Mobilité internationale : réforme fiscale en vue ?

Publié le 28/11/2018

Vers une simplification de la fiscalité pour les Français de l’étranger : plusieurs dispositions applicables aux expatriés et aux prélèvements obligatoires auxquels ils sont soumis vont être introduites dans les textes budgétaires en cours de discussion au Parlement.

Dans le cadre du projet de budget 2019, le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, vient d’annoncer une série de mesures visant à refondre l’imposition des Français à l’étranger avec pour objectif avancé de simplifier et rendre plus équitable l’impôt pour les expatriés. En 2017, près de 1,8 million de personnes étaient déclarées dans les consulats et l’Insee estime le nombre de Français vivant à l’étranger à plus de 3 millions. Les mesures annoncées par Bercy sont directement inspirées du rapport : « La mobilité internationale des Français », mené par la députée des Français établis hors de France, Anne Genetet, la députée LREM de la 11e circonscription des Français établis hors de France, au Premier ministre, le 11 septembre dernier. Il souligne que « les Français à l’étranger souhaitent être considérés comme des membres à part entière de la communauté nationale. À ce titre, ils veulent bénéficier d’une fiscalité comparable qui prend en compte leur spécificité ». D’après ce rapport, 2 à 3 millions de Français résident en-dehors des frontières nationales. Ils représentent ainsi 0,6 % des contribuables, mais versent 1 % de l’impôt sur le revenu. « Il est temps d’arrêter de considérer les non-résidents comme des exilés fiscaux en puissance et de leur faire payer les bassesses d’une infime fraction », conclue ce rapport parlementaire. Ce rapport formule 215 recommandations pour améliorer la situation fiscale, sociale et administrative des expatriés.

Qui sont les Français de la mobilité internationale ?

Le rapport dresse le profil des Français vivant à l’étranger, de leurs besoins et des liens qu’ils entretiennent avec la France. Il s’appuie sur une consultation citoyenne destinée à étudier la fiscalité à laquelle sont soumis les Français de l’étranger en France, la protection sociale dont ils bénéficient, l’accessibilité aux services publics français et enfin les difficultés éventuelles liées à un retour en France. L’objectif final de la mission étant de comprendre si sur ces quatre points (fiscalité, protection sociale, accès aux services publics et retour en France) les dispositifs existants répondent de manière adéquate à la réalité de la situation des Français établis à l’étranger dans un contexte où ils sont de plus en plus nombreux, de plus en plus mobiles et avec des profils de plus en plus variés. L’enquête a été menée par email auprès des 970 000 personnes inscrites au registre des Français établis hors de France et disposant d’une adresse email qu’elles avaient communiquée au moment de leur inscription. Plus de 42 000 questionnaires ont été complétés parmi lesquels 36 328 réponses étaient exploitables. Les Français établis hors de France ayant répondu au questionnaire sont plus nombreux hors Union européenne (57 %) qu’en Union Européenne et Suisse (43 %) et très largement établis en Europe et Amérique du Nord (68 %), voire même 72 % si on inclut l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud dans ce chiffrage. Ils sont présents dans leur pays actuel de résidence depuis au moins dix ans pour la moitié d’entre eux. 25 % d’entre eux y résident depuis plus de 24 ans.

Des profils très variables

Les motifs professionnels prédominent très largement dans les raisons de partir s’installer à l’étranger. Les raisons familiales sont le deuxième motif le plus fréquent (mariage ou regroupement familial). On notera enfin que la fiscalité n’est citée que par 1 % des répondants, confirmant ainsi le fait que les Français établis à l’étranger ne sont pas des exilés fiscaux. Les expatriés sont majoritairement des salariés, du secteur public ou privé, avec un primat des entreprises privées non françaises (55,96 %). Rapporté à la seule population des actifs, cette proportion de salariés reste particulièrement basse. On observe corrélativement une surreprésentation des travailleurs indépendants (professions libérales, auto-entrepreneurs, créateurs d’entreprise), qui regroupent 25,4 % des actifs, une proportion jugée considérable. En comparaison, en France, la population active non salariée ne regroupe que 11,8 % des travailleurs. Par ailleurs, on observe à l’étranger une sous-représentation des retraités, qui regroupent ici 17,6 % de la population du questionnaire, quasiment tous du système français, contre près de 24 % de la population française. La tranche d’âge de 35 à 60 ans (51,86 %) est surreprésentée par rapport à la population française, qui compte 38,6 % de personnes entre 35 et 60 ans en 2018. On note également une sous-représentation de la population jeune : 23,09 % des répondants ont moins de 35 ans, alors qu’il sont 41,9 % dans la population française. Les jeunes sont moins nombreux à partir que leurs aînés. Ils sont également peu enclins à s’inscrire sur le registre une fois sur place du fait notamment de séjours parfois courts. La proportion de population âgée de plus de 60 ans reste, quant à elle, comparable à celle de la population française : 25,05 % des répondants ont plus de 60 ans contre 24,9 % en France. Ils sont majoritairement assurés dans le système de protection sociale de leur pays de résidence. Une personne interrogée sur deux ne sait pas si elle reviendra un jour en France. Mais ils sont 33 % à le vouloir, contre 17 % à ne jamais vouloir revenir. Ce retour concernerait, pour la majorité de ceux qui veulent rentrer, l’ensemble du foyer (87 %), pour des motifs professionnels (41 %) ou pour une nouvelle expérience en France (34 %). Pour préparer ce retour, 35 % d’entre eux rencontrent des difficultés à mettre à jour leur situation fiscale auprès des administrations françaises.

