispositif d’accompagnement fiscal pour les donateurs, n’a pas apporté de précision quant à la définition juridique du mécénat ni quant à celle du parrainage avec lequel le mécénat est quelque fois confondu. On considère généralement le mécénat comme le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général. Le parrainage, quant à lui, correspond au soutien matériel apporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue d’en retirer un bénéfice direct. Les opérations de parrainage sont destinées à promouvoir l’image du parrain et comportent l’indication de son nom ou de sa marque. D’un point de vue fiscal, la distinction entre ces deux notions est d’importance. Alors que le mécénat, assimilé à une libéralité, se caractérise par l’absence de contrepartie, le parrainage ou sponsoring, assimilé à des dépenses de nature publicitaire et traitées comme des frais généraux, s’exerce en échange d’avantages directs comme une communication sur la marque ou les produits développés et correspond à des dépenses engagées par la société dans l’intérêt direct de l’exploitation (CGI, art. 39-I-7 e).
Dans les faits, il peut exister une certaine confusion entre les deux notions, dans la mesure où il existe une tolérance administrative sur les contreparties reçues par les entreprises mécènes. l’administration fiscaleparaît admettre que l’entreprise mécène reçoive des contreparties de l’organisme bénéficiaire dès lors qu’il existe une disproportion marquée entre le don et la valorisation de la prestation rendue. Il peut s’agir d’un accès privilégié au lieu d’exposition pour les salariés ou pour les clients, de l’organisation de réception dans les locaux de l’institution, d’invitations à des visites ou à des conférences privées.
En pratique, l’administration semble se satisfaire d’un rapport de 1 à 4 entre la valeur de la prestation rendue et le montant du versement effectué, cependant cette règle des 25 % n’a pas été écrite expressément dans la doctrine administrative qui se borne à citer des exemples.
La jurisprudence Pierre Fabre Médicaments
Dans un précédent arrêt rendu en matière de taxe professionnelle, le Conseil d’État avait refusé la déduction des dépenses de mécénat du calcul de la valeur ajoutée (CE, 21 avr. 2017, n° 398246, SAS Pierre Fabre Médicaments). Le Conseil d’État a alors précisé que « les dispositions de l’article 1647 B sexies du CGI fixent la liste limitative des catégories d’éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée (…) ». Il a conclu que « eu égard à la nature des dépenses que la société soutenait avoir engagées au titre du mécénat, et quel que soit le compte dans lequel elles avaient été enregistrées (…) les sommes en cause ne pouvaient venir en réduction de la valeur ajoutée pour l’application de cet article ». Pour les juges du Palais-Royal, les sommes correspondantes ne pouvaient pas être déduites de la valeur ajoutée à prendre en compte pour le calcul du plafonnement de taxe professionnelle prévu par l’article 1647 B sexies du CGI, eu égard à la nature des dépenses que la société soutenait avoir engagées au titre du mécénat, et ce quel que soit le compte dans lequel elles avaient été enregistrées. Même inscrite dans un compte de charges d’exploitation, une dépense de mécénat doit être neutralisée pour le calcul de la valeur ajoutée car elle constitue, par nature, une libéralité exempte de toute contrepartie, concluait le Conseil d’État.
Un arrêt d’une grande importance pratique
Certes, la très grande majorité des spécialistes estimaient qu’il s’agissait d’un arrêt d’espèce. Mais le Conseil d’État ne s’étant jamais encore prononcé sur la question de la déductibilité des dépenses engagées en matière de mécénat, la jurisprudence de 2017 constituait la seule guideline en la matière. Le présent arrêt ouvre donc un droit à réclamation pour les entreprises qui avaient choisi de ne pas déduire ces charges et vont permettre aux entreprises engagées dans des contrôles ou des contentieux sur ce sujet de consolider leur position. Cet arrêt revêt une grande importance pratique car depuis plusieurs années, l’administration fiscale tend à remettre en cause les calculs de valeur ajoutée pour la taxe professionnelle et pour la CVAE tenant compte des dépenses de mécénat au motif qu’elles ouvrent droit à une réduction d’impôt sur les sociétés, présentent un caractère exceptionnel, constituent des libéralités, et ne peuvent donc être constitutives de consommation de biens et services en provenance de tiers.
