Prestation compensatoire sous forme de capital : le régime fiscal est censuré par le Conseil constitutionnel
Dans le cadre d’une QPC, le Conseil constitutionnel a jugé non conforme à la Constitution, l’article 199 octodecies, II, du Code général des impôts en ce qu’il exclut de la réduction d’impôt ouverte au débiteur d’une prestation compensatoire, le cas de paiement d’une prestation compensatoire mixte : à la fois sous forme d’un capital versé dans un délai inférieur à 12 mois à compter du divorce, et sous forme de rentes.
Le Conseil constitutionnel a censuré le régime fiscal de la prestation compensatoire en ce qu’il ne permet pas de bénéficier de la réduction d’impôt sur le revenu pour les versements en capital dans un délai de 12 mois après le prononcé du divorce et accompagnés d’une rente (Cons. const., 31 janv. 2020, n° 2019-824 QPC : JO n° 0027, 1 fév. 2020, texte n° 101). Saisi par le Conseil d’État (CE, 15 nov. 2019, n° 434325) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel s’est penché sur ce régime fiscal qui résulte de la combinaison de deux textes :
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l’article 156, II, 2° du Code général des impôts (CGI) résultant de l’ordonnance n° 2010-460 du 6 mai 2010 relative à la modernisation des missions d’inspection et de contrôle et à la mise en cohérence de diverses dispositions du livre II du Code rural, et
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l’article 199 octodecies, II, du même code, résultant de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce. Seul ce texte fait l’objet de la QPC.
Prestation compensatoire : deux formes de versement
La prestation compensatoire permet d’effacer les déséquilibres financiers causés par le divorce dans les conditions de vie des ex-époux. Elle peut être versée par l’un des ex-époux à l’autre, quel que soit le cas de divorce ou la répartition des torts. Elle est prévue par l’article 270 du Code civil : « L’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. Cette prestation a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge ».
Pour limiter dans le temps la phase de liquidation du mariage, et notamment le règlement des conséquences financières du divorce, plusieurs lois successives ont pris des dispositions incitant au versement de la prestation compensatoire sous forme de capital.
Ainsi, le versement d’un capital est devenu la règle générale, lorsqu’il y a accord entre les ex-époux, et le versement d’une rente viagère l’exception. Le versement peut également être mixte et combiner un capital puis des rentes. L’article 274 du Code civil prévoit en effet que « le juge décide des modalités selon lesquelles s’exécutera la prestation compensatoire en capital parmi les formes suivantes :
1° Versement d’une somme d’argent, le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l’article 277 ;
2° Attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier. Toutefois, l’accord de l’époux débiteur est exigé pour l’attribution en propriété de biens qu’il a reçus par succession ou donation ».
Et selon l’article 275 du Code civil : « Lorsque le débiteur n’est pas en mesure de verser le capital dans les conditions prévues par l’article 274, le juge fixe les modalités de paiement du capital, dans la limite de 8 années, sous forme de versements périodiques indexés selon les règles applicables aux pensions alimentaires ».
Le débiteur peut demander la révision de ces modalités de paiement en cas de changement important de sa situation. À titre exceptionnel, le juge peut alors, par décision spéciale et motivée, autoriser le versement du capital sur une durée totale supérieure à 8 ans.
La réduction d’impôt attachée au versement
L’article 199 octodecies du CGI, dans cette rédaction, prévoit que le débiteur des versements en capital d’une prestation compensatoire bénéficie d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 25 % du montant des versements effectués, des biens ou des droits attribués, dans la limite d’un plafond égal à 30 500 euros, lorsque ces versements sont effectués sur une période inférieure à 12 mois à compter du divorce. En revanche, lorsqu’ils s’accompagnent d’une rente, les mêmes versements sont exclus du bénéfice de la réduction d’impôt.
La déduction des rentes versés sur plus de 12 mois
Par ailleurs, l’article 156, II, 2°, du CGI permet au débiteur de la prestation compensatoire de déduire de ses revenus imposables le versements de sommes d’argent mentionnés à l’article 275 du Code civil lorsqu’ils sont effectués sur une période supérieure à 12 mois à compter de la date à laquelle le jugement de divorce, que celui-ci résulte ou non d’une demande conjointe, est passé en force de chose jugée et les rentes versées en application des articles 276, 278 ou 279-1 du même code en cas de séparation de corps ou de divorce (…).
Capital complété par une rente versée sur moins de 12 mois
Ainsi, en cas de paiement d’une prestation compensatoire à la fois sous forme d’un capital versé dans un délai inférieur à 12 mois à compter du divorce, et sous forme de rentes, le montant du capital versé n’ouvre droit ni à la réduction d’impôt prévue à l’article 199 octodecies du CGI, ni à la déduction du revenu global prévue par l’article 156, II, 2° du même code.