Près d’un expatrié sur deux acquitte des impôts en France

Seuls 10 % d’entre eux déclarent être résidents fiscaux en France. Et 30 % disent percevoir des revenus en France. 53,5 % déclarent n’y payer aucun impôt. Pour les 46,5 % qui s’acquittent d’impôts ou de taxes en France, une grande majorité sont liés à l’immobilier (taxe d’habitation sur une résidence secondaire, taxe foncière, impôt sur les revenus fonciers…). Ce sont les retraités qui sont les plus nombreux à payer des impôts en France. En effet, comme en France, les retraités sont plus nombreux à être propriétaires immobiliers, et donc à être imposés sur ces biens. En outre, la quasi-totalité des retraités semblent être retraités du système français. Une majorité d’entre eux a donc passé sa vie active en France et investi dans notre pays pour préparer sa retraite, contrairement aux actifs à l’étranger, qui auraient peut-être plus souvent tendance à investir dans leur pays de résidence ou dans un pays tiers. L’impôt sur le revenu moyen payé par le non- résident est supérieur à celui du résident : 3076 € vs 1856 € respectivement. Le barème de l’impôt sur le revenu pour le non-résident paraît défavorable par rapport à celui des résidents et cette différence est particulièrement marquée pour les faibles revenus. Autre constat : le non-résident fiscal dispose d’un revenu fiscal de référence inférieur de 30 % à celui du contribuable résident. Précisons que pour l’année 2016, le nombre de foyers non-résidents fiscaux déclarés s’est élevé à 231 576, soit 0,6 % des contribuables français. L’impôt sur le revenu des contribuables non-résidents a représenté 1 % du total collecté au plan national. De façon générale, le rapport souligne un manque d’information voire une méconnaissance des problématiques liées à la fiscalité des Français expatriés à l’étranger. 46 % d’entre eux ignorent s’il existe une convention fiscale entre la France et leur pays de résidence. Plus inquiétant, 3 % affirment ne pas savoir dans quel pays ils sont résidents fiscaux.

L’assujettissement aux contributions sociales

À l’heure actuelle la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) sont acquittées par les Français à l’étranger. Ces contributions sont affectées au financement du régime de protection sociale français dont les expatriés ne bénéficient pas puisqu’ils sont affiliés au régime de protection sociale de l’État où ils résident. Ces deux contributions seront supprimées pour les personnes qui ne relèvent pas de la Sécurité sociale en France mais d’un régime de Sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Suisse. Un pas en avant mais qui semble insuffisant pour les représentants des Français à l’étranger qui souhaitent que cette mesure d’assouplissement s’applique à l’ensemble des Français à l’étranger et non aux seuls résidents d’un État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Suisse. D’autant que cette réforme présentée par le ministre de l’Action et des Comptes publics est en réalité imposée par les instances communautaires. Dans plusieurs jurisprudences rendues en 2000 (CJUE, 15 févr. 2000, n° C-34/98 et C-169/98, Commission/France) et 2015 (CJUE, 26 févr. 2015, n° C-623/13, Min. c/ de Ruyter), la Cour de justice européenne a examiné si deux contributions sociales françaises, la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) pouvaient être prélevées sur les salaires, les pensions, les allocations de chômage et les revenus du patrimoine de travailleurs qui, bien que résidant en France, étaient soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre, généralement parce qu’ils exerçaient une activité professionnelle dans ce dernier État. La CJUE a jugé que les deux contributions en cause présentaient un lien direct et suffisamment pertinent avec la sécurité sociale, du fait qu’elles avaient pour objet spécifique et direct de financer la sécurité sociale française ou d’apurer les déficits du régime général de sécurité sociale français. Elle en a conclu que, s’agissant des travailleurs concernés, le prélèvement de ces contributions était incompatible tant avec l’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale conformément au règlement n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, qu’avec la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement. Dans la mesure où les personnes concernées, en tant que travailleurs migrants, sont soumises à la sécurité sociale dans l’État membre d’emploi, leurs revenus, qu’ils proviennent d’une relation de travail ou de leur patrimoine, ne peuvent pas être soumis dans l’État membre de résidence, en l’occurrence la France, à des prélèvements présentant un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de la sécurité sociale. En effet, le produit de ces prélèvements sociaux est destiné au financement du système de sécurité sociale français. Dans la mesure où il finance des prestations qui ne bénéficient qu’aux seules personnes assurées au régime français de sécurité sociale, une telle imposition est contraire au principe d’unicité de la législation applicable à un travailleur.