La position du Conseil d’État
À l’issue d’une vérification de comptabilité, la Caisse régionale du crédit agricole mutuel de Pyrénées Gascogne a été assujettie à des suppléments de cotisation minimale de taxe professionnelle au titre des années 2007 et 2008. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 2 décembre 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 16 septembre 2013 qui avait déjà lui même rejeté sa demande en décharge de ces suppléments d’impôt. Pour la cour administrative d’appel de Versailles, l’absence de démonstration de l’existence d’une contrepartie justifiait le rejet de la déduction des dépenses occasionnée (CAA Versailles, 25 janv. 2016, n° 13VE03773).
L’article 1647 B sexies du Code général des impôts (CGI) fixe la liste limitative des catégories d’éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation minimale de taxe professionnelle. Il y a donc lieu, pour déterminer si une charge ou un produit se rattache à l’une de ces catégories, de se reporter aux normes comptables, dans leur rédaction en vigueur lors de l’année d’imposition concernée, dont l’application est obligatoire pour l’entreprise en cause. La norme applicable est, pour un établissement de crédit, le règlement du comité de la réglementation bancaire du 16 janvier 1991 relatif à l’établissement et à la publication des comptes des établissements de crédit et le règlement du 12 décembre 2002 du comité de la réglementation comptable relatif au traitement comptable du risque de crédit, modifié par le règlement du 3 novembre 2005. Lorsqu’un poste comptable applicable aux établissements de crédit n’est pas spécifique aux activités de ces établissements, il y a lieu de l’interpréter à la lumière des dispositions équivalentes du plan comptable général, tel qu’il est défini par le règlement du comité de la réglementation comptable du 23 avril 1999.
En l’absence de dispositions spécifiques pour la comptabilisation des dépenses de mécénat dans le règlement du 16 janvier 1991, il y a lieu de rattacher ces dépenses aux dons, lesquels doivent être enregistrés, selon le cas, dans un compte de services extérieurs rattaché au compte de classe 15 charges générales d’exploitation ou au compte de classe 22 charges exceptionnelles, comme le prévoit le règlement du 23 avril 1999, qui prescrit un enregistrement des dons, selon le cas, dans les charges d’exploitation mentionnées au compte 6238 Divers (pourboires, dons courants…) ou dans les charges exceptionnelles mentionnées au compte 6713 Dons, libéralités. Les dépenses de mécénat réalisées par une entreprise doivent, ainsi, être comptabilisées en charges exceptionnelles lorsqu’elles ne peuvent pas être regardées, compte tenu des circonstances de fait, notamment de leur absence de caractère récurrent, comme relevant de l’activité habituelle et ordinaire de l’entreprise et en charges d’exploitation dans le cas contraire. Le règlement du 16 janvier 1991 permet aux établissements de crédit d’opter pour l’inscription au compte de résultat de la reprise, liée au passage du temps, des provisions pour dépréciation des créances douteuses ou compromises soit au poste Intérêts et produits assimilés, qui entre dans la catégorie des produits d’exploitation bancaire, soit au poste 18 Coût du risque, qui n’entre pas dans le calcul du produit net bancaire. La société requérante avait, comme le règlement du 16 janvier 1991 lui en donnait la faculté, enregistré les intérêts d’actualisation courant sur les flux futurs des créances douteuses dans un compte de produits d’exploitation intitulé Intérêts sur solvabilité actualisée. Ces montants devaient donc être inclus dans le calcul de la valeur ajoutée en application de l’article 1647 B sexies du CGI, au titre des Intérêts et produits assimilés à comprendre dans la production bancaire, précise le juge d’appel.
Le Conseil d’État considère, quant à lui, que les dépenses de mécénat ne peuvent constituer des charges exceptionnelles, exclues du calcul de la valeur ajoutée, dès lors qu’elles sont engagées de façon récurrente et qu’elles relèvent de l’activité habituelle et ordinaire de l’entreprise. Elles sont donc à juste titre comptabilisées en charges d’exploitation. En outre, tranche le Conseil d’État, ces dépenses de mécénat correspondent à l’acquisition de biens ou services auprès de tiers.