Perquisition fiscale : blanc-seing du Conseil constitutionnel

Publié le 19/05/2022

Perquisition

Les sages de la rue Cambon valident la possibilité pour l’administration fiscale de procéder à la saisie de documents accessibles ou disponibles depuis les locaux visités, notamment ceux présents sur un support informatique.

Le Conseil constitutionnel vient de se prononcer sur le cadre applicable à la procédure de perquisition fiscale (Cons. cons., 11 mars 2022, n° 2021-980 QPC). Les dispositions de l’article L16B du Livre des procédures fiscales (LPF) dans sa rédaction résultant de la LFR pour 2016 qui permettent à l’administration fiscale de saisir toutes les données accessibles ou disponibles depuis les supports informatiques présents dans les lieux visités, y compris lorsque ces données sont stockées dans des lieux distincts de ceux dont la visite a été autorisée par le juge et appartiennent à des tiers à la procédure sont conformes à la Constitution.

Une procédure d’exception

La procédure de visite et saisie domiciliaire est codifiée à l’article L16B du LPF. Elle compte parmi les instruments d’exception dont dispose l’administration pour lutter contre la fraude fiscale en matière de taxes sur le chiffre d’affaires, d’impôt sur les sociétés et d’impôt sur le revenu. La procédure de visite domiciliaire est utilisée lorsque l’autorité judiciaire, saisie par l’administration fiscale, estime qu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d’affaires en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code général des impôts. La visite domiciliaire a pour objectif de rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s’y rapportant sont susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu’en soit le support.

La procédure de visite domiciliaire en pratique

Les services fiscaux pour effectuer une perquisition fiscale doivent préalablement obtenir du juge des libertés et de la détention (JLD) une ordonnance les autorisant à effectuer un acte de visite domiciliaire. Munis de ce document et accompagnés d’un officier de police judiciaire (OPJ), les agents des impôts peuvent perquisitionner les locaux de la société comme le siège social mais aussi les entrepôts, les établissements secondaires, etc., afin de saisir pièces et documents attestant la réalité des infractions fiscales présumées. Depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l’économie (LME) qui a réformé la procédure de visite et de saisie domiciliaire, à la suite de l’arrêt Ravon rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui a jugé la procédure des perquisitions fiscales contraire à l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH, 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France) au motif que l’ordonnance autorisant les visites domiciliaires n’était susceptible que d’un pourvoi en cassation non suspensif, les facultés de recours effectif du contribuable, en appel et en cassation ont été étendues.

Une double voie de recours

Désormais, le contribuable dispose d’une double voie de recours : un recours dirigé contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD) ayant autorisé, sur requête de l’administration fiscale, la mise en œuvre de la visite domiciliaire et un recours à l’encontre du procès-verbal établi à l’issue du déroulement de l’opération de visite domiciliaire. Cette double voie de recours, consiste en un appel non suspensif puis un pourvoi en cassation, dans un délai de 15 jours et selon les règles prévues par le Code de procédure civile. En faisant appel de l’ordonnance d’autorisation s’assure d’obtenir la copie des pièces présentées par l’administration au JLD à l’appui de sa requête de demande de mise en œuvre des visites domiciliaire et la requête elle-même. En dehors de ce cadre procédural, l’administration n’a pas l’obligation de les communiquer et d’ailleurs elle ne le fait pas.

La saisine du Conseil constitutionnel

La question prioritaire de constitutionnalité posée aux sages de la rue Cambon portait sur les dispositions de l’article L16B du LPF dans sa rédaction résultant de LFR pour 2016 qui permettent à l’administration fiscale de saisir toutes les données accessibles ou disponibles depuis les supports informatiques présents dans les lieux visités, y compris lorsque ces données sont stockées dans des lieux distincts de ceux dont la visite a été autorisée par le juge et appartiennent à des tiers à la procédure. Depuis, ce texte a été en partie modifié pour ajouter aux documents détenus sur le lieu de la visite, les documents accessibles ou disponibles depuis ce lieu, dans le cadre de l’article 11 de LFR-III pour 2012 qui a adapté la rédaction de l’article L16B. Le législateur a souhaité ainsi répondre aux difficultés auxquelles était confrontée l’administration lorsque le lieu où se déroule la visite n’est pas celui où sont stockées les informations recherchées, notamment, en cas de serveurs de stockage de données à distance. Pour les requérants, ces dispositions permettre à l’administration fiscale de saisir toutes les données accessibles ou disponibles depuis les supports informatiques présents dans les lieux visités, y compris lorsque ces données sont stockées dans des lieux distincts de ceux dont la visite a été autorisée par le juge et appartiennent à des tiers à la procédure. Il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du principe de l’inviolabilité du domicile. Ils reprochaient également à ces dispositions de ne pas prévoir l’information des tiers à la procédure en cas de saisie d’un document informatique leur appartenant lors d’une visite domiciliaire, les privant ainsi de la possibilité de contester utilement une telle opération, en méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense.

La position des Sages

Le Conseil constitutionnel commence par examiner le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée. Ce droit est garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, qui proclame que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée. L’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales permet aux agents habilités de l’administration fiscale d’effectuer des visites en tous lieux, même privés, où sont susceptibles d’être détenus des pièces et documents se rapportant à des agissements frauduleux en matière d’impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou de taxes sur le chiffre d’affaires. En application des dispositions litigieuses, ces agents peuvent procéder à la saisie des documents accessibles ou disponibles depuis les locaux visités, notamment ceux présents sur un support informatique, quand bien même ces documents sont stockés sur des serveurs informatiques situés dans des lieux distincts. En adoptant ces dispositions, « le législateur a entendu adapter les prérogatives de l’administration fiscale à l’informatisation des données des contribuables et à leur stockage à distance sur des serveurs informatiques. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale », souligne le Conseil constitutionnel. Et les dispositions encadrant le droit de saisie mobilière procèdent à une conciliation équilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale et le droit au respect de la vie privée, conclut le Conseil Constitutionnel. Les sages écartent également le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif. En effet, l’article L16B du LPF prévoit que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la visite des agents de l’administration des impôts peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel dans un délai de quinze jours. Ce dernier connaît également des recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que ces recours peuvent être formés non seulement par la personne visée par l’ordonnance du juge des libertés et de la détention et l’occupant des lieux visités, mais aussi par toute personne ayant qualité et intérêt à contester la régularité de la saisie d’un document. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent ni le principe d’inviolabilité du domicile ni les droits de la défense, non plus qu’aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution, concluent les sages.