Une série de réformes

Actuellement, les non-résidents sont soumis à un taux minimum d’imposition de 20 % pour les revenus de source française perçus après leur départ de France et imposables en France en vertu d’une convention fiscale internationale signée entre la France et l’État de résidence (revenus d’activité ou de remplacement, revenus fonciers et revenus de plus-values sur cession de bien immobilier…). Ce taux peut être revu à la baisse, s’ils justifient que le taux de l’impôt français sur l’ensemble de leurs revenus mondiaux, c’est-à-dire de revenus de sources française et étrangère, serait inférieur à 20 %. En pratique, devant la complexité à le prouver, peu d’expatriés ont recours à cette possibilité, souligne le rapport. En outre, cette règle s’avérait particulièrement défavorable pour les contribuables ayant des revenus modiques. Le ministre de l’Action et des Comptes publics a annoncé la suppression de ce taux minimum d’imposition de 20 %. Désormais, les revenus français des expatriés seront soumis au prélèvement à la source, selon les mêmes règles que pour les résidents. Le barème progressif s’appliquera donc automatiquement aux revenus français des non-résidents, sans qu’ils aient besoin d’en faire expressément la demande. Le rapport soulignait que de nombreuses charges déductibles du revenu fiscal pour un résident français ne le sont pas pour les non-résidents. Il recommandaient donc d’étendre un certain nombre de charges déductibles parmi lesquelles sont notamment les sommes versées au titre des pensions alimentaires versées en France, les cotisations d’épargne retraite versées en France, ou encore les dons versés aux établissements français à l’étranger pour des dépenses d’investissement, en soutien au réseau scolaire français de l’étranger AEFE. D’après les annonces de Bercy, plusieurs de ces dispositifs fiscaux seront étendus aux non-résidents, tels que la possibilité de déduire les pensions alimentaires versées à un ex-conjoint, un ascendant ou un descendant. En outre, afin de mieux assurer l’égalité devant l’impôt plusieurs dispositifs fiscaux, comme le dispositif Pinel, lié à un investissement réalisé avant le départ de France, seront étendus aux expatriés. En matière immobilière, un certain nombre d’ajustements sont également au programme. À l’heure actuelle, si la vente de la résidence principale s’effectue avant le départ de France, la plus-value réalisée est totalement exonérée d’impôts et de prélèvements sociaux. Un délai de tolérance d’une année après le départ de France devrait être mis en place pour la vente d’une résidence principale. La cession devra être réalisée au plus tard le 31 décembre de l’année suivant celle du transfert du domicile fiscal hors de France et le bien ne devra pas avoir été mis à la disposition de tiers, à titre gratuit ou onéreux, entre le transfert et la cession. En outre, le mécanisme d’exonération d’impôt sur les plus-values immobilières en cas de première vente par un non-résident d’un bien immobilier en France passera de 5 à 10 ans. Actuellement, l’expatrié qui vend un bien immobilier situé en France, se voit exonéré d’impôt sur la plus-value réalisée à l’occasion de la vente dans la limite de 150 000 €. Ce dispositif s’applique à la condition que le cédant ait été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession. Elle s’applique dans la limite d’une résidence par contribuable. La cession doit intervenir au plus tard le 31 décembre de la cinquième année suivant celle du transfert par le cédant de son domicile fiscal hors de France ou, sans condition de délai, lorsque le cédant a la libre disposition du bien au moins depuis le 1er janvier de l’année précédant celle de la cession. Désormais, les expatriés qui céderont leur bien immobilier dans les dix années suivant le départ du territoire national bénéficieront de cet abattement de 150 000 euros pour le calcul de leurs plus-values de cessions immobilières, une « mesure importante pour favoriser la mobilité des Français à l’étranger », a commenté Gérald Darmanin.