Mini-abus de droit : des précisions attendues
La nouvelle procédure d’abus de droit continue à inquiéter contribuables et professionnels. Bercy multiplie les messages rassurants et annonce des précisions.
Le nouvel article L. 64 A du Livre des procédures fiscales (LPF), issu de l’article 109 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, vise à étendre la procédure de l’abus de droit aux opérations qui ont un motif principalement fiscal, et non plus exclusivement fiscal, afin d’aligner son champ d’application sur celui des clauses anti-abus des conventions fiscales et du droit de l’Union européenne. Le nouveau dispositif proposé, baptisé par certain de « mini-abus de droit », a été présenté comme complémentaire à la mesure anti-abus de droit, présenté dans le cadre de l’article 48 bis du projet de loi de finances et codifiée à l’article 205 A du Code général des impôts (CGI), qui ne concerne que l’impôt sur les sociétés, là où l’article L.64 A concerne toutes les impositions et possède un champ d’application beaucoup plus large. Ce nouveau dispositif anti-abus autorise l’administration fiscale à écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. L’article L. 64 A s’applique aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020. Ce délai de mise en œuvre doit permettre la mise à jour des bulletins d’information en coordination avec le Comité de l’abus de droit. Il s’agit donc d’un délai destiné à l’administration fiscale afin qu’elle puisse préciser les modalités d’application de ce nouveau texte, en concertation avec les professionnels du droit concernés, afin de garantir la sécurité juridique des contribuables.
Un dispositif à deux étages
Le texte voté, qui a pour origine un amendement parlementaire, a pour objectif d’aboutir à un abus de droit « à deux étages » plus souple et adapté aux évolutions récentes de notre droit tout en se conformant au droit constitutionnel. L’article L. 64 du LPF, introduit dans le Code fiscal en 1941, permet à l’administration d’écarter pour l’établissement de l’impôt, les actes ayant un caractère fictif ou ayant pour motif principal celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales. Outre le rétablissement de l’impôt dû et le paiement d’intérêts de retard, un tel abus est lourdement sanctionné, la majoration étant égale à 80 % des impôts dus. Lors de l’introduction de cette règle répressive, la notion d’abus de droit ne vise initialement que la notion de dissimulation, c’est-à-dire les actes purement fictifs ou ceux déguisant une réalisation, un transfert de bénéfices, de revenus, etc. En 1981, le Conseil d’État choisit d’ajouter à ces actes ceux qui n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou atténuer les charges fiscales que le contribuable, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L’habileté fiscale n’est cependant pas remise en cause en tant que telle. Le législateur, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2008, inclut la notion de fraude à la loi dans la définition de l’abus de droit, c’est-à-dire les actes qui sont motivés par le seul but d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale. La notion de fraude à la loi a été introduite deux ans plus tôt par le Conseil d’État, avec l’arrêt Janfin. En 2008, le législateur se contente de viser les opérations dont le motif est exclusivement fiscal. Le concept de fraude à la loi dégagé par la jurisprudence du Conseil d’État est directement inspiré de la jurisprudence communautaire sur la lutte contre les pratiques abusives qui exclut du bénéfice de dispositions fiscales favorables les montages purement artificiels dont le seul objet est de contourner la législation fiscale nationale, ainsi qu’aux conditions de leur mise en œuvre. La nouvelle définition renvoie donc, soit à l’abus de droit par simulation, incluant les actes fictifs et les actes déguisés, c’est-à-dire des actes, qui ont une étiquette juridique trompeuse, telle une donation déguisée en vente, ainsi que l’interposition de personnes (par recours à un prête-nom, par exemple). Ce type d’abus de droit s’apparente à la fraude puisqu’il y a dissimulation et manœuvres. L’abus de droit recouvre également la fraude à la loi qui, contrairement à son nom, ne relève pas stricto sensu de la fraude fiscale. Cette seconde branche de l’abus de droit suppose la satisfaction de deux conditions, une condition subjective, reposant sur la motivation exclusivement fiscale de l’opération et une condition objective, tenant à ce que l’application littérale du texte par le contribuable soit contraire à l’intention de ses auteurs. Ce texte a récemment été renforcé. Les dossiers d’abus de droit sont automatiquement transmis au parquet depuis l’entrée en vigueur de l’article L. 228 du LPF issu de la loi du 23 octobre 2018. En outre, pour les rectifications notifiées à partir 1er janvier 2109, l’avis du Comité de l’abus de droit fiscal n’a plus, en principe, d’effet sur la charge de la preuve.
Dans le cadre de la loi de finances pour 2019, une nouvelle règle anti-abus, codifiée à l’article L. 64 A du CGI, a été créée afin de compléter ce dispositif. En prenant l’initiative d’instituer l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales dans le cadre de la dernière loi de finances, le législateur a souhaité donner à l’administration un nouvel outil de lutte contre la fraude permettant à cette dernière de remettre en cause une opération qui aurait pour objectif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales de l’intéressé. Désormais, afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du CGI, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige peut être soumis, à la demande du contribuable ou de l’administration, à l’avis du comité mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 64 du LPF. En revanche, le champ de la majoration de 80 % prévue au b de l’article 1729 du CGI n’ayant pas été modifié, elle n’est pas applicable aux montages à but principalement fiscal. Cette nuance a permis à cette nouvelle mesure de ne pas être retoquée par le Conseil constitutionnel. Rappelons que lors du vote du projet de loi de finances pour 2014, le législateur a souhaité modifier le texte de l’article L. 64 du LPF afin qu’il soit désormais applicable à toutes les opérations où l’objectif du contribuable apparaît essentiellement fiscal et non plus exclusivement fiscal, comme c’était le cas jusqu’alors. Une telle réécriture élargissait considérablement le champ d’application de cet article condamnant toute velléité d’optimisation fiscale. Le Conseil constitutionnel a refusé de valider cette réforme estimant que compte tenu des conséquences lourdes attachées à la procédure d’abus de droit fiscal, le législateur ne pouvait retenir une définition aussi large à moins de porter atteinte au principe de légalité des peines décision (n° 2013‑685 DC du 29 décembre 2013 sur la loi de finances pour 2014). Autre différence de taille avec l’article L. 64 du LPF, aucun mécanisme de transmission au parquet n’est prévu pour les dossiers pour lesquels l’article L. 64 À du LPF serait applicable, c’est-à-dire que la procédure du mini-abus de droit conserve un caractère exclusivement fiscal et non pénal, un avantage indéniable pour le contribuable.
Des motifs d’inquiétude
Cette extension de la définition d’abus de droit inquiète passablement les spécialistes. Dans un communiqué de presse, daté du 19 janvier 2019, Bercy a tenu à rassurer les contribuables et leurs conseils en précisant que cette nouvelle disposition ne remettait pas en cause les schémas de démembrement de propriété (Communiqué de presse du 19 janvier 2019 n° 568). « En ce qui concerne la crainte exprimée d’une remise en cause des démembrements de propriété, la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives », précise l’administration fiscale. « En effet, la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu’elles permettent de bien préparer les successions, notamment d’entreprises, et qu’elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle », souligne la Direction générale des finances publiques, qui conclut que l’inquiétude exprimée n’a donc pas lieu d’être.
Deux réponses ministérielles récentes
Afin de répondre aux craintes exprimées sur ce nouveau dispositif, une réponse ministérielle est venue compléter ces premiers éléments de réponse. Pour la représentante du Sénat, Catherine Procaccia à l’origine de la question ministérielle posée, nombre de personnes s’inquiètent pour le régime juridique des donations de nue-propriété de biens, technique qui permet d’alléger les droits de donation et de succession tout en permettant au donateur d’en garder l’usufruit. Dans ce cadre, elle souhaitait savoir « si l’administration fiscale aura toute liberté pour décider au cas par cas si la donation en nue-propriété est ou non un « petit abus de droit » (Q. n° 09965, JO Sénat du 11 avril 2019 – p. 1895). Enfin, afin de lever toute incertitude fiscale, tant pour les particuliers que pour les notaires qui les conseillent, elle demandait que soit précisée « la notion exacte de « petit abus de droit » ». L’intention du législateur n’est pas de restreindre le recours aux démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine, lesquelles sont, depuis de nombreuses années, encouragées par d’autres dispositions fiscales, répond Bercy (Réponse publiée dans le JO Sénat du 13 juin 2019, p. 3070). À cet égard, il peut être constaté notamment que les articles 669 et 1133 du CGI qui, respectivement, fixent le barème des valeurs de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien et exonèrent de droits la réunion de l’usufruit à la nue-propriété, n’ont pas été modifiés, souligne l’administration fiscale. Ainsi, la nouvelle définition de l’abus de droit telle que prévue à l’article L. 64 A du LPF n’est pas de nature à entraîner la remise en cause des transmissions anticipées de patrimoine et notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives. L’administration appliquera, à compter de 2021, de manière mesurée cette nouvelle faculté conférée par le législateur, sans chercher à déstabiliser les stratégies patrimoniales des contribuables. Enfin, les précisions sur les modalités d’application de ce nouveau dispositif vont être prochainement apportées en concertation avec les professionnels du droit concernés.
Dans le cadre d’une autre question posée par la députée Typhanie Degois (Q. n° 16264, JOAN du 18 juin 2019, p. 5545) il est souligné que le nouveau dispositif anti-abus interroge quant aux conséquences et à son applicabilité. « En effet, l’appréciation de l’administration fiscale peut varier d’un centre d’impôt à l’autre, et une disposition similaire introduite dans la loi de finances pour 2014 avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Si, à compter de 2020, l’utilisation du rescrit fiscal permet de lever les doutes sur les opérations à réaliser, il conviendrait de clarifier cette situation préalablement afin de lever toute incertitude en la matière. Dès lors, et sans attendre l’entrée en vigueur de cette disposition, elle lui demande de bien vouloir préciser quels actes seraient principalement motivés par des considérations fiscales », souligne la députée.
Il n’est pas dans l’intention du législateur de restreindre, pour l’avenir, le recours conforme à la volonté du législateur, tels que les démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives, répond Bercy (réponse, JO du 18 juin 2019, p. 5545). Les précisions sur les modalités d’application de l’article L. 64 A, vont être prochainement apportées en concertation avec les professionnels du droit concernés poursuit le représentant de l’administration fiscale. « Néanmoins, chaque opération devant s’apprécier au vu des circonstances de fait propres à chaque affaire, il n’est pas possible à l’administration de prendre une position générale précisant quels actes seraient principalement motivés par des considérations fiscales et susceptibles d’être requalifiés en application de l’article L. 64 A du LPF », précise Bercy. En outre, un certain nombre de garanties permettent de sécuriser les opérations en cause. Toute personne qui souhaite sécuriser une décision fiscale peut ainsi, préalablement à la conclusion d’un ou plusieurs actes, engager une procédure de rescrit auprès de l’administration, conformément à l’article L. 80 B du LPF. Ce rescrit sera opposable en cas de contrôle fiscal. De plus, tout contribuable qui estimerait que le dispositif prévu à l’article L. 64 A du LPF est appliqué à tort pourra saisir le Comité de l’abus de droit fiscal pour étudier sa situation, en amont de tout recours contentieux.