Le requérant, Monsieur A, a divorcé en 2010 devant le juge. Le jugement ordonne le paiement d’une prestation compensatoire d’un montant de 650 000 euros : 450 000 euros sous forme de capital et 200 000 euros sous forme de rente, à raison d’une rente de 5 000 par mois. En 2020, Monsieur A a déduit de ses revenus la somme de 450 000 euros, correspondant au capital versé. L’administration fiscale a contesté cette déduction et a procédé au redressement. Monsieur A a contesté cette rectification devant le tribunal administratif.
Le requérant soutient que le traitement fiscal de la partie en capital versée dans une période inférieure à 12 mois lorsqu’il est accompagné d’une rente méconnaît le principe d’égalité devant les charges publiques dès lors que le montant versé n’ouvre droit ni à la réduction d’impôt prévue à l’article 199 octodecies du CGI, ni à la déduction du revenu global prévue au 2° du II de l’article 156 du CGI alors que le même montant est déductible lorsque la partie de la prestation compensatoire sous forme d’un capital est versée sur une période supérieure à 12 mois ou bénéficie de la réduction d’impôt précitée lorsque la prestation compensatoire est versée uniquement sous forme de capital sur une période inférieure de 12 mois.
Selon le requérant, toutes les autres modalités de versement de cette prestation permettent à son débiteur de bénéficier, sur l’intégralité des sommes versées, de l’un ou l’autre de ces avantages fiscaux. Une telle différence de traitement ne serait pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi.
Rupture d’égalité devant les charges publiques
Le requérant s’appuie sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », et sur l’article 34 de la Constitution, en vertu duquel il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives.
Le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose, sans toutefois entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
La crainte de l’optimisation fiscale
Les travaux préparatoires de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001, dans laquelle les dispositions contestées trouvent leur origine, indiquent que, en excluant du bénéfice de la réduction d’impôt les versements en capital intervenus sur une période inférieure à 12 mois lorsqu’ils s’accompagnent d’une rente, le législateur a entendu prévenir certaines pratiques d’optimisation fiscale. Ces pratiques consisteraient, pour le débiteur de la prestation compensatoire, à limiter le montant des versements en capital au plafond de 30 500 euros afin de bénéficier du montant maximal de cette réduction fiscale et de profiter également, pour l’intégralité du surplus, de la déduction fiscale des rentes autorisée par l’article 156, II, 2° du CGI.
Cet objectif fiscal du législateur – la crainte d’une optimisation – est remis en cause. Selon Mathieu Stoclet, avocat au Conseil, défendant le requérant, « quand le versement échelonné est ordonné en raison des ressources financières du débiteur lui-même, le contrôle du juge atteste bien, sinon en droit, au moins en fait, que le débiteur n’est pas en mesure de verser le capital en une seule fois, sinon le juge ne lui aurait pas accordé ce droit. On ne peut donc pas considérer, dans le cas d’un versement échelonné, qu’il s’agisse d’un choix du débiteur ».
Le Conseil constitutionnel l’a suivi, en estimant que le simple fait qu’un versement en capital dans un délai de 12 mois s’accompagne d’une rente ne saurait suffire à identifier une stratégie d’optimisation fiscale « dès lors que les modalités de versement d’une prestation compensatoire, qui dépendent de la situation financière des époux, sont soit déterminées par le juge en fonction de l’âge ou de l’état de santé du créancier, soit homologuées par lui en fonction du caractère équitable des droits et obligations des époux ».
De plus, le Conseil constitutionnel a analysé la combinaison du dispositif au regard de l’objectif de la loi, celui consistant favoriser le règlement rapide des conséquences financières d’un divorce. À cet égard, il a considéré que les dispositions contestées n’y contribuent pas dès lors qu’un versement en capital sur une durée supérieure à 12 mois accompagné d’une rente ouvre, lui, droit à une déduction fiscale de l’intégralité des sommes. Ici, le versement de rente sur le long terme est en effet doté d’un régime fiscal plus favorable que celui d’un capital accompagné du versement d’une rente sur un temps court, à savoir moins d’un an.
Censure intégrale et effets de la déclaration d’inconstitutionnalité
Dès lors, les Sages ont admis qu’« en privant le débiteur d’une prestation compensatoire du bénéfice de la réduction d’impôt sur les versements en capital intervenus sur une durée inférieure à 12 mois au seul motif que ces versements sont complétés d’une rente, le législateur ne s’est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi ». C’est donc l’article 199 octodecies, II, du CGI qui est censuré, intégralement, pour méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.
L’inconstitutionnalité du dispositif ainsi déclarée, il s’agissait ensuite, pour le Conseil constitutionnel, de déterminer les effets d’une telle déclaration dans le temps. En effet, selon l’article 62, alinéa 2 de la Constitution une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, mais celui-ci peut fixer une date ultérieure et déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause.
Sur ce point, le Conseil a estimé qu’il était nécessaire de ne pas circonscrire les effets d’inconstitutionnalité au seul auteur de la QPC et justifié que la disposition déclarée contraire à la Constitution ne soit pas appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, à savoir le 1er février 2020.
Dès lors, il a jugé que « la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement ».